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La miséricorde infernale (sur Mesure pour mesure)

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MESURE POUR MESURE, DE WILLIAM SHAKESPEARE

 

Le machiavélisme du bien

Ou

La miséricorde infernale

Ou

L’irrégularité constante

 

 

A Fanny Casal

 

shakespeare,mesure pour mesure,machiavel

Measure for measure (1603), production BBC, dirigé par Desmond Davis (1979). Isabella (Kate Nelligan) face à Angelo (Tim Piggot-Smith). Editions Montparnasse, voir extrait.

 

L’horrible pièce ! La pièce géniale ! La pièce où la quasi-totalité de l’action se passe dans un couloir de la mort  où l’on attend l’exécution de Claudio.  La pièce où l’on finit par trouver que Vincentio, le bon duc, est peut-être pire que le tyran, Angelo. La pièce du désordre moral absolu où pour faire le bien il faut laisser faire le mal. La pièce où Dieu lui-même se conduit comme un beau diable mettant à l’épreuve toutes ses créatures, les poussant jusqu’au risque qu’ils commettent le péché irrémissible, celui de refuser l’esprit saint, mais qui leur pardonne et les sauve in extremis – y compris celui à qui il vient de dire qu’il ne lui pardonnerait pas, le fanfaron Lucio. La pièce qui exprime tout ce que Richard Marienstras a analysé dans son Shakespeare et le désordre du monde et qu’il appelle « le machiavélisme du bien ».

 

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Le duc en moine (Kenneth Colley)

 


Demi-finale Euro, 07 juillet 2016 : France - Allemagne, 2 - 0.

Troïlus et Cressida - L'infection du monde

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homère,iliade,pastiche,théâtre

 A Lina Maeva

 

« Vous pouvez l’apprécier, comme elle peut vous déplaire :

Bon ou mauvais, ce sont les hasards de la guerre. »,

Avertit le Prologue – et qui ne relève pas pour une fois du simple « As you like », mais bien d’un risque que cette pièce ne nous déplaise pour de bon. Moins féroce que Mesure pour mesure, plus ironique que Tout est bien qui finit bien, Troïlus et Cressida est la grande pièce parodique de Shakespeare, mais d’une parodie noire, inquiétante, mystificatrice, où le mauvais sentiment triomphe, où la légende pâtit, où les héros d’antan se révèlent de bien tristes sires :  Achille, orgueilleux et lâche ; Ajax, vaniteux bovin ; Nestor, gâteux ; Ménélas, cocu magnifique ; Agamemnon, faiblard sentencieux ; Ulysse, pousse-au-crime (et qui, pour cette raison, s’en sort « amoralement » mieux que les autres) ; Diomède, obsédé sexuel ; Hector (Hector ! le personnage le plus vertueux de Homère), sadique ; Cressida, adultère – et qui, pourtant, après Juliette et Cléopâtre, donne son nom à la pièce, nouvelle sorte d’amante, pragmatique et sensuelle, et qui laisse le pauvre Troïlus, le seul encore fidèle à l’ancien monde, le seul qui pensait que la parole garantissait la vérité, le seul épris d’absolu (mais avec quel narcissisme !), à sa plainte hamlétienne : « Des mots, des mots, de simples mots. »

 

46 ans.

A propos de Qohelet - D'un temps l'autre

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vanité - David Bailly, Vanité aux portraits, Leiden, Stedelijk Museum De Lakenhal, 1651..jpg

David Bailly, Vanité aux portraits, Leiden, Stedelijk Museum De Lakenhal, 1651.

 

« Je déteste la vie. » (II-17)

Ce n'est ni Houellebecq ni Schopenhauer qui a écrit ça, c'est l'Ecclésiaste - le grand inspirateur de tous ceux qui ont mis la vie en question - à la question. Ou si l'on préfère, qui en ont fait un problème existentiel. Qohéleth, en effet, c'est l'auteur du seul texte de la Bible qui aille contre la Bible. C'est le premier homme qui voit ce que Dieu a fait et qui n’approuve pas forcément. Le premier créé qui trouve à redire de la création. Et lui n'a pas eu besoin du serpent pour se corrompre comme le bon et naïf Adam. Au moins quand ce dernier - ou plutôt ce premier - goûta la pomme, il la goûta avec délice. La connaissance, la volupté, l'ivresse de l'interdit, il les sentit avec toute sa candeur de premier homme ravi de l’existence - alors que lorsque Qohéleth la croque, il la trouve amère, la recrache avec dégoût, s’essuie la bouche comme si elle l’avait salie. Non, il s'est corrompu tout seul, le sage, il s'est corrompu par sagesse. Car, il faut se mettre d’accord, est corrompu, ou vicieux, ou pécheur, celui qui n’aime pas la vie - c'est-à-dire Dieu. De tous les péchés, c'est le seul qui ne soit pas remis. Le voilà, le blasphème "ultimate" contre l’Esprit Saint (Marc, III-28). On peut voler, on peut violer, on peut même assassiner, du moment qu'on adhère à l'existence, c’est-à-dire du moment qu’on dit oui à l’Esprit Saint, Dieu est satisfait. On peut même L'insulter, Il adore ça. Ca veut dire qu'on Le prend au sérieux, qu'on s'acharne à L'implorer, même dans la rage et le blasphème. Rappelez-vous Job (l'autre grand accusateur de Dieu et lui souffrant dans sa chair alors que Qohelet reste un intellectuel blessé, une sorte d'Ivan Karamazov avant la lettre.) Mais qu'on ne daigne ni Le prier ni L'invectiver, qu'on fasse la fine bouche devant Sa pomme de merde, qu'on Lui refuse et la reconnaissance et la connaissance de Ses bienfaits, qu'on se fiche comme d’une guigne de Sa colère, et qu’on Lui réponde, s’Il vient nous damner, qu’Il s’est de toutes façons toujours foutu de nous, voilà qui ne va plus.

 

Perspectivisme et pensées dures I - VIE ET VERITE (une lecture de Par-delà bien et mal, de Nietzsche.)

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A mon oncle Jean-Paul.

 

 

I - VIE ET VERITE (Chimio 5/16)

 

L'important, c'est la tonalité. La teinte personnelle. Qu'importe l'objectivité de la pensée pourvu que celle-ci nous fasse penser. On ne lit pas Nietzsche pour ce qu'il dit mais pour ce qu'il nous fait dire. Comme dirait Deleuze, impossible de lui faire un enfant dans le dos à celui-là, c'est lui qui nous en fait. C'est lui qui nous accouche ou qui nous encule (ah, la divine grossièreté deleuzienne !) Tant de gens qui ne comprennent rien à Nietzsche, ou, pire, qui n'en comprennent qu’une seule chose. Alors que pour le comprendre, le suivre, l'aimer, il faut toujours avoir en tête que chaque chose est aussi vraie que son contraire. Chaque chose va avec son contraire, c’est cela la réalité - la réalité, c’est-à-dire, ce qu’il faut approuver. Tout ce qui revient et qu'il faut vouloir comme au premier jour.

Pour cela, deviens ce que tu es. Sois ce que tu veux vraiment. Reviens à toi. La vérité se trouve non dans l'idée mais dans la personnalité. Ne subis pas le monde. Approprie-toi le monde. Fais que ce monde soit le tien. Habite-le. Ou mieux, fais-en ton théâtre. Sois-en un fragment heureux.

« Je ne veux extraire de chaque système que ce point qui est un fragment de personnalité et appartient à cette part d'irréfutable et d'indiscutable que l'histoire se doit de préserver »,

écrit-il au tout début de La philosophie à l'époque tragique des Grecs. Propos leibnizien s'il en est, car ce fragment de personnalité n'est rien d'autre que la partie claire que chacun de nous a sur le monde. Cette partie claire, c'est le corps. La grande raison du corps. La conscience du corps grâce à laquelle la majorité d'entre nous ne se suicide pas - car s' il n'y avait que l'âme pour nous guider, l'humanité aurait péri depuis longtemps. Tant qu'il y a du corps, il y a de la vie, du désir - de la possibilité. La vérité est que, même clonés, nos pores réclament du contact - comme le constate, à son corps défendant, le personnage de Daniel1, dans La Possibilité d’une île, le roman du très schopenhaurien Michel Houellebecq, nietzschéen malgré lui.

« La peau fragile, glabre, mal irriguée des humains ressentait affreusement le vide des caresses. Une meilleure circulation des vaisseaux sanguins cutanés, une légère diminution de la sensibilité des fibres nerveuses de type L ont permis, dès les premières générations néohumaines, de diminuer les souffrances liées à l’absence de contact. Il reste que j’envisageais difficilement de vivre une journée entière sans passer ma main dans le pelage de Fox, sans ressentir la chaleur de son petit corps aimant ».

Tout redupliqué qu'il est, Daniel1 veut la vie. Mais si lui la veut par défaut, le surhomme (ce que n’est assurément pas Houellebecq) est celui qui la veut par excès.

La surabondance de et dans l’existence, sans arrière-monde ni arrière-pensée, c’est peut-être cela, penser par-delà bien et mal.

 

Perspectivisme et pensées dures II - PACTE FAUSTIEN

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11 – Pacte faustien.

« Hé quoi, cela ne signifie-t-il pas, pour parler vulgairement, que vous réfutez Dieu, mais non le diable ? » Au contraire ! Au contraire, mes amis ! Et qui diable vous force à parler vulgairement ! – » (§ 37).

Nietzsche aurait-il réfuté le diable… ou fait un pacte avec lui ? Bien que les questions théologiques n’aient plus cours à notre époque (ce qui est bien dommage, car elles résoudraient nombre de problèmes politiques, sociaux et privés), on peut se demander si tout le drame moral et philosophique de Nietzsche ne réside pas dans une tentation maligne. Les biographes s’accordent à dire qu’il fut toute sa vie obsédé par les choses lucifériennes, l’enfer, la damnation, l’antéchrist. Enfant, il prétendait que la Trinité ne regroupait pas le Père, le Fils et le Saint Esprit, mais le Père, le fils… et le Diable ! C’est que Satan, saint Satan, donc, devait être celui qui réconcilierait la vie avec elle-même. Et Dieu ne serait vraiment glorieux que lorsqu’il aurait réintégré l’enfer à son paradis – c’est-à-dire lorsqu’il aurait cessé de couper la réalité en deux, et que l’affirmation (divine) de la vie serait totale. Non plus, donc, "vie et vérité", mais "vie et totalité".

Après tout, le diable fait partie des plans de Dieu (relire Job). Dans le Faust de Goethe, que Nietzsche devait connaître par cœur (mais que bizarrement, il cite peu, sans doute pour se préserver d’une source trop évidente), on le voit même chargé de mission par le Seigneur. Ce dernier trouve en effet que l’homme a trop tendance à paresser, et qu’il lui faut de temps en temps un aiguillon pour le pousser à l’action. Le diable est cet aiguillon idéal :

« Le courage de l’homme est prompt à s’assagir,

Il aime le repos, la paresse éternelle...

Je lui ai donc donné ce compagnon fidèle,

Le Diable, qui l’agite et le force d’agir.» [1]

L’action comme volonté divine et comme instinct diabolique, on ne fait pas plus syncrétique !

 

Perspectivisme et pensées dures III - HUMANITE

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nietzsche,kubrick,goethe21 - Eternel féminin (ou antiféminisme).

« .. le goût de la parure fait partie de l'éternel féminin - c'est qu'elle veut inspirer de la crainte, peut-être se faire obéir. Mais elle ne cherche pas la vérité : que lui importe la vérité ! Rien n'est d'emblée aussi étranger à la femme, rien ne lui est aussi odieux, aussi contraire que la vérité ; son grand art est le mensonge, sa grande affaire l'apparence et la beauté. Avouons-le : ce que les hommes respectent et aiment dans la femme c'est précisément cet art-là et cet instinct-là, nous qui menons une vie pénible, nous recherchons volontiers, pour notre apaisement, la société de ces êtres dont les mains, les regards, les gracieuses folies nous font apparaître presque comme autant de folies notre sérieux, notre lourdeur et notre profondeur. Je pose enfin cette question : une femme a-t-elle jamais reconnu quelque profondeur à un esprit féminin, quelque justice à un coeur féminin ? Et n'est-il pas vrai que, grosso modo, ce sont les femmes qui ont le plus méprisé "la femme", et non pas nous ? - Nous souhaitons quant à nous que la femme cesse de se compromettre en s'expliquant sur son propre compte.» (& 231)

 + « Ce qui dans la femme inspire le respect et bien souvent la crainte, c'est sa nature, plus "naturelle" que celle de l'homme, sa souplesse féline et rusée, sa griffe de tigresse sous le gant de velours, la naïveté de son égoïsme, son inéducabilité et sa sauvagerie foncière, le caractère insaisissable, démesuré et flottant de ses désirs et de ses vertus....» (& 239)

Qu'un être humain normalement constitué qui ne soit pas d'accord avec ça me jette la première pierre...

 

nietzsche,kubrick,goethe22 - Parents aimants

« Il est des tournures et des traits d'esprit, des sentences où toute une civilisation, toute une société se cristallise en quelques mots. Ainsi ce mot de Mme Lambert à son fils : "Mon ami, ne vous permettez jamais que des folies qui vous feront grand plaisir." La parole la plus maternelle et la plus intelligente qu'on n'ait jamais adressée à un fils, soit dit en passant. » (& 235)

A rapprocher du père Leuwen qui lui aussi exhortait son fils à ne penser qu'à son plaisir - parents fantasmés du XIX ème siècle, débonnaires, généreux, avisés, tendres, anti-dévorants. Des parents qui ne seraient ni Médée ni Saturne, des parents surhumains eux-aussi, est-ce possible ? 

 


Le dernier espoir de Nietzsche

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nietzsche,lou andréas-salomé,jacques benoist-méchin,goethe

 Mihi ipsi scripsi.

 

 

En écoutant Carmen (Abbado, 1978), Tristan et Isolde (Kleiber, 1982), puis Au temps de Holberg, de Grieg - musiques nietzschéenne s'il en est. 

En parcourant mes notes du Nietzsche, de Lou Andréas-Salomé, un livre de 1932 qui remet les choses en place par rapport aux lectures "politiques" de Nietzsche.

En reprenant le titre de son introduction  par Jacques Benoist-Méchin, "le dernier espoir de Nietzsche".

En posant les problèmes dans leur radicalité existentielle. Enfin, à mon niveau.

1 / Vie ou vérité ?

C'est-à-dire mensonge ou mort ?

Car si "la vérité est du côté de la mort", comme dit Simone Weil au chapitre 3 de La pesanteur et la grâce, est-ce à dire que le mensonge serait du côté de la vie ? Que pour vivre, il faudrait (se) mentir ? Et que tout ce qui sert ce mensonge, les fameuses "illusions vitales", est bon à prendre ? En vérité, c'est une fois qu'on les a prises qu'on a alors envie (oui, envie) de se retourne vers la vérité - la mort. Car il faut beaucoup de vie et de force pour affronter la vérité/la mort. En ce sens, Simone Weil était nietzschéenne - je veux dire, une grande vivante.

Mettre les forces nietzschéennes au service de Dieu (ou "le mal", si tant est que la force soit un mal, au service du bien - ce que j'appelle "faire son Merlin"). Personne, au fond, ne renonce ni à la vie ni à la vérité - ni au bonheur ni à la souffrance. Tout est question de configuration, de domination - de "configuration de domination", "Hersschaftegebilde", le mot le plus important de la philosophie nietzschéenne. Qu'est-ce qui va dominer en en cet instant ? Quel sera mon Arché du jour,  de l'année - de ma vie ? Pour moi comme pour tout le monde, je crois, la vie tout le temps, la vérité de temps en temps. La vérité quand je suis dispo. Pour le reste, ivresse et musique.

2 / Ma configuration

Puis-je tenir en moi Nietzsche et Simone Weil ? Montaigne et Pascal ? Falstaff et Job ? Dionysos et le Christ ? Pourquoi le Christ me refuserait-il Dionysos, Falstaff, Montaigne et Nietzsche ? Pourquoi devrais-je renoncer aux forces - aux couleurs - qui sont en moi ? Pourquoi la lumière annulerait-elle les couleurs ? Je crois précisément le contraire - que la lumière permet, affirme, approuve les couleurs.

Si le Christ est la lumière, alors Dionysos et les autres sont des couleurs. Et toutes les couleurs sont belles, bonnes et vraies.

(Théorie des couleurs. Tentation goethéenne)

 

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Périclès, Prince de Tyr - Les aventures de la vertu.

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Marina (admirable Amanda Redman, dans la non moins admirable version BBC, 1984, dont seront tirées les photos qui suivent, faites à la one again à partir de mon écran plat.)

 

La pièce la moins connue, la moins jouée, de Shakespeare (du moins aujourd’hui, car à son époque elle fut l'un de ses plus grands succès, montée et réimprimée tout le temps) et qui pourrait pourtant inspirer une saison de Game of Thrones. Intrigue se déroulant sur des années, aventures et tempêtes en rafales, situations glauques et violentes, sexe partout, mélange d'historique, d'héroïque et de fantastique (l'apparition de Diane à l'acte  V) - quoique tout se terminant bien, la catharsis ayant lieu à sang pour sang, tout ceci n’ayant été montré aux spectateurs que pour « glorifier les vertus », tel que l’annonce Gower, le Prologue, au début de la pièce et comme il reviendra le dire au début de chaque acte. Périclès, Prince de Tyr, la pièce la aventureuse et la plus édifiante de Shakespeare ! Allons-y pour les aventures de la vertu  !

L'Anté-Littéraire I

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Cet article d'humeur, que j'ai eu envie de relancer EN CE MOIS D'AOUT 2016, parut, il y a fort longtemps, dans le dernier numéro du Journal de la Culture (n°17), sous le titre "l'écrivain est définitivement un salaud !". Mis en ligne sur ce blog d'abord en décembre 2005, puis en décembre 2008, il sombrait un peu dans l'oubli, quoique toujours très cher à mon coeur, allez savoir pourquoi. D'où ce "revival" auquel je pensais depuis longtemps et dont l'occasion m'a été donné cette semaine... en remettant à jour un autre vieil article de 2005, pendant de celui-ci, et avec qui il forme désormais une sorte de diptyque. Alors comme d'habitude avec moi, il y a moult choses ridicules, mais d'autres qui, je crois, valent encore le coup, d'être dites. Et puis quoi ? On ne se refait pas...

NOTE DU 28/08/2016


« Apprendre à devenir poète, c’est désapprendre à vivre ».

Rester vivant, Michel Houellebecq. 

L'Anté-Littéraire II

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En ce temps-là, tout se passait sur les blogs. Affinités, haines, amours. Depuis, Facebook a tout pris. Mais les blogs, quoique désertés, restent, gardent et tracent.

Une disputation récente avec X m'a donné envie de remettre ce vieux texte d'octobre 2005 à l'honneur et que je couplerai demain avec mon ancien "Antélittéraire". On y retrouve mon immaturité légendaire, mes certitudes bon marché, mon romantisme noir Prisunic, tout ce qu'un mec de mon âge devrait avoir dépasser.

Car enfin, "la vie, c'est quand même autre chose", "la vraie vie, ce n'est pas la littérature", "il faut grandir dans sa tête à un certain moment" - autant de phrases pour lesquelles je peux encore faire semblant deme brouiller avec quelqu'un. On dira que c'est là faire beaucoup de bruit pour rien, bien digne d'un nigaud de mon genre, qui n'a jamais publié, se contentant d'existouiller sur un mur FB qu'il confond avec le Jardin d'Epicure (encore qu'en tant que pourceau, il est assez convaincant), comme il confond d'ailleurs l'image avec la chair, mais c'est une autre histoire.  Dans tous les cas, le contraire de la vie active et adulte. 

Car, comme dirait Paolo Coelho :

"Il n'y a qu'une façon d'apprendre, c'est par l'action."

Et toc, Cormary !

 

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Et d'abord, mettre les choses au point une bonne fois pour toutes :

« TOUTE BONNE LITTERATURE EST DANS UNE CERTAINE MESURE UNE CRITIQUE DE LA VIE. »

(John Cowper Powys,  (Les Plaisirs de la littérature.)

 

Cymbeline - Les merveilleux instincts ou L'amour défanatisé

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A Mawitournelle

 

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Richard Johnson (Cymbeline), direction Elijah Moshinsky, BBC 1983

 

Tout va mal en ce premier siècle chrétien. Au royaume de Bretagne où règne Cymbeline, roi chagrin et saturnien, « on ne rencontre personne qui ne fronce les sourcils ». Dans cette pièce-monde, et qui comme Périclès, tient plus du roman que du théâtre, les soucis sont conjugaux, filiaux, politiques, géostratégiques – et l’enjeu moins psychologique que métaphysique. Au sommet de son art, Shakespeare préfère privilégier le cosmos plutôt que la psyché – et par l’archaïsme relationnel nous raconter le désordre, puis la miséricorde, du monde. Passer par le mythe pour arriver au salut. Pulvériser les vraisemblances au nom de la vérité. Substituer à la tragédie l'eschatologie. S’il y a une pièce qui fait la synthèse entre paganisme et christianisme, c’est bien celle-ci.

 

Charmes de Michon

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« C’est une imposture, mais nous n’avons que ça »

Pierre Michon,

Le roi vient quand il veut. [1]


Philippe Muray le déplorait : plus personne, aujourd’hui, n’a honte d’écrire. Résultat : tout le monde écrit, surtout ceux qui ne devraient pas le faire. Au moins les avant-gardes d’antan tenaient-elles en brides toute velléité d’écriture non littéraire. Elles jouaient « le rôle exigeant et inquiet d’un surmoi littéraire » devant lequel chaque candidat à l’écrit se demandait s’il ne devrait pas plutôt continuer à raconter ses conneries à l’oral. Elles intimidaient. Hélas, ces avant-gardes, à force d’obscurité anti-obscurantiste et aussi, il faut le dire, de dérive idéologique meurtrière (relire l’excellent Maos de Morgan Sportès à ce sujet), ont fini, elles aussi, par se ridiculiser. Entre temps, l’époque s’est démocratisée à l’extrême, le jeunisme a triomphé, les cancres ont pris le pouvoir, et Alexandre Jardin n’a plus peur de dire sur un plateau de télévision qu’il « aime la vie », et que les livres, du moins les siens, sont là pour faire « aimer la vie » - un amour de la vie qui, faut-il le préciser, n’a pas grand-chose à voir avec l’Amor Fati des Stoïciens, ni avec la Volonté de Puissance d’un Nietzsche, et encore moins avec la miséricorde d’un Dostoïevski. Non, « aimer la vie » au sens contempueril du terme, au sens Alexandre Jardin, ce n’est pas assumer la tragédie de l’existence et transcender la condition humaine nécessairement douloureuse en se faisant saint ou surhomme, c’est se persuader qu’on est heureux pas abus de positivité. C’est ne retenir de l’existence que ce que celle-ci peut avoir de « cool », de « fun », de festif – et, ce faisant, risquer de participer au carnage symbolique ou réel de nombre de malheureux qui ont cru en ces fadaises (comme dans Sauvagerie de Ballard où des adolescents cocoonés à l'extrême par leurs parents se retournent conte eux et les massacrent.) La littérature, dont le rôle était de nous rappeler au réel, au négatif, tout en nous rendant plus fort devant eux, risque de n’être plus le fait que d’une poignée d’happy few, d’ailleurs de plus en plus blâmés. Car pour le reste, le gros du reste, « on assiste au retour en force de la non-littérature sur le terrain même du littéraire ». L’heure est à l’autobiographie dont vous êtes le héros (car le fait de vivre n’importe quoi et de le dire n’importe comment fait de vous un écrivain warholien d’un quart d’heure), à la « confession » qui confesse moins qu’elle ne revendique telle ou telle singularité et qui revendique moins qu’elle n’accuse avec une hargne infantile les sceptiques qui douteraient de la légitimité de cette revendication et de la valeur sociale et morale de cette singularité. En fait, c’est toute une anti-littérature plébéienne et revancharde qui se met en place, qui cherche à remettre sa non-imagination au pouvoir, son non-style à l’ordre du jour, et par-dessus-tout, à assurer sa jouissance qu’entravaient jusque là ces clercs dont il faudra, un jour ou l’autre, faire la peau. Et tout cela au nom d’un consensus agressif, d’un « consensus qui a repris en main la littérature ».

A l’autre bout de la chaîne, la « vraie littérature », ou du moins celle qui se prétend telle, réagit avec une violence de bonne guerre, souvent jubilatoire, souverainement stylisée, mais dont le caractère soi-disant subversif ne relève que d’une permission de plus de la part de l’époque qui permet tout. Même si on est en droit de les préférer, ne serait-ce que parce que leur « efficacité littéraire est souvent la plus haute », force est de constater que ces phénomènes réactifs d’imprécations ou de malédiction finissent toujours par sombrer dans un systématisme anti-consensuel, et donc consensuel sous une autre forme. La dénonciation du déclin, de la décadence, avec jingle apocalyptique en fin d’annonce, peut dans, certains cas, faire long feu. En vérité, poujadistes et Savonaroles se disputent sans pitié le marché, les uns pour défendre leur cool attitude, les autres, dont nous pourrions être à Ring, pour dénoncer en quoi cette cool attitude est en fait un symptôme de dépression sociale, un signe de défaite intellectuelle, et une manière de fin d’un monde. Entre les deux, ou plutôt à côté d’eux, un plus loin, soupire le roi.

 

pierre michon,vies minuscules

 

Shrek 5

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Oublions la phrase de couverture aussi terriblement plate que fausse, « l’art a une tendance naturelle à privilégier l’extraordinaire » (car la tendance naturelle de l’art est au contraire de rendre extraordinaire l’ordinaire, de rendre beau le laid et extra-lucide l’idiot), et privilégions, c’est-à-dire aimons, ce vingt-cinquième opus d’Amélie Nothomb – son premier roman heureux.

Simplicité apparemment binaire du conte - d’un côté, Déodat, surdoué très moche ; de l’autre, Trémière, surbeauté silencieuse et simple d’esprit que l’on croit sotte pour cette raison. Mais le moche est vraiment moche et la sotte est plutôt une mystique mutique - ce qui rend possible l’amour. Car s’il  a une objectivité de la beauté et de la laideur, d’ailleurs attestée par l’auteur lui-même[1], rien de plus subjectif, en revanche, que l’intelligence et la sensibilité. La preuve en est que même ceux que nous considérons autour de nous comme les plus crétins ou les plus niais ont leurs amis, leur cour, leur réseau – et que le comble est que c’est tout ce monde-là qui peut nous considère, nous, comme crétins et niais !


Le Conte d'hiver - Le "branle-scène", de Shakespeare

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L’araignée de la croyance,

OU

Il faut freiner le temps,

OU

La Contre-Réforme en marche

 

 

«  Ce qui est mortifère, c'est la croyance réelle, écrivait Daniel Sibony à propos de La tempête. La croyance non réelle (celle qu'on a la faiblesse de croire...) est plutôt une forme d'amour. Mais la haine et le meurtre procèdent du flash narcissique issu de la croyance réelle : du réel granitique des croyances. (...) Fonder soi-même la valeur donne au réel des airs de mort. La mortification narcissique c'est de fonder soi-même la valeur : si ça réussit, c'est le délire ; si ça rate, on croit que ça peut réussir en s'y prenant mieux : d'où la répétition. »

Plus qu’à La tempête, c’est au Conte d’hiver que ces lignes fondamentales de Sibony conviennent d’abord. A Léontès, cet Othello qui n’a pas besoin de Iago pour se manipuler lui-même, roi de Sicile, qui va un jour se persuader tout seul que sa femme Hermione le trompe avec son ami d’enfance, Polixénès, le roi de Bohême -  et à cause de cette jalousie imaginaire, provoquer le malheur de deux royaumes, et le sien en particulier, avec la mort son jeune fils, Mamillius, et de sa femme Hermione.

La croyance réelle, c’est en effet la mort. Le délire. La folie. Non pas qu’il faille être athée (qui est une autre forme de croyance réelle), mais enfin, la foi n’a jamais été une affaire de certitude, ou de savoir, ou de preuve, mais de confiance, d’espérance, d’amour. Croire en Dieu a toujours été flou, même pour un mystique, même pour le Christ en croix dont il ne faut jamais oublier, comme le rappelle Chesterton, que lui-même, se sentant abandonné par Dieu, « ait semblé, pour un instant, être athée. » (Orthodoxie, Le roman de l’orthodoxie, page 210, Idées Gallimard.)

En vérité, il faut toujours mettre un peu d’irréalité dans sa croyance, si on ne veut pas à la fois y succomber ou la perdre. Il faut tenir les deux bouts, croyance et doute, illusion et vie – illusion vitale, foi vitale. En l’occurrence, dans cette pièce incroyable, faire semblant de croire à la résurrection d’Hermione - qui n’est pas une vraie résurrection, qui est un simulacre de résurrection, mais qui agit sur les autres comme une résurrection, soit quelque chose en quoi il sera doux de croire pour recevoir le pardon et se réconcilier avec soi-même.

Quoique l’enfant, lui, ne ressuscitera pas. Contrairement à sa mère, il était vraiment mort. De toutes les tragi-comédies de Shakespeare, celle-ci l’est vraiment. Tout le monde ne revient pas.

Mais reprenons depuis le début.

 

 

Les Deux nobles cousins - ou Le Nouveau viol de Lucrèce.

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Paul Richmond, Battleground

 

 

« Le vouloir d’un malade bat le pouvoir d’un sage » (I-4)

« Maudits soient mes yeux. Maintenant, oui, je sens mes chaînes » (II-2)

« Moi, si j’étais libre, j’accomplirais de telles prouesses que cette dame, cette vierge rougissante, se faisant homme, chercherait à me violer » (II,2)

 

 

« Pièce contrariante », Les deux nobles cousins l’est à plus d’un titre. D’abord, son existence même, et le fait qu’elle soit réintégrée au corpus shakespearien (Pléiade, Comédies III, avril 2016), constituent une vraie rupture avec la tradition shakespearienne qui voulait que son théâtre se termine avec La Tempête. Final idéal, apothéose de sa poésie en même temps que renoncement à celle-ci, retraite souveraine, celle-ci passa longtemps pour le « testament artistique » de son auteur, ce qui, comme le dit Anny-Crunelle-Vanrigh dans sa présentation de la pièce, était aussi une « commode mais trompeuse vision téléologique ». A notre grand dam, « Shakespeare [n’en avait pas fini]  avec la scène. »

Pour le shakespearien orthodoxe, il était en effet très plaisant (et pas si illégitime que ça) de considérer qu’après avoir exploré les  fins fonds de l’être humain dans ce qu’il avait de plus tragique et  de plus terrible, celui que l’on considère comme le plus grand écrivain de tous les temps revienne à une sorte d’équilibre supérieur et conclue son œuvre dans une sorte de réconciliation panthéiste où, autour de la figure eschatologique de Prospéro, tout le monde serait rappelé et pardonné  - le magicien renonçant à sa magie comme le poète à sa poésie. Shakespeare serait Prospéro, Prospéro serait Shakespeare, la sortie serait parfaite.

 

04 janvier 2017 - Ecce homo

Don Quichotte, première partie - Du semblable au semblable.

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2016 - Année Cervantès.

Relu le premier tome de Don Quichotte, traduction Louis Viardot, illustrations Gustave Doré, Editions Grandes Oeuvres, Hachette, 1978.

Annoté chaque chapitre sur mon mur Facebook de cette année.

Notes que je reprends ici, plus ou moins corrigées.

Bon voyage.

 

 

Don Quichotte, seconde partie - L'homme de la seconde chute

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don quichotte 00.jpg

 

09 - Work in progress.

Texte dans le texte - et même texte dans l'image.

Cervantès affirme en effet être tombé sur un manuscrit arabe de Cid Hamet Ben-Engeli qui raconte sa propre version du Quichotte (quoique sans vouloir en faire l'éloge, une faute d'historien aux yeux de Cervantès) et qui contient des illustrations, dont celle du Biscayen levant son épée sur le preux chevalier, et telle qu'on en a eu la description au chapitre précédent. Le texte qui se fixe dans l'image d'un autre texte et qui repart grâce à celui-ci. Plus qu'une simple mise en abîme, un conflit entre deux versions dont dépendra la postérité du personnage - comme si on se disputait celui-ci depuis son origine, et comme se le disputerons bientôt ses lecteurs. Quel Don Quichotte sera en effet retenu ? Celui de la version arabe qui le dénigre ou celui de la version espagnole qui le loue ? Rivalité des auteurs (avant celle des lecteurs), alternative des versions, guerre littéraire mais aussi guerre réelle, civilisationnelle, militaire, celle qui se joue pour de bon à cette époque à travers ce qui n'est rien moins qu'un choc des civilisations :

« Si l'on pouvait élever quelque objection contre la sincérité de celle-ci, ce serait uniquement que son auteur fût de race arabe, et qu'il est fort commun aux gens de cette nation d'être menteurs. Mais d'une autre part, ils sont tellement nos ennemis qu'on pourrait plutôt l'accuser d'être resté en deçà du vrai que d'avoir été au-delà. »

Ce qui aurait été fort dommage dans ce chapitre puisque Don Quichotte l'emporte contre le Biscayen (même s'y laissant dans la bagarre une moitié d'oreille) et que ses victoires sont assez rares pour les noter.

 

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