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13 - Hérétiques

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 « Ce qui est vraiment le propre de l'homme, c'est de vivre historiquement ».

Deub's / Gauchet, même combat. L'historicité, c'est ce qui permet à l'homme, confronté à sa finitude, de se donner un destin qui est une liberté devant la mort. « Il n'y a de destin, dit Heidegger, que là où un homme s'expose par libre décision au péril de son existence » reprenant à son compte la formule, à mon sens plus profonde, de Pascal : « Craindre la mort hors du péril, et non dans le péril, car il faut être homme. »

Pour autant, l'Histoire est aussi, d'un point de vue chrétien, le malheur par excellence, la « vallée de larmes », la chute, le résultat du péché originel, dont on aura toujours la tentation de sortir – « un cauchemar dont j'essaye de me réveiller », disait le cher Dedalus.

Mais puisque nous y sommes embarqués, autant faire de ce cauchemar une méthode pour progresser. Au contraire de la culture grecque, cyclique et tragique du début jusqu'à la fin, ou plutôt du début jusqu'au retour, la culture biblique sera, elle, eschatologique, et progressiste - et donc universaliste, puisque croire au progrès, c'est croire à l'universel, tu entends ça, ma Nathalie Bati en sucre, féminisme compris.

Ainsi, le christianisme rend l'histoire objectivable et en ce sens, on peut le dire "socialiste". Mince, alors.

« Avec l'idéologie du progrès, les sociétés basculent de l'hétéronomie par le passé (l'autorité des ancêtres et de la tradition) vers l'hétéronomie par l'avenir (les lendemains qui chantent) ».

L'homme arraisonne le monde, c'est-à-dire le soumet au principe de raison. Ce principe de raison laïcise le Pater Noster et l'on passe progressivement, historiquement, de l'amour régressif du passé (droite) à à l'amour vindicatif de l'avenir (gauche). Mais aussi de l'espérance à la dialectique, du salut à la poursuite du bonheur, du gros moine médiéval jovial et mystique au curé de gauche tout maigre et tout  psycho-rigide - j'allais dire, de moi à Pierre Boyer.

Quoiqu'il en soit, c'est contre cette conception linéaire, progressiste et universaliste de l'histoire, « et à l'idée que l'histoire est un mal auquel il faudrait mettre un terme », que s'est le plus constamment opposé Alain de Benoist. Sortir de l'histoire, à ses yeux, signifie, sortir du divers, de l'altérité - pour ne désirer plus que de l'unique, du même, de l'immobile. Si le polythéisme est adultère, le monothéisme est incestueux.

Et si l'universalisme est totalitaire (qu'il prenne une forme capétienne, jacobine, gaulliste), le régionalisme est, quant à lui, opératoire, marginalités comprises (cathares, sorcières, insurgés de toutes sortes). Tout ce qui, dans l'Histoire de France, a pu aller contre l'absolutisme centralisateur (Camisarts, Canuts, Pastoureaux, Pitauts, Croquants, Nu-Pieds, Gauthiers, Tuchins, Rustauds, Bagaudes, Bonnets rouges, Chouans, Communards) trouve grâce aux yeux de Deub's, l'hérétique.

 

 

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14 - Logique tellurique de la politique, logique maritime de l'économie.

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Après les influences spinozistes, hégéliennes et nietzschéennes, les influences schmittiennes.

L'amitié, comme l'inimité, est politique. « Il s'en déduit que tout antagonisme devient politique dès qu'il atteint un certain seuil d'intensité ». Et qu'il s'agisse de politique pure comme de littérature et de philosophie. Une amitié profonde ou un amour fatal ne résiste pas à un désaccord métaphysique.

Houellebecq, Cioran, Chesterton : des gens grâce auxquels je me suis construit et qui fait que les attaquer ou les déprécier, eux, c'est m'attaquer et me déprécier, moi. Quelqu'un, par exemple, qui serait complètement insensible à Houellebecq, ou pire qui arguerait que celui-ci se trompe du tout au tout sur l'époque ne peut être compatible avec moi. Et en même temps, je suis bien obligé de reconnaître qu'il n'y a rien de plus palpitant que d'être nié dans ce que nous avons de plus intime, de plus sacré, de plus eschatologique. Faire l'expérience infernale du glaive, de la distinction, du sacrifié - dure et incroyable expérience, aussi fondatrice que la première. Quelqu'un qui ose penser différemment de nous sur tel ou tel point fondamental. Quelqu'un qui ose avoir une autre théologie. Dès lors, impossible d'éviter la guerre - ou la rupture. Au moins, la frontière.

C'est que la politique pure implique la frontière, c'est-à-dire la terre. Au contraire, la mer, qui ne connaît pas de frontières, est du côté du commerce, des échanges, de l'argent - du liquide. Logique tellurique de la politique. Logique maritime de l'économie.Notre monde post-moderne est en effet un monde liquide, celui des flux et des reflux, de l'indistinction océanique, du remplacement du solide et du durable par le transitoire et l'éphémère, des monstres marins et des pirates (métaphores des capitalistes), des abysses universalistes - contrairement à la terre particulariste.
 
Le paradoxe est que cet universalisme indifférencialiste conduit autant à l'abolition des frontières (ethniques, sexuelles, adultes/enfants - symbole Michael Jackson, noir qui a voulu devenir blanc, homme qui a voulu devenir androgyne, adulte qui n'a jamais voulu sortir de l'enfance) qu'aux guerres idéologiques totales où au nom de l'humanité on nie l'humanité dans son altérité. Les droits de l'homme contre l'homme. Le féminisme contre les femmes. L'égalitarisme contre la tradition. L'anti-racisme contre l'étranger. L'universel contre l'univers. Et tout cela à cause du monothéisme primitif, du christianisme universaliste, du salut pour tous, du Même contre les autres. Dit comme ça, évidemment, on se sent tout con de penser le contraire - et même si c'est le contraire qui est vrai. Car sans Même, pas d'Homme. Sans Même, pas d'amour.
 

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15 - Anti-libéral

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Encore et toujours, le libéralisme désigné, à partir des années 80, comme« l'ennemi principal » et « le système de pensée le plus nuisible et le plus contestable » - qu'il soit de droite économique ou de gauche sociétale - et en insistant bien sur le fait qu'il est absolument impossible que la première n'aille pas de pair avec la seconde. C'est tout le problème : peut-on être libéral ET conservateur ou socialiste ET libertaire ? NEIN, assure Deub's comme tous les anti-libéraux conséquents : la loi du marché, c'est le mariage pour tous ; le triomphe du capitalisme, c'est le triomphe du désir individuel ; le trader est un bobo et le bobo est un trader (pour ne pas dire un serial killer, comme le feraient remarquer un Houellebecq ou un Bret Easton Ellis). Le libéralisme est bien ce serpent de mer dont on n'arrive jamais à se débarrasser et qui aura corrompu autant la droite que la gauche. Le libéralisme où ce qui, à force d'accorder chaque désir à chacun, provoque la guerre de tous contre tous.

 

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En suis-je convaincu ? Après tout, Clouscard, Houellebecq, et mes amis Sophie B. ou Pierre Balmefrezol disent la même chose.... Mais c'est fort que moi, je n'arrive pas à me débarrasser du libéralisme historique et je crois que c'est impossible de le faire quand on est un occidental. L'histoire de l'Occident, c'est l'histoire du libéralisme.

Face au marxisme, Deub's a une attitude ambivalente : il rejette sa vision eschatologique, universaliste, progressiste,« typiquement judéo-chrétienne » (le Christ étant assimilé au prolétariat, l'Histoire ayant un sens, etc) mais adhère à sa théorie de la liberté« qui vise à permettre à l'homme de se réapproprier son propre » - mais cet homme, qui est-il, Deub's, s'il n'est pas universel ?

Non, l'idéal pour lui, c'est le fédéralisme, « la meilleur des formes de gouvernement » qui résout le problème de l'articulation de l'Un et du Multiple. « C'est un système holiste, puisqu'il conçoit le tout comme plus que la simple somme de ses parties, mais c'est en même temps un système antiréductionniste puisqu'il préserve la multiplicité et le polythéisme des valeurs », évitant ainsi l'anarchie des individus aussi bien que la tyrannie du pouvoir central. Une sorte de régionalisme impérial qui, contrairement à ce qui se passe dans l'Etat-Nation honni où tout est centralisé, cadenassé et finalement aboli, rend raison à toutes les différences sans pour autant que celles-ci s'éparpillent. L'intégration n'est plus assimilation façon jacobino-zemmourienne, mais plutôt intégration girondino-onfrayenne.

« La construction politique se fait à partir de la base et non du haut »

Et de citer les empires romain, byzantin, germanique, ottoman comme modèles d'organisation politique. On finirait par être séduit.

Le libéralisme tue l'enracinement - tel est le présupposé de l'anti-libéral.

« L'hypothèse libérale est celle d'un individu séparé, désencombré et autosuffisant, qui cherche à maximiser ses avantages en opérant des libres choix, volontaires et rationnels, sans que ceux-ci soient censés résulter des influences, des expériences, des contingences et des normes propres au contexte social et culturel dans lequel il vit. Les individus tirent de leur "nature" des droits antérieurs et indépendants du fait social. Il en résulte que les intérêts et les fins des individus sont en quelque sorte déterminés par leur seule nature individuelle. Dans cette perspective, aucune appartenance ne saurait évidemment être constitutive de l'individu, sous peine de porter atteinte à sa liberté. Comme toutes les théories déontologiques, la théorie libérale place par ailleurs le juste avant le bien, d'abord parce que les droits individuels ne doivent pas être sacrifiés au bien commun, ensuite parce que les principes de justice qui spécifient ces droits ne peuvent être fondés sur une conception particulière du bien. Il s'en déduit que l'Etat doit rester neutre. Le rôle de l'Etat n'est pas de rendre les citoyens vertueux, ni de promouvoir des fins particulières, ni même de proposer une conception substantielle de la vie bonne, mais seulement de garantir les libertés politiques et civiles fondamentales, de façon à ce que chacun puisse poursuivre librement les fins qu'il s'est fixées. »

 

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Pas d'obligation nationale ni militaire ni collective ne même contractuelle dans une société libérale. Tout à discrétion de chacun. Pour le libéral, rien de ce qui était avant lui ne compte pour lui. Tout ce qui compte, c'est lui, ses choix, sa volonté, son devenir. Le libéral ne croit qu'au devenir soi.

Le libéral, c'est Jacques Attali, le hors-sol, celui qui ne parle que d'"agir", de "se prendre en main", "sans attendre indéfiniment des solutions miraculeuses", "de devenir soi." (Au secours, Eric Zemmour !)

 

 

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Le fameux échange Zemmour / Attali (cliquer sur l'image).

 

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16 - "Je ne collabore pas avec la police".

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« Ce que j'ai voulu faire de ma vie est simple. J'ai voulu définir et proposer une conception du monde alternative de celle qui domine actuellement, et qui soit en même temps adaptée au moment historique que nous vivons. Tous mes écrits ont été ordonnés à cette tâche, à laquelle j'ai voué mon existence au point de lui donner la priorité par rapport à toute autre considération, parfois outrageusement (...) »

Réécrire le monde. Redonner du sens au politique. Et trouver l'Europe.

« Si l'on met de côté l'Action Française, qui a été un phénomène tout différent, puisqu'il s'agissait d'un mouvement politique, je ne vois en France aucun autre exemple d'une école de pensée [que la Nouvelle Droite] ayant fonctionné de façon ininterrompue pendant près d'un demi-siècle (...) »

Repenser la France. Refonder la France. Refaire entrer la France dans l'Histoire.

« ... à ceux qui viennent me demander naïvement si, à mon avis, il vaut mieux dans les circonstances présentes donner la priorité à l'action ou à la réflexion, je leur réponds toujours qui faut donner la priorité à ce pour quoi on se sent le mieux fait. On ne choisit pas de porter une casquette plutôt qu'une autre en fonction des circonstances ! (...) »

Devenir ce que l'on est.

« Cela [le terrorisme intellectuel pendant les années Mitterrand & Chirac] a abouti à la pensée unique (....). Prenons mon exemple personnel. Jusque dans les années 80, je faisais paraître assez régulièrement des tribunes libres dans Le Monde. Mes livres étaient publiés chez Robert Laffont, Albin Michel, Plon, La Table Ronde, etc. De surcroît, ce n'est jamais moi qui les proposais à ces éditeurs, mais les éditeurs en question qui me les demandaient. Après 1990, il n'en a plus été question, et j'ai dû me rabattre sur des éditeurs plus marginaux. Comme il est très improbable que je me sois mis à écrire soudainement des choses insupportables, il faut bien en conclure que c'est le climat qui avait changé. Peut-être les choses sont-elles aujourd'hui en train de tourner - dans le domaine des idées, il me semble que l'on assiste à un léger réchauffement climatique -, mais pendant près de trente ans, cela a vraiment été les années de plomb. »
«  - Mais ces attaques sont allées jusqu'où ?
- Jusqu'à des attaques physiques

[Et d'en raconter une en février 93 à Berlin où il participait à un débat.... contre le racisme et pour l'identité des peuple et pendant laquelle il fut pris à partie et roué de coups par des antifas. Interrogé alors par la police qui lui demande de reconnaître ses agresseurs, il ne les dénonce pas.]

- Pourquoi donc ?
- Je ne collabore pas avec la police. »

Bizarre et courageux bonhomme.

 

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17 - Mal absolu

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alain de benoist,mémoire vive,éléments,gauche,droite,joeffrey lannisterMal absolu -« Aucun régime, même le pire, n'a jamais représenté le mal absolu, car le mal absolu n'est pas de ce monde. Les totalitarismes nazi et stalinien ont été des régimes exécrables mais, s'ils avaient été le mal absolu, ils n'auraient jamais séduit personne. La diabolisation rend inexplicables les adhésions, les enthousiasmes qu'ils ont suscités. Il en va de même des idéologies les plus fausses : si elles ne contenaient pas une part de vérité, elles n'exerceraient aucune influence. Au surplus, les idéologies ne sont pas des systèmes étanches. Il y a toujours des passerelles qui peuvent les relier entre elles. Dans la vie réelle, il n'y a que des systèmes plus ou moins préférables, ou plus ou moins détestables (....) »

Haine égalitaire, mépris hiérarchique -« LA HAINE EST PLUTOT DE GAUCHE TANDIS QUE LE MEPRIS EST PLUTOT DE DROITE. Le mépris s'exerce du haut vers le bas, tandis que la haine exige une perspective plus égalitaire : si tous les hommes se valent, il n'y a que la haine pour justifier leur exclusion absolue (...) »

Admirer son adversaire - « Cependant, il y a aussi à droite un thème que l'on ne trouve que très rarement à gauche : c'est l'estime pour l'adversaire, non pas bien qu'il soit mon adversaire, mais au contraire parce qu'il est mon adversaire, comme le dit Montherlant, et parce que je l'estime à ma mesure. C'est au fond, le principe du duel, qui dérive de l'éthique de l'honneur, et c'est aussi une forme de générosité : être capable d'admirer son ennemi sans cesser de le combattre pour autant. Le mépris lui aussi relève de l'éthique de l'honneur, tandis que la haine se rattache à la morale du bien et du mal absolus (...) qui reste de ce point de vue robespierriste : l'ennemi est une figure du Mal. (...) »

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Amour du beau geste (à droite) -« De même à droite, le talent est souvent regardé comme une circonstance atténuante, alors qu'à gauche il est plutôt une circonstance aggravante. Parce qu'elle a souvent une conception esthétique de la politique, la droite est plus sensible au beau geste, à la façon dont on fait les choses, aux qualités de caractère. (...) A gauche, si une l'adversaire est un grand écrivain, un grand savant, un grand peintre, un grand sculpteur, un grand cinéaste, il n'en est regardé que comme plus dangereux.(...) »

Sectarisme (gauche) -«Vous remarquez aussi que lorsqu'un homme de gauche tient des propos de droite, les gens de droite applaudissent, tandis que lorsqu'un homme de droite tient des propos de gauche, les gens de gauche jugent aussitôt qu'il n'est pas net, qu'il cherche à se démarquer, à récupérer, etc. Toujours le sectarisme. »

 

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18 - De quelle droite suis-je le nom ?

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« Il y a bien des choses qui m'insupportent à droite. Son passéisme (...), sa façon de n'envisager l'avenir qu'à travers le rétroviseur (...), son "déplorationnisme" (ironie ricanante, pleurnicherie et ronchonnement perpétuel, qui sont autant de marques d'impuissance), son incapacité à remonter aux causes réelles de ce qu'elle déplore, sa propension à se lamenter sur les conséquences dont elle persiste à chérir les causes

[Bossuet super star cité par Zemmour, Polony, Finkie, et souvent les uns contre les autres...],

sa paresse intellectuelle et son incapacité à débattre, son manque de structuration idéologique, sa détestation des intellectuels et son allergie au travail de la pensée, son goût des boucs émissaires ("les hommes en trop" dont parlait Claude Lefort) et sa façon de s'en prendre à des catégories de personnes plutôt qu'à des idées, sa xénophobie, sa manière de créer en permanence les conditions d'une guerre civile qu'elle condamne hautement par ailleurs, son complotisme et son conspirationnisme (la causalité diabolique), son mépris des questions sociales et parfois du peuple, sa méconnaissance totale des doctrines économiques, son indifférence à la question de la vie sociale et du lien social (...),

 

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son élitisme de principe, son goût excessif de l'ordre - qui n'est souvent qu'un désordre établi - au détriment de la justice, et de l'autorité (la "trique") au détriment de la réciprocité, son sexisme fréquent, sa mentalité obsidionale (la droite adore les "maudits", les "réprouvés", les "hérétiques") et son goût de l'entre-soi (le "ghetto"), son admiration pour les défaites héroïques, de Camerone à Dien Bien Phu, et sa tendance à toujours livrer des guerres qu'elle a depuis longtemps perdues (...), son goût de l'ésotérisme, aboutissement logique de son élitisme et de son conspirationnisme, son incapacité à faire son autocritique et à tirer la leçon de ses échecs ("non, rien de rien, je ne regrette rien" -----> remarque, les marxistes, non plus !],

son incapacité à comprendre l'essence du politique, chez elle presque toujours rabattue sur l'héroïque ou l'esthétique, c'est-à-dire finalement sur un spectacle propre à enflammer l'imagination et à nourrir des nostalgies, sa naïveté proprement impolitique, son incapacité à raisonner sur le long terme, son goût de "l'homme providentiel", son pessimisme ("tout est foutu", "c'est la décadence totale") qui parfois s'inverse brusquement en optimisme apocalyptique ("tout va péter !") ou en volontarisme activiste ("il suffit de vouloir !"), son conformisme (derrière l'apologie des sociétés traditionnelles, on découvre bien souvent le goût des vertus bourgeoises), son ordre moral, sa haine des "utopies généreuses" qui n'est souvent qu'une haine de la générosité tout court, son naufrage dans la métaphysique de la subjectivité, et son indifférence à la vérité ("le vrai n'est que ce qui est bon pour nous"), son "égoïsme sacré", son incapacité à tenir compte des facteurs psychologiques, son fréquent darwinisme social (proclamer que "la vie n'est qu'un combat'", c'est faire bon marché de l'altruisme et de la coopération), son apologie de la guerre et des valeurs guerrières, qui oublie que le but de la guerre, c'est la paix, son allergie à l'Autre et sa conception essentialiste de l'identité, son caractère essentiellement "réactif" (elle ne "marche" qu'à l'enthousiasme, à l'admiration, à l'indignation ou au dégoût) et non pas réflexif, son inaptitude à l'analyse du moment historique, sa tendance à diaboliser l'adversaire, la constance avec laquelle elle s'est trompée d'ennemis, etc. Faut-il vraiment poursuivre ? »

Ouiiiiiiiiiiiiiiii.... C'est tellement moi ! J'adore.

 

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(...)

«... la droite n'a jamais eu de grands théoriciens de l'économie. François Perroux et Maurice Allais font figure d'exception. C'est en partie pour cela qu'elle a progressivement cédé à l'orléanisme. (...) La raison en est que beaucoup de gens de droite pensent au fond que les pauvres et les chômeurs méritent leur sort.(...) D'où son son incapacité à se saisir en profondeur du problème de la domination sociale ou de la réification des rapports sociaux (...). Dans le meilleur des cas, la droite s'en est tenue à une "critique artiste" du capitalisme - le capitalisme comme règne du "philistinisme bourgeois" (Flaubert) - sans jamais aller au fond des choses. »


(...)

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[Sur l'anti-intellectualisme viscéral de la droite] :

« Pour la droite radicale, les intellectuels ne comprennent pas la priorité de l'action, qui relève immanquablement de "l'urgence". Pour les libéraux, les intellectuels sont de doux rêveurs qui perdent leur temps à couper les cheveux en quatre, à jouer avec des concepts, voire à enfiler les mouches. (...)

Aujourd'hui, la droite qui, comme je l'ai dit, est toujours plus réactive que réflexive, n'a pas tant des idées que des convictions. Les convictions ne relèvent pas du travail de la pensée. Elles sont un substitut de la foi. C'est pour cela que les gens de droite se soucient rarement de les faire évoluer, et cherchent plutôt à les condenser sous la forme d'un petit catéchisme, d'un ensemble de slogans qui leur permettent d'éviter d'avoir à penser.

La droite a toujours préféré les discours édifiants aux discours systématiques (...). Elle préfère admirer plutôt qu'apprendre. Il lui est indifférent d'avoir raison en soi, tant la seule chose qui lui importe est d'avoir raison pour soi. Elle a souvent même un problème avec l'intelligence, raison pour laquelle elle préfère se référer au "bon sens", voire aux "instincts". (...)

 

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Michel Marmin disait récemment que c'est en fait dans la littérature, beaucoup plus que dans les oeuvres théoriques, que les hommes de droite ont le mieux exprimé leur conception du monde. C'est tout à fait vrai. Il suffit de penser à Chateaubriand, à Balzac, à Gobineau, à Barbey d'Aurevilly, à Paul Bourget, à La Varende, à Marcel Aymé, à Jean Anouilh, aux "hussards", aux "anarchistes de droite" et à tant d'autres. Maurras et Barrès ont eux-mêmes été des hommes de lettres au moins autant que des théoriciens. Quant au fascisme français, il a surtout été un fascisme littéraire. Il y a par ailleurs un goût très droitier pour ce qui est brillant, mais superficiel, plutôt que pour ce qui est profond. A bas niveau, cela se traduit par la fascination pour le bon mot, la blague de potache, la farce politique - des Copains de Jules Romains à la campagne en faveur des "Poldèves". (...) La gauche est sérieuse au pire sens du terme, mais la droite manque de sérieux de façon désespérante. »

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19 - De quelle gauche êtes-vous le nom ?

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« CE QUE JE REPROCHE A LA GAUCHE, c'est d'abord son universalisme, qu'elle a hérité du monothéisme judéo-chrétien (...) Dans une telle perspective, tout ce qui distingue les cultures et les peuples est nécessairement gommé, ignoré ou considéré comme inessentiel. La gauche ne voit pas que nous n'appartenons à l'humanité que par la médiation d'une culture singulière. C'est pour cela qu'elle attache autant d'importance à la "France des Droits de l'Homme", laissant entendre que son principal titre de gloire est d'avoir proclamé de façon surplombante l'identité des droits humains [d'où son colonialisme tout azimut au XIX ème et au XX ème siècle qui n'est qu'une forme d'ethocentrisme larvé.] (...)

Cet universalisme explique la préférence de la gauche pour l'égalité arithmétique plutôt que pour l'égalité proportionnelle. La gauche a tendance à identifier l'égalité à la Mêmeté, d'où toute une série de tensions entre universalisme et défense de la cause des peuples, entre féminisme identitaire et féminisme égalitaire, entre l'antiracisme et la critique du communautarisme, etc.(...)

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L'universalisme, en outre, amène à tenir les frontières pour inexistantes ou du moins à les considérer comme nuisibles, en s'imaginant qu'elles visent d'abord à exclure, alors qu'en réalité elles protègent. (...) La gauche n'aime pas les limites. C'est pourquoi elle s'est si souvent engagée dans leproductivisme à outrance, rivalisant en cela avec le capitalisme libéral. La logique du toujours plus relève aussi du prométhéisme, qui est l'idéologie de la démesure. La gauche ne croit pas à un donné préexistant à tout acte créateur. Elle croit aux pouvoirs illimités de la volonté rationnelle, sur le modèle biblique de la volonté de Dieu qui crée ex nihilo sans être conditionné par quoi que ce soit. (...) [LA GAUCHE EST CONSTRUCTIVISTE.]

Si l'erreur de la droite est trop souvent de croire que rien ne doit jamais changer, l'erreur de la gauche est, à l'inverse, de croire que tout est possible (...)

Anthropologiquement parlant, la gauche a une conception gravement déficiente de la nature humaine. Par optimisme, ou par irénisme, elle s'interdit de voir que le mal est en l'homme, tout autant que le bien, ce qui l'empêche d'identifier les racines exactes de ce qu'elle déplore dans la société. (...)

 

 

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La gauche, du fait de son universalisme, préfère les morales déontologiques aux morales arétiques. A l'éthique, elle préfère la morale, et la morale dont elle se réclame donne la priorité au juste sur le bien. Par ailleurs, tandis que la droite radicale a une vision adolescentiste de la politique, qu'elle ramène à l'éthique, la gauche radicale a une vision infantile de la politique, qu'elle ramène à la morale. Idéal héroïque d'un côté, idéal fusionnel de l'autre. Modèle du père d'un côté, modèle de la mère de l'autre, mais même incapacité à résoudre son Oedipe. Parce que la gauche donne la priorité au juste sur le bien, sa critique sociale se borne souvent à dire que le monde est "injuste", qu'il faut le "réparer" pour le rendre plus juste - idée qui, elle aussi, provient de la Bible. C'est pourquoi sa critique de l'injustice sociale tombe souvent dans le dolorisme. Toute domination étant injuste à ses yeux, elle prend systématiquement le parti des humbles et des opprimés, non pour les aider à devenir plus forts, mais pour affirmer la supériorité de la faiblesse et de l'humilité. Les dominés seraient en tant que tels des élus promis à la rédemption. Je suis tout à fait allergique à cette idée oblative de justes souffrants et rédempteurs, rédempteurs parce que souffrants et souffrants parce que justes. Une telle attitude ne relève pas du socialisme mais de l'esprit des Béatitudes, c'est-à-dire de l'apologie de la faiblesse et de la haine de la puissance [quel nietzschéen conséquent, tout de même !] (...) Je crois qu'on peut dénoncer la raison du plus fort sans pour autant déconsidérer la force (...)

 

 

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Ce que je reproche enfin à la gauche, c'est son adhésion à la théorie du progrès. L'erreur de la théorie du progrès, c'est d'abord son historicisme : l'idée que l'humanité est appelée à évoluer de façon solidaire dans une direction donnée, dont on on pourrait prévoir à l'avance le point d'aboutissement (...) »

[Et de nous rappeler le coup du "ruban de Moebius" cher à Michéa qui voit le libéralisme sociétal de gauche rejoindre le libéralisme économique de droite qui dans tous les cas profite au marché total et cela même si gauchiste et droitistes se rejettent inlassablement la patate chaude du libéralisme.]

 

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20 - Un battement d'aile

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« Là où est la justice, là est la patrie », écrivait Proudhon,cité par Deub's. A quoi on pourrait rajouter la célèbre formule de Simone Weil : « Il faut toujours être prêt à changer de camp avec la justice, cette fugitive du camp des vainqueurs. »

Eh bien non, désolé,moi, j'en suis incapable. De changer de camp au nom de la justice. D'abandonner les miens parce que la vérité est ailleurs. « Je préfère ma mère à la justice », comme disait Camus. Je ne trahirai pas les miens ou moi-même pour la justice. Mais je trahirai la justice pour nous. Péché contre l'esprit saint ? Peut-être. Mais je crains qu'on soit beaucoup à le faire. Il me semble que vivre, à un certain moment, c'est assumer la part satanique de soi-même. Si être chrétien, c'est dire oui à Léonarda, eh bien, que Dieu me le pardonne, je ne le suis pas (au deux sens d'être et de suivre.) Si être chrétien, c'est ne pas être Charlie, eh bien je serai un Charlie chrétien, quitte à déplaire aux deux camps. J'en suis bien désolé, mais à un certain moment, je ne puis aller contre mes sentiments, mes intérêts, mes frontières, mon identité. Je ne peux aller contre mon foyer, ma patrie, mes traditions, ma culture  - tout ce que Simone Weil appelait les metaxu, soit tout ce qui "réchauffe et nourrit l'âme et sans lesquels, en dehors de la sainteté, une vie humaine n'est pas possible." Et j'attends impatiemment qu'on me jette la première pierre.

 

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En même temps, et comme l'écrit Deubs, « je me sentirai toujours plus proche d'un étranger qui partage mes idées que d'un compatriote qui leur est hostile. » En clair, je préfère un arabe converti au christianisme qu'un français converti à l'islam. Un indien de droite plutôt qu'un parisien de gauche. Un vénusien qui partage mes goûts plutôt qu'un terrien qui en a d'autres. La vérité, ce n'est pas moi, non, ça serait présomptueux. La vérité, c'est ce que j'aime, ce que je crois, à quoi je tends et que je tente de rassembler autour de moi. La vérité, c'est ce qui fait surgir le désir en moi et qui la recherche. Simone Weil, que ne cite pas précisément Deub's, ne disait pas autre chose :

"Le désir est mauvais, mensonger, mais pourtant sans le désir, on ne rechercherait pas le véritable absolu, le véritable illimité. Il faut être passé par là. Malheur des êtres à qui la fatigue ôte cette énergie supplémentaire qui est la source du désir."

Après cela, étonnez-vous que je ne suis pas tellement kantien... Même si Dieu est le suprême désir.

Mon mépris de l'argent va de pair avec mon incontinence financière et les quelques petites contrariétés meurtrières que cela entraîne de temps. Ce mépris de l'argent n'est rien d'autre qu'un second péché contre l'Esprit saint au sens où celui qui est prodigue compte sur les autres et n'est pas loin d'avoir une mentalité de parasite, voire d'esclavagiste. Celui qui méprise l'argent méprise le travail. J'irai donc deux fois en enfer - pour mépriser l'argent autant que la justice. Car, comme Deubs, « je ne vérifie jamais une addition au restaurant, je ne vérifie pas les relevés que m'envoie ma banque tous les mois, je ne regarde jamais le prix d'un livre que je veux acheter » - mais contrairement à lui, je n'en fais pas un acte de foi. Au contraire, dès que je me retrouve à découvert, j'ai l'impression de faire un péché mortel (la prodigalité n'étant que l'inverse de l'avarice) et celui-ci, auquel, bien entendu je ne renonce pas, me fait cruellement honte et me met dans tous mes états. Si un jour, je me suicide, ce sera parce que je n'ai pas pu me payer des oursins au Suffren. Car le bonheur, comme l'écrivait Aurora, « c'est avoir une bière au moment où l'envie de bière vous traverse l'esprit ».

 

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Sinon, je suis très hostile à l'idéologie du gender, mais ça, on le sait, donc je passe vite. J'admets que le sexe ne fait pas tout le genre mais je suis bien obligé de reconnaître, et surtout de faire reconnaître, que dans l'immense majorité des cas, le genre ne fait que prolonger le sexe - et que si, l'anatomie fait aussi partie du destin. Et que le destin des hommes et des femmes se situe dans la dissymétrie originaire.

Je suis évidemment d'accord avec la distinction raymond abellienne entre« les femmes originelles » (les plus nombreuses), « les femmes guerrières »(en nombre croissant de nos jours, ce qui me réjouit, pensez, ma chère Bati !) et « les femmes ultimes » (les grandes inspiratrices) qui nous protègent, moi en tous cas, des premières. Le sexe, dans tous les cas, est d'extrême droite. Et la vie est "un combat permanent entre le prosaïque et le poétique" - si Edgar Morin a dit une chose intéressante dans sa vie, ce sera celle-là.

 

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[Libéral au sens classique, français à l'identité européenne, catholique pour raisons intimes et culturelles, iconodule intégral (et donc assumant tout à fait l'héritage païen du christianisme), je n'ai en moi aucun instinct révolutionnaire et encore moins dissident.  Que l'on critique l'Occident tant que l'on veut du moment que l'on ne prenne pas partie physiquement contre elle, voilà mon seul credo. Le reste est nihilisme. L'islamisme reste la barbarie absolue d'aujourd'hui et ce ne pas la peine de « fêter » les 70 ans de la libération d'Auschwitz et de répéter comme un âne « plus jamais ça », alors que ce « plus jamais ça »  a recommencé partout en terre d'Allah et parfois ailleurs quand Allah s'exporte. En fait, nos dissidents sont souvent des « chrétiens devenus fous », comme aurait pu dire Chesterton, qui ont trop bien intégré la culpabilité judéochrétienne et porté la charité là où il faudrait d'abord penser "oeil pour oeil". Les dissidents sont les nouveaux nihilistes - et ce n'est pas parce qu'ils stigmatisent notre décadence qu'il faut les laisser faire. L'islam ne nous "nettoiera pas". Eventuellement, nous soumettra... avec notre accord.]

Quoiqu'il en soit, nous vivons une mutation anthropologique sans pareil dans l'histoire de l'humanité, « comme il n'y en pas eu peut-être depuis la révolution néolithique » - et dont Facebook n'est pas la moindre.

« Nous vivons dans une époque fondamentalement déstructurée, invertébrée [beaucoup plus que "décérébrée" comme on le dit trop vite]. Le rêve de l'homme actuel, c'est l'indétermination et l'indistinction. Le corps lui-même a besoin, pour devenir un produit parfait, d'échapper à toute détermination. C'est la raison pour laquelle toutes sortes de choses qui se faisaient naguère de façon naturelle deviennent de nos jours problématiques, dépendantes de prothèses artificielles, des livres pratiques aux cellules de soutien psychologique. (...) »

Tout devient problématique à notre époque, même pisser debout ou assis. Et « la nouvelle sauvagerie », ou « ensauvagement » comme dirait Laurent Obertone, va de pair avec une nouvelle "hypersensibilisation" sociale et psychique.

« Après le libéralisme au XVIII ème siècle, le socialisme au XIX ème, le fascisme au XX ème, quelle sera la théorie majeure du XXI ème ?» - telle est la question en effet que l'on est en droit de se poser aujourd'hui, période « d'interrègnes » (Zwischenzeit) s'il en est. L'islamisme ? L'antiracisme ? Le transhumanisme ?

Pour le reste, eh bien, si nous ne changerons pas le monde, nous ne nous laisserons pas changer par lui (Jean Mabire). Nous nous épargnerons la honte de ne pas avoir essayé (Daniel Bensaïd). Nous nous nous persuaderons qu' « il n'y a pas d'échec, ni de temps perdu  car les prévenances du destin sont infinies. » (Abellio) Nous croirons en la"la vie qui est riche en possibilités infinies." (Tyrion Lannister à John Snow). Même pour un freak.

 

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A SUIVRE


22 - Eléments, n°154 - Ce que j'en retiens

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Le tournant, par Robert de Herte.

Mutations générales du monde. Incertitudes totales des terriens. Redistribution incessante et épuisante des cartes politiques, morales et géographiques. "Jamais on n'a assisté à un bouleversement aussi général."

Nos problèmes ? Ecologiques (épuisement des ressources naturelles), inter-ethniques (avenir des migrations internationales qui mettent à mal les identités et les peuples), militaro-économiques (nouvelles formes de guerre, celles du pétrole et de l'eau, du cyber et de l'espace), transhumains (fusion programmée du mécanique et du vivant, théorie du genre, mères ovuleuses et porteuses, enfants à vendre, foetus Amazon).

Nos ennemis ? Plus que la Russie (avec qui l'on rêve "Eurasie"), encore et toujours les USA "prêts à tout, strictement à tout, pour préserver leur statut de nation indispensable" --------------> Mais dans ce cas, quitte à être un vassal (ce que nous sommes depuis l'après-guerre), pourquoi l'être de la nouvelle Russie tsariste plutôt que de la bientôt vieille Amérique impérialiste ? Avec qui partageons-nous le plus de valeurs ? Les gens du Met. ou ceux du Bolchoï ? Depuis toujours, on aime détester l'Amérique, en France, autant qu'on aime aimer la Russie. Et l'extrême droite admire aujourd'hui Poutine comme naguère la gauche radicale admira Lénine. Mais moi ? Le serf que je suis préfèrerait-il, s'il devait quitter la France, s'installer à New York ou à Moscou ? Quelle meilleure soumission pour moi ? Et pour vous ?

"Après avoir tout détruit, le capitalisme, tel un scorpion, ne peut plus que se détruire lui-même" - sauf que le scorpion est justement l'animal qui survit à tout. Et puis, l'autodestruction du capitalisme.... Il y a toujours quelque chose qui ne me paraît pas crédible dans la critique totale et holiste qu'on fait de lui.  Parce que c'est grâce à lui qu'on a l'électricité et l'eau courante, non ? Le capitalisme, on feint tous de le mépriser mais on en jouit tous, non ? (Du moins en Occident, puisque les esclaves sont ailleurs...) LE CAPITALISME, CE N'ETAIT PAS LE PLAN MARSHALL, NON ?

Mais ok, suivons Deub's jusqu'au bout - puisque c'est le dernier post de la série. Va pour le déclin et l'apocalypse qui l'accompagne délicieusement, ce qu'il appelle "le processus sub-chaotique de décivilisation". Si guerre il y a, celle-ci se fera non pas tant entre le Nord et le Sud, entre l'Occident et l'Islam, comme les gens de droite en rêvent, mais encore une fois, entre l'Ouest et l'Est, entre la mer et la terre, entre "les forces thalassocratiques (système de l'argent) et les forces continentales (principe de réalité)". Et depuis que nous sommes revenus dans l'OTAN via Sarkozy et que Poutine a été désigné comme l'ennemi principal, cela va être très difficile de ne pas la faire, cette guerre-là.... Et comme plein de gens seront encore violemment anti-américains et violemment pro-russes, il pourra aussi y avoir un risque de guerre civile, tout au moins de grave désordre.

TRANSATLANTIQUE OU EURASIEN PLUTOT QUE MUSULMAN OU CHINOIS, TELLE EST LA QUESTION. 

 

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Michel Marmin (mes vingt Walsh !) interviewe Philippe le Guillou. On évoque Argol, Gracq, Brocéliande, le courant aurifère (et druidique) de la littérature française, la question du catholicisme celte ou du celtisme catholique, mais aussi le Ludwig de Visconti, Drieu, Raspail, Pompidou, enfin les Stèles à de Gaulle, pendant de L'écriture de Charles de Gaulle, de Dominique de Roux. Exaltant et étrange.

Ludovic Maubreuil fête "P'tit Quinquin", de Bruno Dumont,à sa manière inimitable : force d'un cinéma qui croit en l'imprévisibilité de la vie, faite"d'Epiphanie et filigrane", qui se passe de moraline (pas d'anti-racisme triomphant ici, et encore moins de "vivre ensemble" qui "calmerait le jeu" et cela sans aucun mépris pour ses personnages - ce qui va de soi : plus on est moral, plus on méprise le monde et moins on l'est, plus on lui rend raison, y compris celui de ces bouseux asociaux ou de ces handicapés mentaux), qui sait tenir à distance autant "l'effet de réel qui fascine à bon compte que le symbolique qui désincarne", qui ré-enracine encore et toujours (le Nord) sans pour autant christianiser (ce qui se discute). En tous cas, c'tait bien torché, Carpentier ?!

 

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Dans les pages Cartouches, on rappelle combien Zeev Sternhell continue à affirmer l'idée que la France est le berceau du fascisme et qu'un livre collectif, Fascisme français ? - la controverse, sous la direction de Serge Bernstein et Michel Winock, remet en place. On interroge ensuite le mythe helléno-germanique (les Allemands ont-ils les Grecs du XIX ème siècle ?). On fait de Sade le visionnaire du néo-libéralisme (eugénisme + social-darwinisme) en stigmatisant l'anthropologie négative du libéralisme, à savoir cette idée, forcément discutable mais si séduisante, que "les vices privés font le bien public", que plus on est âpre au gain, avide et cupide, plus on crée de la richesse et plus tout le monde en profite, que l'égoïsme est une forme secrète d'altruisme, que du mal sort le bien (La fable des abeilles, de Mandeville, 1714).

Sinon, c'est toujours le christianisme qui est responsable d'avoir désenchanté le monde et fait de la nature un objet de science (Jean-Paul Castel, Sciences et religions monothéistes, l'inévitable conflit) et c'est pourquoi Homère contient plus de sagesse et d'intelligence que les trois monothéismes réunis (Jean Soler, Le sourire d'Homère). Même si c'est en Occident qu'on porte et qu'on pense encore le mieux sa propre critique, la raison comparaissant en permanence devant son tribunal - la raison étant elle-même son tribunal (Gilbert Larochelle et Jean-François de Raymond, La repentance. Le retour du pardon dans l'espace public).

De leur côte, Julliard et Michéa rappellent qu'en France, la conscience est plus "de peuple" que "de classe". Reste que l'alliance historique entre la gauche et le peuple "se défait sous nos yeux" et que c'est cela dont la vraie gauche devrait se soucier (Jacques Julliard et Jean-Claude Michéa, La gauche et le peuple).

Encore les druides, page 23 avec Les Druides, l'intégrale par Istin / Jigourel / Lamontagne. Mais quoi ? Encore Game of Thrones (et personne ne pourra dire que j'ai été hors sujet depuis 22 posts !)

 

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Question "science", eh bien, on est de plus en plus nombreux sur cette bonne vieille Terre. Rémi Brague a tort : l'explosion démographique ne s'arrêtera pas au XXIème siècle. On est 7,3 milliards aujourd'hui et on sera 9,6 milliards en 2050 et 10,9 milliards en 2100 -  et encore dans l'hypothèse moyenne, car dans l'hypothèse constante (taux de fécondité échangé), on serait 28,6 milliards en 2100, dont 17,2 milliards en Afrique. Il est clair que"plus il y aura d'humains sur Terre, moins la planète sera humaine."

A part ça, les femmes sont plus dépressives, car plus scrupuleuses, que les hommes, au boulot. Est-ce la raison pour laquelle l'humanité a déifié les femmes tout de suite et comme la nouvelle Vénus Callypige  préhistorique qu'on a récemment découvert à Amiens le prouverait encore ? Et puisque nous sommes dans la préhistoire, notons que c'est en Europe les premiers loups furent domestiqués il y a 32 000 ans et non au Proche-Orient comme on l'a souvent cru.

 

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De toutes façons, voici venir le temps des Multivers. Les anti-uniques l'attendaient depuis longtemps. Enfin les sciences officielles déconstruisent l'idée d'un cosmos unifié."L'univers homogène bat de l'aile", écrit Jean-François Gauthier, et cela grâce notamment au jeune astrophysicien Aurélien Barrau qui dans Des univers multiples en finit avec l'unicité de l'univers, l'idéologie du big bang et la physique théologienne mystique qui a fait de l'unité sa croyance primaire. "Cosmos-Un est mort ! Vive Cosmos au pluriel !"

Encore une fois,

monothéisme = mêmeté = mort

christianisme = universalité = globalité = capitalisme = mort.

Polythéisme = divers = régionalisme = cultures avec "s" = vie plurielle (mais aussi sorcellerie, occultisme, Mélisandre !)

 

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 Eric Zemmour et Alain de Benoist, enfin.

 « - Saviez-vous que vous êtes devenu une véritable star des prisons françaises ? J'ai rendu récemment visite à un ami à Fleury-Merogis et, comme il trouvait le temps long, je lui ai apporté quelques ouvrages, dont le vôtre. Vous le croirez ou pas : il est devenu une sorte de héros, celui qui était présumé vous connaître, et votre livre circulait désormais de cellule en cellule. Il y a en prison toute une population arabe qui ne jure que par vous. Les détenus défilaient pour lui demander : "alors t'as le Zemmour !", "t'as le Zemmour !"

- Cher Alain, savez-vous ce que vous aurait dit mon père ? Il a vécu 50 ans en Algérie et parlait très bien l'arabe. Je vais vous donner la clef de compréhension, car c'est mon père qui me l'a donnée. Il m'a toujours dit que les Arabes respectent l'honneur et le courage. Ils ne sont pas sur les idées : ils sont sur l'homme. Je me souviens que ses copains arabes m'aimaient beaucoup. Cette anecdote me touche et m'enchante au plus haut point. C'est très exactement ce que nos Précieuses Ridicules de plateaux télé, qui hurlent au moindre mot de travers, ne comprendront jamais. Elles ne peuvent pas voir la force des réalités humaines les yeux dans les yeux.

- J'ai été dernièrement à Montpellier pour une conférence. A la fin, un adolescent maghrébin me demande une dédicace pour son père. Je lui demande quel nom écrire. Il me répond : "à Mohamed, de la part de son fils qui l'aime". J'ai trouvé le geste attendrissant et moins anodin qu'il n'y paraît...

- Pour aller dans votre sens, j'ai vu ou lu récemment un entretien de Franck Ribery, un joueur de foot français de l'équipe du Bayern de Munich, dans lequel il explique sa conversion à l'islam. Cet homme, qui n'aligne pas trois mots en français correct, a tout simplement raconté avoir aimé la chaleur de la famille de sa famille algérienne qui l'a accueilli, un amour tel qu'il s'est approprié en retour l'histoire de l'Algérie. Rendez-vous compte : il a fait du Renan à l'envers ! »

 

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L'essentiel de la discussion (absolument passionnante) portera sur l'affrontement des deux gauches, la libertaire et la sociale, et le triomphe de la première depuis mai 68 ; la nouvelle lutte des classes entre les élites, citoyens du monde hors-sol et les enracinés tradi que l'on ne cesse de vouloir déraciner ; l'idéologisation sociétale dans laquelle on baigne plus que jamais ; la volonté de mener contre elle une politique gramscienne, soit une "guerre culturelle", et qui commence d'abord par la déconstruction systématique des déconstructeurs. Fascinant de voir le régionaliste impérial de Benoist s'opposer au jacobin bonapartiste Zemmour qui n'est"pour l'empire carolingien que si c'est la France qui en prend en la tête et contre si c'est l'Allemagne" - credo que d'aucuns trouveront fort peu déontologique, sinon logique, mais qui est bien le fait d'un homme qui ne trahit pas son camp, sa patrie, sa famille au nom de la justice. Tant pis, pour une fois, pour Simone Weil !

Mais si la République n'assimile plus, rétorque Deub's, ne faudrait-il pas alors changer de régime et fonder un empire des régions ? Car il est clair, et son interlocuteur assimilationniste le reconnaît, "on n'assimile les individus, pas les peuples". Or, ce sont bien les peuples qui s'installent de plus en plus chez nous - et peu à peu risquent de nous remplacer.  Quel sera alors le sens de notre "décence ordinaire" ?

A propos, ne faut-il pas en finir avec cette formule forgée par Orwell, figure intouchable de la nouvelle gauche populaire, et qui ne signifie rien à force de trop vouloir signifier et dont la seule vertu est intentionnelle ? C'est ce que propose le sociologue François de Négroni dans son article. Pierre Balmefrezol, tu as adorer...

 

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Pour une critique du concept de décence ordinaire, par François de Négroni. .

La "common decency" ou le passe-passe de tous"les intellectuels en débine" qui préfèrent rêver plutôt que faire la révolution. La "common decency" ou la négation absolue de la sociologie.  La "common decency" comme recherche d'un prolétariat mythifié, fantasmé et introuvable. La "common decency" ou la mystique affectée des bourgeois de gauche (parfois de droite) pour les petites gens, les vrais gens, les braves gens. Mais ça n'existe pas, les braves gens, à part dans la tête de Pierre Poujade ou de Patrick Sébastien. Pas plus que n'existe "le peuple", fausse notion par excellence. En vérité, les common decencystes ont une vision disneyenne du monde ni plus ni moins - d'un Disney d'un gauche et qui conduit au social libéral façon Tony Blair. De Eric Arthur Blair à Tony Blair ! CQFD.

"La common decency, une fois traversées les galantes apparences, renvoie davantage à la stratégie des puissants qu'à la spontanéité des dominés. C'est un principe d'économie. De régulation de la coexistence. L'ordre bourgeois introduit dans l'expression des rapports sociaux. La neutralisation symbolique de la lutte des classes à l'intérieur des territoires partagés, publics ou domestiques. La mise en scène cauteleuse et indolore d'un modèle culturel au sein duquel se dilue la dimension orale de servitudes non-volontaires. Cette ritualisation au rabais de la réciprocité dans les échanges interindividuels, qui conduit à confondre convivialité machinale et liens de fraternités effectifs, accomplit le projet de mystification unanimiste fomenté par les appareils idéologiques du pouvoir. Et elle ne colle à l'habitus populaire que sur le mode de la fiction, de la fétichisation pour mieux araser son potentiel insurrectionnel. Tel se révèle l'envers du décor frais et idyllique planté par le prestidigitateur Orwell, avec sa baguette d'Harry Potter : de la comédie, de l'euphémisation, du détournement, du mécanique plaqué sur le vivant."

Quant à Michéa, orwellien en chef, il n'est qu'un"grand benêt attendri"qui fait semblant de connaître le peuple, "un pleurnicheur incapable de résister aux vieux appâts de la solidarité organique, du groupe en fusion, du potlach", un ringard qui sert les intérêts de la world company sans le savoir.

Bien sûr, il faudra lire la réponse de mon ami David L'Epée et de Charles Robin. Mais Négroni n'a-t-il pas frappé au coeur des choses ?

 

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 Cher Michel Onfray, encore un effort.... "pour nous rejoindre" ? C'est vrai quoi ? Tant de points communs entre lui et la ligne éditoriale d'Eléments : anti-monothéiste, anti-freudien, anti-capitaliste, anti-pensée hémiplégique, anti-européen (de cette Europe là, technocrate, ultra-libérale, vulgaire), anti-mondialiste, anti-féministe (de ce féminisme qui s'émeut plus d'un mot de travers que de la burqa), mais nietzschéen de gauche, païen cosmique, hédoniste populiste. "La balle est dans votre camp, Michel Onfray." Exact.

(Encore que j'attends avec impatience le jour où ce dernier se rendra compte qu'après avoir dégommé Freud et Sade il se devra de dégommer Nietzsche.)

 

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Michel Foucault : notre siècle néolibéral porte son nom, par François Bousquet.

Le meilleur article de ce numéro pour le philosophe le plus influent notre époque transhumaine et post-identitaire, la sienne. Celui qui, dans un classement des penseurs les plus cités au monde,  arrive avant Bourdieu, Derrida, Butler, Heidegger, Marx et Nietzsche, est "revendiqué à la fois par les LGBT, l'ultra-gauche et les ultralibéraux", s'est imposé comme l' "évangéliste des minorités",  est devenu une"icône homosexuelle" - "a fucking saint"comme l'a dit David Halperin dans son Saint Foucault (1995). C'est en effet à lui doit des choses aussi fun que "le renversement du normal et du pathologique, le refus des assignations sexuelles, les études de genre, la politisation du corps, la revanche des minorités" et l'idée ultra cool que tout énoncé est énoncé lui-même d'un autre énoncé et ainsi de suite. Dans la lignée de Nietzsche : aucun fait, que des interprétations - et comme de ses collègues : aucune différence, que des différances (Derrida) ; aucune profondeur, que des effets de surface (Deleuze) ; aucune chose, que des mots (lui.)

Lu autant au PS qu'au MEDEF (par notamment Denis Kessler, ex-numéro 2 de cette vénérable institution), il est la référence obligatoire de tous ceux et de toutes celles  qui mènent une lutte comme dirait l'autre) de la société civile contre l'Etat, du soi contre le nous, de l'anal contre le social. Son coup de génie sera de mélanger l'individualisme libertaire soixantuitard et le structuralisme, "la nouveauté intellectuelle dérangeante de l'époque", soit le corps et le concept, le souci de soi et l'épistémologie, les plaisirs et les théories. Ajouté à cela une écriture ensorcelante, d'une perverse limpidité, et l'on comprendra pourquoi ce "sodolibéral", comme dit l'autre, est irrésistible.

"Plutarque des hommes infâmes", "à la poursuite d'un Eldorado de la perversion", anti-totalitaire jusqu'à la déréalisation du monde, "son oeuvre s'apparente à une opération de piratage philosophique" formidablement antisociale : c'est la raison qui crée la folie, c'est l'asile psychiatrique qui invente l'aliéné, c'est la prison qui fabrique le criminel, c'est la famille qui suscite le parricide, c'est la justice qui imagine le coupable. Et s'il anime au début des années 70 le Groupe d'Information sur les Prisons (GIP), ce n'est pas tant pour "qu'il y ait des chasses d'eau dans les cellules" que pour"arriver à ce que le partage social et moral entre innocents et coupables soit lui-même mis en cause."

 

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Avant "le Grand Remplacement", "le Grand Renfermement" ! (Bien sûr, c'est une des plus grandes erreurs de la philosophie contemporaine et le plus beau mythe foucaldien, comme le démontreront un jour Marcel Gauchet et Gladys Swain.)

Tant pis. Entre temps, notre roitelet chauve a découvert le néolibéralisme et lit avec passion Hayeck, Friedman, Becker. Ce qui le botte le plus, c'est le risque, le danger. "Pas de libéralisme sans culture du danger, se réjouit-il". Place au désordre, à la démesure, au dionysiaque, à la déconstruction orgasmique des choses. Plus géographe qu'historien et plus masochiste que sadique, Gilles Deleuze, son compère, parlera, lui, de déterritorialisation. Dans tous les cas, l'atomisation de la société est assumée comme telle. Vivent la dérégulation, le dérèglement et la dépense totale des devenirs !

"Ce n'est pas la liberté d'entreprendre qui retient son attention, mais celle d'expérimenter". Expérimentation des limites si possible (Bataille), des singularités, des multiplicités. Le marché offre tout ce que l'on veut. La main invisible de la diversité fera le reste. De toutes façons, "l'ensemble de la société est ce dont il ne faut pas tenir compte, si ce n'est comme de l'objectif à détruire".

EN DEFINITIVE, FOUCAULT AURA DESHONORE LE LIBERALISME.

 

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C'est le temps des expériences SM extrêmes. "Californication"à San Francisco. "Jouir sans entraves, le corps entravé". Le corps n'est qu'une construction sociale qui évolue au gré des modes, le sujet un objet de croyance comme un autre, l'homme lui-même un mirage, la vérité, une fiction. Tout est langage des signes, hasard des sens. "Les mots et les choses" sont en réalité "les mots sans les choses."

Mots fasciste. Langage fasciste. Réel fasciste. Ou ce que l'on veut en faire, car le réel n'existe pas - il n'est qu'une production conservatrice. Il faut changer de maison de production pour pouvoir mieux s'enculer et fouetter, voilà tout."Transhumanisme sans retour."

Politiquement, il fut tout, chaque chose en son temps. Gaullo-pompidolien, ultra-gauchiste, pro-mollah iranien, marxiste, libertaire, structuraliste, droit de l'hommien, pour tout abjurer à la fin de sa vie, en 1984. Il se sera bien marré.

 

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A moins qu'il ne se soit fuit lui-même toute sa vie. "Caméléon idéologique", son obsession aura peut-être alors été de se dessaisir de soi plutôt que de s'en soucier, de s'enfermer lui-même dans sa prison et son asile, d'anéantir son être plutôt que de l'affirmer. Quand on ne reconnait pas son péché, c'est-à-dire son être, on se damne, on se dénie. Quand on plaide pour la théorie du genre, c'est qu'on ne supporte pas le sexe. QUE DIT EN EFFET LA THEORIE DU GENRE SI CE N'EST QUE LE SEXE EST INDESIRABLE ? Foucault a voulu être un structuraliste sans structure, une pathologie sans norme, un savoir sans vérité, un mot sans chose, un verbe pur, sophistique - un verbe qui ne soit ni chair ni Dieu et qui hurle sans fin. Ecartelé comme Damiens.

Le plaignerons-nous ? Pas sûr.

Allons, si. C'est la semaine sainte, demain.

 

 

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Le grand retournement.

Comment la classe dirigeante a épuisé ses propres défenses immunitaires. Comment les "cordons sanitaires", "digues" et autres "fronts républicains" ont fait long feu. "Histoire d'une panique morale et d'un naufrage intellectuel".

Le succès de Zemmour comme symptôme social - et libération culturelle. Revanche populiste contre les élites.

Rejet massif de l'immigration par trois Français sur quatre. Sentiment de perte d'identité et non pas tant "ethnique" que morale, sociale, économique, territoriale. Contre tous les antiracistes de profession, il faut répéter que ce n'est pas l'Arabe ou le Maghrébin qui fait peur, mais l'islam. La France n'a jamais été raciste, mais elle tient à ses clochers et ses vignes, à ses curés et à ses bouffeurs de curé, à ses saints et à ses caricaturistes, à Jeanne d'Arc et la Pompadour. Marianne peut être black blanc beur du moment qu'elle n'est pas voilée.

Ras-le-bol général des inquisiteurs, qui traquent chaque mot de travers, des donneurs de leçon qui sèment la terreur déontologique et pour qui les mots sont les choses. Aveugles d'ailleurs au nouveau pivotement idéologique des uns et des autres : "extrémistes" de droite qui citent George Marchais, homosexuels qui rejoignent le FN, musulmans qui votent de plus en plus à droite.

Comme le dit encore Zemmour : "la droite a abandonné l'Etat au nom du libéralisme, la gauche a abandonné la nation au nom de l'universalisme, l'un et l'autre ont trahi le peuple."  Et ne rêvons pas : c'est la droite libérale qui est responsable de la gauche libertaire. Au moins, ces retrouvailles du libéral économique et du libertaire sociétal auront restitué au libéralisme "son unité idéologique".

[Mais pourquoi parler en termes de "monothéisme du marché", comme si le monothéisme était capitaliste en soi ! Passons, c'est bientôt fini...]

Ce que l'on refuse tous, c'est cet homme déraciné, "hors sol" et heureux de l'être, et qui est chargé de se construire à partir de rien, auto-suffisant et auto-fabriqué. Prométhée enchaîné à lui-même.

Pour autant, si la gauche a perdu la bataille des idées depuis dix ans, de l'aveu même de l'aveu de Jean-Christophe Cambadélis, c'est elle qui continue à dominer. Le pouvoir culturel, quoiqu'il soit sévèrement amoché, reste à gauche. Et c'est pourquoi l'on ne peut que saluer Richard Millet lorsqu'il écrit sur son blog : "je n'en peux plus m'en tenir à un détachement olympien (...). Je suis en guerre, je frappera sans relâche."

Alors, à quand le début de l'insurrection ? Difficile de le dire tant ce genre de phénomène a besoin d'une situation précise, à savoir la coïncidence entre une idéologie radicale et un mouvement social réel, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Même si...

 

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Ce qui frémit dans la jeunesse de notre pays, par Laurent Cantamessi.

Nouvelle jeunesse. Nouvelle révolte. Identitaires, "Zadistes", "Veilleurs", "Autonomes", sinon bacheliers djihadistes, autant de jeunes gens qui, même s'ils ne correspondent pas tellement au profil de l'ancien "djeun" génération Mitterrand, tentent de retrouver une identité perdue, de défendre une terre méprisée, de redonner un sens au monde et à leur vie, et encore une fois, en mélangeant les cartes et les principes. Alors, oui, quelque chose se passe en France. Sinon, se prépare.

En attendant, c'est le changement d'heure cette nuit. A deux heure, il sera trois heure.

 

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Pour approfondir :

- Sur l'illusion libérale, par Alain de Benoist (+ la petite vidéo expliquant le TAFTA).

- Sur la critique de la notion de "Common decency", "mythe dangereux et identitaire" selon Laurent Joffin dans Libération.

 

Pour tout recommencer

 

 

Simone Weil, la déflagratrice (1909 - 2009)

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"La vierge rouge".

Avant toutes choses, s’agenouiller. Se recueillir. Rendre grâce. Et pourquoi pas, tomber amoureux. La plus grande philosophe chrétienne du XX ème siècle était aussi une femme incroyablement séduisante malgré sa soi-disant mocheté. Les photos qui nous restent d’elle montrent d’abord une adolescente exaltée aux grands yeux curieux et profonds, à la chevelure noire, au cou de cygne, aux lèvres pleines. « Elle vous regardait par sa bouche », dira d’elle le poète Jean Tortel. Plus tard, ce sera cette jeune femme, pas mal godiche, qui joue au garçon, à l’ouvrier, au soldat. Je l’aime beaucoup avec son béret, sa pèlerine, ses bas de laine, ses grosses chaussures plates, ses lunettes d’intellectuelle, son air gavroche. Elle sourit toujours. Elle a l’air de s’amuser de la vie. Sur une photo, elle ressemble même à Harpo Marx. Quelque chose de profond et de goguenard dans le regard – quelque chose qui sent tout, qui voit tout, qui perçoit tout, et qui a l’air tellement plus fort que nous. Et puis, il y a son énergie, surhumaine quand on sait qu’elle est anorexique et migraineuse, sa conduite, souvent asociale et que d’aucuns qualifieraient de folle (eh oui elle est un peu folle, mais folle comme une sainte ! folle comme Jeanne d’Arc !), sa pensée, enfin, impitoyable comme le sont toutes les pensées chrétiennes mais qui chez elle dépasse tout ce qu’on peut imaginer en cruauté existentielle, et qui ferait passer Pascal pour un animateur de club Med ou Kierkegaard pour Joe le rigolo. D’autant qu’on ne sait jamais très bien sur quel pied danser avec elle. C’est qu’elle brouille les pistes, Simone. Mieux qu’infréquentable (au contraire, chacun recherche ardemment sa compagnie), elle est l’irrécupérable par excellence, nourrissant et contrariant tous les camps, quoique ne se réduisant à aucun.

Catholique anti romaine, helléniste christique, anarcho-platonicienne, stoïcienne mystique, révolutionnaire anti-communiste, syndicaliste attachée à l’ordre traditionnel du monde, pacifiste qui s’engage dans la guerre, bourgeoise qui va à l’usine, intellectuelle qui se veut manuelle, chahuteuse et tragique, celle qui se définissait comme « amante du malheur » et qu’un recteur d’académie, un jour de mauvaise humeur, appela la « vierge rouge », semble avoir illuminé toutes celles et tous ceux qu’elle a rencontrés durant sa courte vie. Sa légende de « sainte laïque » vient aussi de ces témoignages saisissants que l’on a recueilli et qui semblent ceux d’apôtres contemporains : Gustave Thibon, Simone Pétrement, le père Perrin, Marie-Madeleine Davy, Camille Marcoux, Maurice Schumann et tant d’autres.

En 1942, sa mauvaise santé ne lui permet pas de rejoindre la Résistance en France et elle doit se contenter d’un travail de coordinatrice à Londres dans les réseaux gaullistes. Par solidarité avec les Français de la zone occupée, elle ne se nourrit que par ticket de rationnement et meurt d’inanité l’année suivante au sanatorium d’Ashford, à trente-quatre ans - plus jeune que Mozart. D’aucuns disent que c’est un suicide alors que c’est une mort volontaire sacrificielle. D’après son biographe Georges Hourdin[1], elle demanda à son amie Simone Deitz, une juive catholique, de la baptiser[2] en juillet 43, un mois avant sa mort. Quelques années plus tard, on ouvrira ses cahiers et on tombera à genoux. Simone Weil, c’est Tertullien + sainte Thérèse d’Avila + saint François d’Assise + Giotto. Une perception inouïe de l’homme, « ce néant capable de Dieu » et de Dieu « qu’il nous faut aimer même s’il n’existe pas ». Une métaphysique paroxystique de la terre et du ciel. Et une façon d’aller jusqu’au bout de soi-même qui peut faire dresser les cheveux sur la tête. On se sent toujours indigne de lire Simone Weil et on a toujours un peu honte d’écrire sur elle. Notre pesanteur, elle nous l’a fait bouffer.

Certes, elle en agaça et continuera d’en agacer plus d’un. Son platonisme intransigeant, sa passion de la justice, « cette fugitive du camp des vainqueurs » et pour laquelle il faut toujours être prêt à changer de camp, son sadisme punitif, son obsession du dur, de l’âpre, de l’inconfort (sinon du malconfort) dans la pensée et dans la vie, son « égalitarisme supérieur », sa pureté dangereuse, ses tentations albigeoises, son anti-romanisme primaire, pourront sembler parfois plus que discutable. Impossible de toujours la suivre dans ses exigences morales ni surtout dans son comportement qui ferait passer une carmélite pour une rombière. En même temps, la dure stoïcienne se conduit parfois comme une Marie-Chantal - quand par exemple, un jour de 1936, elle refuse, par charité mal ordonnée et toute déplacée, que le syndicat, qui l’a envoyé en mission dans le Nord lui couvre les frais de son voyage, sous prétexte qu’elle est assez riche pour s’en charger elle-même. A cette surfemme christique il arrive de confondre le désintéressement avec l’insolence et la force d’âme avec une manière très cavalière de faire fi des obligations. Mais tant pis. Ses excès, ses erreurs mêmes, sont à la mesure de son génie. Elle stimule toujours. Se plonger dans son oeuvre, c’est risquer la déflagration spirituelle. Un mot d’elle et vous n’êtes plus le même. On parie ?

 

 

 

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Se faire chlorophylle

 

« Il faut,disait-elle, accueillir toutes les opinions, mais les composer verticalement et les loger à des niveaux convenables. »

Et encore :

« Tout ce qui est assez réel pour enfermer les interprétations superposées est innocent ou bon. »[3].

On dirait du Leibniz :à chaque pensée son cercle, à chaque point de vue sa part de vérité– non que la vérité ne soit pas unique et l’erreur pas multiple, mais tous les avis sont bons à prendre quand ils tendent, même contradictoirement, vers la vérité unique. C’est pourquoi l’on n’aura pas peur de compartimenter notre âme : telle partie de l’âme sera reconnue comme apte au rationnel, telle autre au surnaturel, celle-ci ne sera bonne que pour la pesanteur, celle-là que pour la grâce. Ainsi des mystères de la foi catholique qui

« ne sont pas faits pour être crus par toutes les parties de l’âme »,

et même de l’athéisme qui correspond bon gré mal gré à une partie de soi-même –

« Je dois être athée avec la partie de moi-même qui n’est pas faite pour Dieu »,

écrit-elle, consciente que cela heurtera certains esprits forts du catholicisme. C’est que tout en soi ne peut pas, ne doit pas croire en Dieu. Tout en soi n’est pas fait pour croire en Dieu, et

« parmi les hommes chez qui la partie surnaturelle d’eux-mêmes n’est pas éveillée, les athées ont raison et les croyants ont tort. »

Par ailleurs, aucune philosophie, aucune sagesse, aucune religion, luthérianisme compris, n’est proprement annulée par le catholicisme (même si sans doute celui-ci les transfigure toutes). Au contraire d’une tendance anti-intellectuelle du catholicisme, représentée par exemple par un Bernanos, Simone Weil refuse de sacrifier l’intelligence à la foi, la philosophie à la religion, la recherche au canon. L’Eglise est « dépositaire des sacrements et gardienne des textes sacrés » et a pour mission l’enseignement essentiel de l’Evangile mais en aucun cas n’a le droit de

« limiter les opérations de l’intelligence ou les illuminations de l’amour dans le domaine de la pensée. »

Autant de propositions qui, on le comprend vite, ne vont pas sans irriter certains catholiques qui se demandent alors qu’est-ce que c’est que cette « catholique » qui reconnaît au protestantisme une part de vérité et à l’athéisme une légitimité mentale, voire purificatrice ? A ces bons charbonniers de la foi, on aura envie de répondre que la vraie religion chrétienne n’est ni une superstition ni une idéologie comme la manière dont ils ont d’y croire donne si souvent l’impression. Combien parmi vous, braves gens, qui considérez Dieu comme un père fouettard ou un grand consolateur ? Ou qui se sont persuadés que le salut était une question de mérite – et qui ne croient d’ailleurs que pour être sauvés ? Combien de « pieux croyants » sont-ils en fait de méchants idolâtres ? Combien estiment qu’ils sont tout près de Dieu et même à côté de Lui  – alors que la vérité est qu’

« on ne se trouve pas au point où Dieu existe »

et qu’ « entre deux hommes qui n’ont pas l’expérience de Dieu, celui qui le nie est peut-être le plus proche » ?

Pour Simone Weil, seul celui qui est passé par la misère extrême ou par la joie extrême, ou plutôt par la joie extrême dans la misère extrême, est digne de se dire « croyant ». Le reste, immense, infini, presque total, est troupeau, « gros animal », pesanteur. Ne croyons pas que nous n’en faisons pas partie.

Et comprenons, avant toutes choses, que

« tous les mouvements naturels de l’âme sont régis par des lois analogues à celles de la pesanteur matérielle. La grâce seule fait exception ».

Ainsi débute La pesanteur et la grâce, ce livre déflagrateur que j’ouvris une nuit où je ne parvenais pas à trouver le sommeil, sans doute à cause de l’un de ces dîners excessifs qui font mon contentement et ma blessure depuis une mauvaise puberté. Il peut paraître vulgaire de confondre son obésité avec la pesanteur weilienne (encore que depuis Nietzsche, l’on sait que toute vraie philosophie relève de la diététique), mais dans la minute où je la lus, cette phrase me fit du bien. La seconde, reprise de la première :

« Il faut toujours s’attendre à ce que les choses se passent conformément à la pesanteur, sauf intervention du surnaturel »,

m’emplit le cœur de joie. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, je m’étais converti à Simone Weil. L’anorexique avait instantanément allégé le boulimique. Le malade ne se sentait plus coupable de l’être.

Pourquoi diable les pensées qui nient la volonté sont-elles toujours accueillies avec autant de bonheur ? C’est qu’elles nous déculpabilisent de notre faiblesse, pardi, et nous font nous pardonner nos maladies. En cessant d’exiger de nous notre acharnement à faire ou à être ce que ce que notre nature nous empêche de faire ou d’être, elles nous rendent à nous-mêmes.Du jansénisme au spinozisme, en passant par saint Augustin et Nietzsche, tout ce qui me dit que je n’en peux mais me redonne le moral, et, paradoxalement, l’envie d’agir. Au contraire des philosophies positives qui minent, les philosophies négatives emballent. Il suffit de douter du libre arbitre et de la volonté pour se sentir immédiatement plus libre et plus volontaire. Pour quelqu’un qui sait que la lourdeur du corps est la première lourdeur de l’être, la grâce apparaît en effet comme le seul recours – et la diététique comme la seule raison pratique. Notre seule liberté, c’est se mettre à attendre cette grâce. Attendre et espérer, comme le dit le comte de Monte-Cristo à Albert et à Valentine. Et qu’on ne nous parle pas de porte étroite ou de grâce au lance-pierre. En vérité, l’intervention du surnaturel dans nos âmes est beaucoup moins rare que ne le croient ceux qui ne jurent que par le volontarisme et l’action. L’exception de la grâce n’est pas forcément exceptionnelle. Il s’agit de s’y préparer, et pour ce faire, de suspendre ses croyances absurdes et ses activités délétères. Il s’agit surtout de se tourner vers autre chose que vers soi. Suspension, déclic, miséricorde. Ou : attention, appel, décollage.

Seule la croyance en la grâce nous délivrera de la pesanteur. Seule la croyance en Dieu me délivrera de ce boulet glauque qu’est le moi.

« Tenter cette délivrance au moyen de ma propre énergie, ce serait comme une vache qui tire sur l’entrave et tombe ainsi à genoux ».

Ce que je dois comprendre, c’est que c’est mon énergie qui me dégrade et que c’est ma force qui me dépose en enfer. Tant que je crois en moi et en ma volonté, je m’enfonce. Tant que je me détache de ceux-ci, je m’élève. Il n’y a que les bœufs et les moutons qui se croient libres et « méritants ». Il n’y a que les hommes d’action, les volontaristes, les « qui-vont-de-l’avant », et autres petits bourgeois, qui bloquent la marche du monde ou pire lui font prendre la mauvaise direction.

O temps, suspend ton vol…. « Anagké sténai », « il faut s’arrêter ». Tout ce qui freine ou stoppe le cours des choses est bon à prendre. Tout ce qui met en échec, même un instant, le dispositif, est source de grand soulagement. Houellebecq dit aussi ce genre de choses à propos des pannes, des incidents techniques, des coupures de courant qui font si souvent la joie des enfants, puis celle, plus retenue, des adultes. Unréseau de transmission qui ne transmet plus, un système d’information qui n’informe plus, un centre informatique qui bugue, « une fois donc l’inconvénient admis, c’est plutôt une joie secrète qui se manifeste chez les usagers ; comme si le destin leur donnait l’occasion de prendre une revanche sournoise sur la technologie. »[4] Le salut a toujours été une affaire de suspension. L’attente de Dieu n’est rien moins qu’une attention à Dieu. Et partant de là, une attention aux choses, aux autres, et même à soi – mais à un soi « détaché », à un soi « respirant », à un soi capable de recevoir la lumière, de se nourrir de lumière. C’est « chlorophylle » qu’il nous faut devenir. Et c’est apaisé, sinon gracié, que l’auteur de ces lignes put s’endormir.

 

 

 

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Les paradoxes de l’attention

Il faut donc suspendre en soi tout le pouvoir dont on dispose - se désemplir de ces jugements qui font notre vanité et de ces possibilités d’action qui constituent notre petite gloire mondaine, afin de créer un vide par lequel la grâce pourra pénétrer en nous. L’opération est difficile car notre être ne supporte pas le vide. C’est même dans sa nature de faire du mal quand le vide le menace. Le mal, c’est ce qui me vide et ce qui me donne envie de vider les autres. Le pire, c’est que ça marche, car lorsqu’on a fait du mal, 

« on s’est accru, on est étendu, on a comblé un vide en soi en le créant chez autrui »,

le tout selon un système de compensation certes imaginaire au vu de la grâce mais fort bien senti au vu de la pesanteur.

Complication : pour que la grâce entre en moi, il faut que j’aie la volonté de faire le vide en moi, ce que seule la grâce permet. Bref, c’est la grâce qui me permet de recevoir la grâce. Ca paraît incompréhensible et pourtant ça ne l’est pas tant que ça. C’est comme lorsqu’on dit « vouloir croire en Dieu, c’est déjà y croire » - c’est une sorte de croyance négative qui prépare le chemin de la croyance positive. Pascal dirait : commencez à faire les gestes, la foi suivra peut-être. Se préparer à la grâce, c’est peut-être déjà l’avoir reçue.

Pour cela, il faut développer en nous cette faculté que d’aucuns diraient secondaire et même ridicule par rapport à la volonté et qui s’appelle l’attention.

L’attention - le concept capital de Simone Weil.

L’attention, soit la cessation de nos activités merdiques et de nos agitations morales, et la mise de notre être en mode contemplatif.

L’attention comme contemplation tranquille des choses. Laissons donc notre volonté aux tâches serviles, soyons attentifs, et peut-être quelque chose arrivera. Soyons attentifs et sentons que cela va déjà mieux. Ce qui nous irrite dans cette méthode, enfin, ceux qui parmi nous croient à la suprématie de la volonté et de l’action, est qu’elle semble nous forcer à la passivité. Une passivité effectivement inspirée du taoïsme et des philosophies indiennes et qui constituent de manière hétérodoxe, que d’aucuns diront hérétiques, le christianisme de Simone Weil. La seule action acceptable et légitime, c’est en effet l’action non agissante, l’action impersonnelle qui n’obéit à aucune subjectivité ni à aucune volonté, qui laisse agir plutôt qu’elle n’agit elle-même.

« Quoi de plus sot que de raidir des muscles et serrer les mâchoires à propos de vertu, de poésie ou de la solution d’un problème ? »,

écrit malicieusement Simone Weil. La force volontaire ou la volonté forcée sont si mauvaises conseillères ! D’autant plus que l’on peut toujours piteusement échouer dans son action, sinon se révéler plus velléitaire que volontaire. Ainsi du reniement de saint Pierre dont le vrai péché n’a pas consisté à avoir renié le Christ mais plutôt à lui avoir soutenu que lui, ce sacré Pierre, il ne le ferait jamais ! La faute de Pierre, et de tous les hommes avec lui, ce n’est pas leur lâcheté, c’est leur arrogance.

« Dire au Christ : je te resterai fidèle, c’est déjà le renier, car c’était supposer en soi et non dans la grâce la source de la fidélité. »

Il n’y a que les pharisiens qui sont fiers de leurs vertus, qui font de leurs vertus leurs mérites et leurs mérites leurs forces. Passe encore de se croire le plus beau ou le plus intelligent, mais celui qui se croit le meilleur dans la bonté et la volonté est celui que, comme le dit Chesterton, le Christ ne peut lui-même s’empêcher de gifler. C’est pourquoi il ne faut jamais craindre le mal qui nous rabaisse, c’est-à-dire qui nous vexe, car dans notre dépit, notre rage ou notre peine, nous sommes révélés à nous-mêmes, nous voyons enfin ce que nous valons. A nous d’être à la hauteur de notre rabaissement, à nous de remercier celui qui nous l’a infligé car ce faisant

« il a révélé notre vrai niveau »

de preux minable qui tentera désormais de l’être moins. Par ailleurs, il convient aussi de sauver l’âme de celui qui vient de nous faire du mal. Si quelqu’un m’a fait du mal, il faut que je désire que ce mal ne me dégrade pas, afin qu’en me faisant moins mal que prévu, la responsabilité de celui qui me l’a infligé en soit diminuée. Ainsi, je nous sauve tous les deux. Ainsi, je crée de l’amour grâce à la haine. Pas facile. C'est le sens du "mon Dieu, pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés."

Il est vrai que l’attention ne va pas de soi. Etre trop attentif, c’est déjà ne plus l’être pour de bon. Apprendre à faire attention, c’est paradoxalement, apprendre à ne pas trop se concentrer sur la chose qui retient notre attention. Comme le dit Joël Janiaud dans son article sur « Simone Weil et l’attention »[5],

« être attentif, ce n’est pas focaliser de manière forcée la perception. Pour apprendre à faire attention, il est bon de « s’exercer à ne pas faire attention ». Apprentissage paradoxal : l’exercice porte sur le fait même d’éviter l’opération. Autrement dit, la volonté ne peut pas diriger l’attention trop directement, sous peine de la dénaturer. Il doit donc demeurer, dans l’attention authentique, une sorte de passivité, de lâcher-prise »,

j’oserais rajouter, de détente. L’attention est une détente de l’être. A l’accablante triade « volonté, action, force », on substitue la triade « détente, détachement, disponibilité ». Outre le fait éprouvé que c’est lorsqu’on se détend le plus qu’on bande le mieux, il y a cette part de mystère dans l’attention qui fait que pour qu’elle soit la plus pure possible elle doit surtout s’atteler à ne pas l’être. Il s’agit donc toujours de

« reculer devant l’objet qu’on poursuit. Seul ce qui est indirect est efficace. On ne fait rien si l’on n’a d’abord reculé. »

C’est par ce recul que l’on pourra bientôt s’élever jusqu’au bien.

 

 

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Déréliction et décréation

 

Pour l’heure, il faut revenir au mal, son vide et sa douleur. Et d’abord comprendre ce paradoxe suffocant que c’est par l’existence du mal, c’est-à-dire par l’existence du vide, que l’on en vient à avoir besoin de Dieu. Contrairement à ce que les belles âmes répètent partout, le mal n’est pas ce qui rend impossible ou incompréhensible l’existence de Dieu, mais au contraire ce qui la rend possible, compréhensible, souhaitable, incomparable, formidable. Le mal n’est pas ce qui accuse Dieu, le mal est ce qui implore Dieu. Le mal n’est pas ce qui fait que l’on se détourne de Dieu, le mal est ce qui fait que l’on se tourne vers lui – même si c’est pour l’engueuler. Le mal est ce qui nous rend sensible à l’absence de Dieu et l’absence de Dieu prouve notre besoin de Dieu.

« L’absence de Dieu est le mode de présence divine qui correspond au mal – l’absence ressentie. »

Le Christ qui crie sur la croix que Dieu l’a abandonné rappelle au monde que Dieu était là et qu’en un sens il sera toujours là. Dieu nous laisse dans le mal pour qu’on ait besoin de lui. Dieu nous laisse dans le mal pour qu’on existe d’abord sans lui. Le mal est une bénédiction pour Dieu. Ce n’est pas un paradoxe, c’est une évidence. Sadique, Dieu ? Pas plus que la mère qui accouche de son bébé et donc le sépare d'elle, le condamnant d'abord aux pleurs, à la panique et à la faim.

Il faut donc supposer le mal, « et même un moment sans espérance », afin que nous soyons d’abord dévoilés au réel pur, puis disposés à recevoir la grâce qui nous fera supporter ce réel – quoique ne nous en consolant pas. En effet,

« l’amour n’est pas consolation, il est lumière.»

Pas de consolation ni de compensation dans la foi, pas de baume ni de compresse dans l’amour. Au diable l’etiam peccata et toutes

« les croyances combleuses de vide, adoucisseuses des amertumes » !

Et sus à l’imagination qui

« travaille continuellement à boucher toutes les fissures par où passerait la grâce » !

Spinoza menait une guerre des passions joyeuses contre les passions tristes, Simone Weil conduit une bataille de l’amour contre l’imaginaire. Tout ce qui nous console nous comble et tout ce qui nous comble nous empêche de recevoir la grâce.

« Il ne faut [donc] paspleurer pour ne pas être consolé. »

Il faut fuir comme la peste tout ce qui pourrait nous consoler, y compris le temps que nous avons transformé en gigantesque dispositif des compensations avec le présent qui console du passé ou l’avenir qui console du présent. La vraie foi est sans appel :

« Si l’on désire un amour qui protège l’âme contre les blessures, il faut aimer autre chose que Dieu. »

A la rigueur, si nous avons vraiment besoin de réconfort, tournons-nous, plutôt que vers Dieu ou nos proches (préservons nos proches de nos blessures !), vers les œuvres d’art. Giotto, Bach, Racine – voilà qui nous consolera ponctuellement des misères de la vie. Pour le reste, il faudra se faire à l’idée que Dieu n’est pas là pour apaiser nos souffrances mais plutôt pour leur donner un sens. Comme aurait dit Claudel, le Christ n’est pas venu abolir la souffrance, il est venu l’emplir de sa présence. Quant à ceux qui désirent avant tout leur salut, ils prouvent qu’ils croient plus en leur précieuse âme qu’ils espèrent éternelle et récompensée plutôt qu’en la réalité de Dieu. La (très dure et très weilienne) vérité est qu’on ne croit pas en Dieu pour être sauvé, on croit en Dieu pour sauver les autres. On ne croit pas en Dieu pour se réserver une place au ciel, on croit en Dieu pour percevoir le réel tel qu’il est. Dieu, sel de la terre et poivre de vie, dont je n’ai jamais plus conscience que dans ma douleur à vivre. C’est pourquoi toute peine est une chance ontologique.

« L’extrême difficulté que j’éprouve souvent à exécuter la moindre action est une faveur qui m’est faite. Car ainsi, avec des actions ordinaires je peux couper des racines de l’arbre »

- ce que je ne pourrais faire avec des actions extraordinaires trop stimulantes, trop divertissantes, qui me donneraient un air avantageux et m’empêcheraient de me retrouver nu comme un ver devant Dieu et son réel. C’est aux prises avec les misères de l’intendance, les maux d’argent, les déficiences sexuels, les soucis administratifs, les petites choses qui bouffent plus que les grandes, que je me vide progressivement, et que je peux alors implorer la grâce de faire usage de ce vide. Rien de tel que la déréliction du quotidien pour s’extirper de son apparence mondaine ! C’est en se déracinant complètement qu’on touche enfin le réel du réel. Car oui,

« il faut se déraciner. Couper l’arbre et en faire une croix, et ensuite la porter tous les jours ! »

Quand on vous disait qu’elle était terrible, l'auteur de L'enracinement !

Pire, ou mieux : il faut aimer Dieu même s’il n’existe pas. C’est notre amour qui le fera exister. Exactement comme avec les morts.

« Piété à l’égard des morts : tout faire pour ce qui n’existe pas. »

Tout faire pour que ce qui n’existe pas existe enfin. Ou revienne. Ou renaisse. Ou ressuscite. Ou se dévoile. C’est parce que le père du fils prodigue a attendu celui-ci tous les jours à la fenêtres que celui-ci a fini par revenir. C’est parce nous célébrons nos morts qu’ils sont toujours présents en nous. C’est parce que nous éprouvons de l’amour pour Dieu que celui-ci va nous appeler.

Est-ce à dire que Dieu est le fait de notre seule subjectivité ? Jamais de la vie ! Dieu nous a créés, et ce faisant s’est retiré, se confondant à nos yeux avec le néant dont il nous avait sortis. Dieu s'est décréé pour nous. Il ne tient alors qu’à nous de lui rendre la pareille. La décréation, c’est rendre à Dieu un peu de l’être qu’il nous a accordés. C’est renoncer à un brin d’être qui pourra nous rendre visible, ou tout au moins perceptible, le sien. Ce que le croyant normatif aura du mal à comprendre, tant il s’imagine que Dieu et lui peuvent cohabiter comme ça dans le même espace-temps, et que Dieu a, par amour pour nous, renoncé à être tout. Dieu a renoncé à être tout pour que nous soyons quelque chose. Dieu nous a laissé de la place. Dieu nous a laissé sa place. Exister, c’est « être placé en dehors » - de Dieu, en l’occurrence ! En nous créant, il s’est décréé. A nous donc de nous décréer pour lui rendre cette existence qu’il nous a donnée et qu’il nous mendie. On lit bien : Dieu nous a donné l’existence pour ensuite nous la mendier.

C’est la raison pour laquelle il faut commencer par s’aimer les uns les autres. Car c’est en s’aimant les uns les autres que Dieu s’aimera à travers nous. C’est en s’aimant les uns les autres que l’on permet à Dieu de s’aimer et de se retrouver devant nous. L’homme est donc autant responsable de lui-même que de Dieu. Et plus il se sentira responsable de Dieu, plus il sera allégé de lui-même.

« Ainsi nous sommes cocréateurs. Nous participons à la création du monde en nous décréant nous-mêmes. »

Nous avons été créés dans la pesanteur, nous nous décréérons par la grâce.

Dès lors, à nous de consentir ou non à Dieu ! A nous de lui rendre ou non ce qu’il nous a donné ! Dans tous les cas, n’oublions pas que c’est l’orgueil qui nous fera rester simplement hommes et que c’est l’humilité qui nous révèlera hommes en Dieu.

« Etre orgueilleux, c’est oublier qu’on est Dieu »,

écrit sans rire Simone Weil. Et c’est le rappel en Dieu qui fait que Lui et nous peuvent enfin coïncider.

« Il faut notre consentement pour qu’à travers nous Dieu perçoive sa propre création. »

Encore une double opération ! Dieu attend qu’on se retire pour Le laisser passer comme Lui s’était retiré pour nous laisser être.

« Cette double opération n’a pas d’autre sens que l’amour, comme le père donne à son enfant ce qui permettra à l’enfant de faire un présent le jour de l’anniversaire de son père »

- le mauvais père étant alors celui qui rappelle tout le temps à son enfant que « c’est son fric » !

 

Résumons :

- La grâce est ce qui nous permet de faire le vide par lequel cette même grâce entre en nous.

- L’attention est ce qui nous permet d’appréhender l’être dans sa pureté à la condition de pas trop y faire attention.

- La décréation, c’est la faculté que nous avons d’accorder à Dieu l’existence qu’il nous a lui-même d’abord accordée.

La dialectique weilienne fonctionne donc par tautologie et par inversion. Un esprit de géométrie n’y verrait que contradiction, un esprit de finesse n’y verra qu’unité mystique. Dieu a demandé à Abraham de sacrifier Isaac puis l’a empêché de le faire. Dieu a tout donné à Job, puis tout repris, puis tout redonné. Dieu semble tout faire pour nous rendre incompréhensibles à nous-mêmes, mais c’est de cette incompréhensibilité que nous tenons notre statut d’homme. Dieu nous oblige à la contrariété de sa présence-absence, à la contradiction de notre être-néant, à la contraction, enfin, de la nécessité et de la liberté.

 

 

 

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Le désir et la grâce

 

Ce qu’il faut, c’est

« accepter d’être soumis à la nécessité et n’agir qu’en la maniant. »

Loin de se perdre dans cette

« notion de bas niveau »

qu’est le choix et de tomber dans la vulgarité du libre arbitre, qui n’est qu’une vanité du moi, Simone Weil affirme une entière abnégation de l’être face à Dieu. Etre libre, ce n’est pas se décider entre deux hasards, c’est être conscient de la nécessité dans laquelle nous sommes embarqués. Notre seule marche de manœuvre, c’est l’attention aux lois de la création, la suspension de celles-ci en nous (décréation), la mise en disponibilité de notre être en vue d’un appel. Tout le reste est littérature.

Sustine et abstine ? "Souffrir et s’abstenir" ? Plutôt : consentir et rendre grâce. Cela peut paraître déprimant alors que c’est profondément libérateur. Car dès que nous serons parvenus à recevoir des ordres de Dieu, nous ne serons plus assujettis à notre petit moi tyrannique. Mon Dieu, délivrez-nous du mal, mon Dieu, délivrez-nous du moi, mon Dieu, délivrez-nous du moal. En ce genre d’affaire, la subordination est tout. Elle permet qu’en nous le meilleur travaille à notre insu. Elle nous délivre du petit caporal que nous avons tendance à mettre à la tête de notre être et qui la plupart du temps nous commande sans résultat et nous tourmente sans efficacité. Il est vrai que dès l’on essaye d’opérer de soi-même par soi-même, on se condamne à l’échec et à la torture mentale. C’est pourquoi Dieu est une bénédiction. Comme le dit non sans génie Simone Weil, 

«  on ne s’engage pas à aimer Dieu, on consent à l’engagement qui a été opéré en soi-même sans moi-même. »

Au fond, la foi, c’est comme la grossesse, il faut laisser faire le travail de Dieu en soi, attendre que ce travail atteigne son but, jouir de cette attente, et accoucher – soit mettre toute son âme et tout son amour dans quelque chose que l’on est obligé de faire. Y compris écrire :

«  On écrit comme on accouche, on ne pas s'empêcher de faire l'effort suprême. »

CONSENTIR ET NON SE FORCER A ECRIRE.

L’important est de ne jamais aller plus vite que la musique, de ne jamais être impatient façon Judas, de ne jamais presser Dieu. Si Judas n’avait pas été aussi pressé de libérer Israël du joug romain, il n’aurait peut-être pas vendu Jésus. Ce qui a perdu Judas, c’est son incapacité à suspendre l’histoire, sa propension à précipiter les choses au lieu de rester attentif à celles-ci. Une fois de plus, dès que l’on est inattentif, on loupe le coche de la grâce. Tout allait s’accomplir comme on le désirait et voilà que notre volonté, judaïenne s’il en est, a voulu forcer les choses et a tout gâché. Au lieu de désirer, c’est-à-dire au lieu de se laisser aller à notre nature divine, nous avons « voulu », c’est-à-dire que nous nous avons résisté à cette nature divine et que nous avons mis en branle notre énergique mais pesante nature humaine bonne qu’à vouloir et qu’à agir. Gare, d’ailleurs, à celui qui n’agit qu’en vue de son salut ! Il se fera mal voir ! Au contraire,

« si mon salut éternel était sur cette table sous la forme d’un objet et qu’il n’y eut qu’à étendre la main pour le saisir, je ne tendrais pas la main sans en avoir reçu l’ordre. »

La joie en Dieu est bien plus importante que mon salut. Incarnation d’abord, résurrection plus tard - éventuellement.

Quiconque ne voit que lui-même est donc mal barré, mais quiconque ne voit que Dieu n’ira pas très loin non plus. C’est qu’il ne s’agit pas de faire quelque chose pour Dieu, il s’agit de faire quelque chose par Dieu. Dieu nous aime mais Dieu ne nous demande pas de l’aimer, Dieu nous demande de nous aimer les uns les autres. Cela lui fait une belle jambe à Dieu qu’on « l’aime » - ou qu’on fasse des "trucs" pour Lui.

« De manière générale, "pour Dieu" est une mauvaise expression. Dieu ne doit pas se mettre au datif. »

En outre, "pour Dieu" implique que nous partons encore de nous, que nous croyons encore à notre sacro-sainte, quoique déplorable, trinité liberté-volonté-action, que nous sous-entendons que nous mériterions une récompense si nous accomplissions celle-ci ou une punition si nous allions boire un coup, bref, que nous n’avons pas renoncé au caporal de notre si intéressante intériorité. Or, c’est à l’extérieur que tout se passe.

« En toutes choses, seul ce qui nous vient du dehors, gratuitement par surprise, comme un don du sort, sans que nous l’ayons cherché, est joie pure. Parallèlement, le bien réel ne peut venir que du dehors, jamais de notre effort. Nous ne pouvons en aucun cas fabriquer quelque chose qui soit meilleur que nous. Ainsi l’effort tendu véritablement vers le bien ne doit pas aboutir ; c’est après une tension longue et stérile qui se termine en désespoir, quand on n’attend plus rien, que du dehors, merveilleuse surprise, vient le don. Cet effort a été destructeur d’une partie de la fausse plénitude qui est en nous. Le vide divin, plus plein que la plénitude, est venu s’installer en nous. »

Et Simone Weil de plaider pour une transsubstantiation de l’énergie qui

« consiste, en ceci, que, pour le bien, il vient un moment où on ne peut pas ne pas l’accomplir ».

Encore le consentement suprême plutôt que l'effort suprême. C'est dans le laisser-faire que s'accomplit le bon faire et dans le forcer-faire que s'accomplit le mal faire. Encore que pour ce dernier arrive ce moment où l'accomplir est impossible. Hélas ! Tout le monde, sinon personne, n’est capable d’attendre ce moment ni, encore moins, de s’abstenir. Le mal règne donc par défaut d’attention ou par excès d’impatience dans le monde. Le mal règne du fait de notre incapacité à lâcher prise. Celui qui lâche prise, c’est-à-dire celui qui consent à Dieu, ne peut qu’aller au bien. Celui qui résiste, qui veut faire les choses par lui-même, celui-là ne peut que faire le mal – même s’il ne pense pas à mal. Le mal est ce qui nous force à l'effort. On sue pour le faire !

Si nous voulons vraiment le bien, attendons donc qu’il vienne en nous - un peu comme le sommeil. D'ailleurs chacun a fait cette expérience que plus on cherche "volontairement" le sommeil, moins on le trouve. Pour dormir, il ne faut se laisser aller au sommeil, non s'y forcer. Voilà pourquoi

 

« nous devons être indifférents au bien et au mal, mais, en étant indifférents, c’est-à-dire en projetant également sur l’un et sur l’autre la lumière de l’attention, le bien l’emporte par un phénomène automatique. C’est là la grâce essentielle. Et c’est la définition, le critérium du bien. »

Le bien est automatique et naturel, le mal est hypothétique et intentionnel. Avouons que nous raisonnons rarement comme ça, tant nous avons l’habitude d’estimer la volonté plus haute que le désir. Alors que c’est la volonté qui nous trompe et que c’est le désir qui nous rend vraiment libre.

Comme l’explique Miklos Vetö dans « Le désir du bien »[6],

« la volonté tend vers son objet, elle entend le saisir mais elle est dépourvue de tout pouvoir véritable. Ne possède de pouvoir, d’efficace, que le désir qui n’est que désir, aspiration silencieuse, si l’on veut, passive, une attitude de simple orientation, d’orientation amoureuse vers son objet, non pas mouvement, agissement violents. »

Le bien relève du désir amoureux, non de la volonté féroce. Mieux : le bien relève du désir qui relève de la grâce ; le mal relève de la volonté qui relève de la pesanteur. METTRE EN RAPPORT LE DESIR ET LA GRACE, telle est l’ ambition mystique de Simone Weil.

Ainsi, toute nature tend d’elle-même au bien. Il suffit d’un minimum d’attention et d’amour pour que nous soyons happés par le bien.

« Mot du mousse breton au journaliste qui lui demandait comment il avait pu faire cela : « Fallait bien ! » Héroïsme le plus pur. On le retrouve dans le peuple plus qu’ailleurs. »

C’est que cet héroïsme a obéi aux seules lois de la nécessité morale qui ne sont rien d’autre que la nature de l’être réel. Comme le remarque Mikos Vetö, le bien se confond avec le désir que l’on a de lui. Le désir du bien s’identifie à sa possession. Le désir du bien est un bien (alors que par exemple le désir de l’or n’est pas de l’or). Mieux : l’être du bien, c’est le bien. Le bien se confond avec son être. Voilà pourquoi Simone Weil ira jusqu’à écrire, dans ses Ecrits de New York, que

« cela n’a aucun sens de dire : le bien est, ou le bien n’est pas, mais seulement : le bien »[7].

La bonne action et/ou le renoncement à la mauvaise qui résultent naturellement de l’attention, le bien qui est le produit de mon être vidé de moi et installé en Dieu, la liberté comme seule obéissance aux nécessités physiques et morales, la grâce en adéquation avec le désir, tout cela constitue ce curieux christianisme de Simone Weil, christianisme certainement platonicien, christianisme taoïste s’il en est, christianisme quiétiste en tout état de cause.

 

 

 

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L’ennemi imaginaire

 

Laissons nous aller à Dieu, laissons Dieu aller à nous, et tout sera parfait dans le meilleur des mondes et héroïque chez le meilleur des mousses. Mais pourquoi tant de mal ?

En premier lieu, parce que tous les biens ne peuvent s’accorder. Pire, chaque bien porte en lui le risque d’un mal. Chaque bien se mélange avec un mal. Voici donc la charité inéquitable, la prospérité corruptrice, la liberté inégalitaire, l’égalité liberticide. Même la tendre fraternité peut s’aliéner en prévention abusive, voire en surveillance communautaire. De même, la volonté d’avoir des enfants sans compter favorisera la surpopulation, la démocratisation des individus pourra être facteur d’affaiblissement de l’âme (et de renforcement de l’obésité), le dévouement pourra se transformer en assistanat, la compassion en indulgence coupable, la tolérance en relativisme culturel et en défaite de la pensée, etc, etc. De manière générale, le bien souffre d’une tendance à devenir totalitaire. Ces contradictions inhérentes à notre condition, nous devons pourtant les accepter, et même les aimer.

« La contradiction est notre misère, et le sentiment de notre misère est le sentiment de la réalité. Car notre misère, nous ne la fabriquons pas. Elle est vraie. C’est pourquoi il faut la chérir. Tout le reste est imaginaire. »[8]

Pour autant, nul ne peut vivre sans « métaxu », c’est-à-dire sans « intermédiaire » - soient tous les biens relatifs et culturels (foyer, patrie, traditions, valeurs) qui constituent le propre de l’humain. Au moins doit-on avoir à l’esprit que ces « biens » ne sont que des « moyens » qui nous permettent de supporter la vie, et que par conséquent ceux-ci peuvent changer selon les époques et les pays. Hélas, seul le saint est capable de ce discernement car pour les meutes que sont les communautés humaines, c’est précisément au nom de ces métaxu que l’on va se faire la guerre.

Dès lors, le mal apparaît dans toute son horreur imaginaire ou plutôt dans toute son imagination horrible. C’est que le mal provient toujours de ces conflits entre valeurs imaginaires, irréalités perçues comme réelles, fantasmes qui vont vraiment faire couler le sang – en un mot, entre idéologies.

Paradoxe : le mal est ce qu’il y a de plus réel sur terre et est causé par ce qu’il y a de moins réel. D’où son (infernal) besoin de faire dans la quantité afin de se donner de bonnes raisons d’exister. Le mal est quantitatif, jamais qualitatif. Le mal veut le plus, le nombre, le catalogue. Conquérir toujours plus de terres (César) ou de femmes (Don Juan) ou d’hommes (Célimène) pour se donner un apparat de gloire et en imposer. Le mal condamne à la fausse infinité – c’est là l’enfer même. Le mal est prévisible, lourd, monotone, toujours évitable et jamais évité, car en l’homme la croyance en l’action est persistante. Car oui,

« le mal consiste en actions »,

le mal est l’action incarnée. Rien à avoir avec l’action non-agissante du bien chère aux taoïstes et qu’a lu avec ferveur Simone Weil. Le mal est ce qu’il y a de plus inattentif au monde. C’est pourquoi d’ailleurs il lui arrive si souvent de mal se faire. Le mal fait mal le mal. Réglons à ce propos le sort du mal « parfait », « pur », « transcendant », « stavroguinien », « ouinien », ou « méphistophélien » et qui ne fut jamais qu’un fantasme littéraire. En vérité,

« les vices sont soumis à la pesanteur, et c’est pourquoi il n’y a pas de profondeur, de transcendance dans le mal. »

Le mal conscient de lui-même et qui jouit de s’étendre comme tel est une des pires fadaises romantiques qui soient. Aucun « méchant » au monde ne s’est jamais défini comme méchant, immoral ou vicieux – pas même les nazis qui au contraire vantaient leur force et leur beauté, pas même Harpagon, la Cousine Bette ou n’importe quel démon ménager que chacun de nous a au moins rencontré une fois dans sa famille, cette grand-mère acariâtre, cette tante prodigue, ce père tyrannique, autant de gens qui ont passé leur vie à pourrir celle de ses proches tout en répétant que c’étaient eux les victimes de ceux-ci. Un des signes les plus surs que l’on est en face de quelqu’un de peu recommandable est la victimisation dont celui-ci va essayer de se et de nous convaincre. Quand on fait le mal, on ne s’en aperçoit pas, et on tombe des nues quand on vient nous le faire remarquer. Au contraire du bien dont on a l’expérience qu’en l’accomplissant,

« on a l’expérience du mal qu’en s’interdisant de l’accomplir, ou si on l’a accompli, qu’en s’en repentant. »

Le critérium du mal, c’est qu’il n’est pas sensible à lui-même. C’est celui qui subit le mal qui connaît le mal, non celui qui le fait. C’est l’innocent qui sent le crime, non le criminel. C’est l’innocent qui sent la vérité du bourreau, non le bourreau.

« C’est l’innocent qui peut sentir l’enfer » - non le damné.

D’ailleurs, l’enfer, parlons-en. Ici aussi, Simone Weil se fait leibnizienne (en diable !). Si le damné est en enfer, c’est de sa propre volonté, non de celle de Dieu – qui est le contraire d’un violent.

« Le faux dieu change la souffrance en violence, le vrai dieu change la violence en souffrance »,

et c’est contre ce second hangement que se braque violemment le damné. Le damné qui se damne perpétuellement à chaque instant et qui ne voudrait pour rien au monde renoncer à sa haine de Dieu, quitte à souffrir mille morts. Le pire, pour lui, est que le vrai dieu sauve tout le monde - sauf que celui-là, qui ne veut pas être sauvé, et qui ne peut supporter l’amour de Dieu, va faire de cet amour une violence incompréhensible contre lui. Le damné va se torturer en Dieu et vouloir faire croire à tout le monde que c’est Dieu qui le torture. En vain, bien entendu.

« Ainsi les âmes damnées sont au paradis, mais pour elles le paradis est enfer. »

Le comique de la situation est qu’encore une fois le damné se damne par simple représentation des choses. C’est son mauvais imaginaire plus que ses actes qui le perdent – actes certes réellement malveillants ou criminels, mais qui lui ont été soufflés par sa très perfide conception des choses, son inattention au réel, sa manie de l’imaginaire.

Il y a donc deux types de mal : le mal de la contradiction, consubstantiel à la condition humaine, mais que l’on se doit d’approuver en tant que nécessité ontologique et matérielle, et le mal de l’imaginaire, qui certes fait partie de l’humain mais dont l’humain pourrait en droit se débarrasser, mieux : dont ce serait le devoir de se débarrasser. L’imaginaire est en effet ce qui nous empêche d’accéder au réel, ou plutôt ce qui nous fait croire que nous pouvons excéder celui-ci en le remplaçant par ce que nous voulons et sans que nous soyons gênés par la contradiction. D’inspiration satanique s’il en est, l’imaginaire nous fait rater la contradiction du réel, nous condamnant d’abord au mensonge, ensuite au ressentiment. En fait, comme le fait remarquer Elodie Wahl,

« quand nous ne rencontrons aucune contradiction dans une situation voulue ou pensée, c’est que nous avons mal regardé. »[9]

Hélas pour nous, le réel est têtu. Le réel est tautologique. Le réel est notre pesanteur nécessaire. On peut toujours le fantasmer et le reconstruire à notre guise, arrive toujours le retour de bâton de la contradiction et de la douleur. Le dépit d’être alors contredit, contrarié, contrecarré par ce foutu réel, est alors si terrible à vivre qu’il réanime à coup sûr l’instinct de vengeance que nous avons en nous et qui ne demandait qu’à s’amortir. Puisque nous n’avons pas su nous décréer de notre imaginaire, nous risquons de nous mettre à la destruction de tout chose et de sombrer dans le néant actif, nous éloignant encore plus du monde et de sa beauté. Nous passons de la décréation à la destruction. Rares seront ceux qui se retiendront et encore plus rares ceux qui se recueilleront.

« Supporter le désaccord entre l’imagination et le fait. "Je souffre". Cela vaut mieux que "ce paysage est laid"»,

dit magnifiquement Simone Weil. Mais c’est le plus difficile.

 

L’imaginaire est donc le véritable ennemi de l’homme. L’imaginaire est le contraire de l’approbation qui, lui-même, est l’aboutissement de l’attention. Et c’est pourquoi Simone Weil parlera de Dieu en tant que « strict minimum ».

« Remède contre l’amour imaginaire. Accorder à Dieu en soi le strict minimum, ce qu’on ne peut absolument pas lui refuser – et désirer qu’un jour et le plus tôt possible, ce strict minimum devienne tout. »

Est-il pourtant possible, comme elle le recommande, d’aimer sans imaginer ? Aimer sans cinéma ? Aimer sans se pâmer ? Telle est l’épreuve de la sainteté et la petite difficulté pour l’être humain. Aimer, dit encore Simone, c’est mettre le maximum de distance entre soi et l’objet aimé. C’est ne pas faire de différence entre le proche et l’étranger – et par là-même, c’est faire de son proche un étranger. C’est aimer sans attachement, sans affect, j’allais dire sans inceste. La quasi-impossibilité pour la plupart d’entre nous.

Est-cette intransigeance d’un amour sevré de toute imagination qui la retint, elle, d’aimer humainement ? Il faut relire ce passage éloquent des Cahiers où se mettant en garde contre la tentation de la vie intérieure et de tout le narcissisme qui va avec, elle n’a pas peur d’écrire qu’en matière d’échanges affectifs, la probité consiste à

« couper sans pitié tout ce qu’il y a d’imaginaire dans le sentiment »,

et un peu plus loin :

« tout rêve d’amitié mérite d’être brisé ».

Mais que reste-t-il du sentiment quand on a évacué tout imaginaire et qu’en est-il d’une relation amicale ou amoureuse dans laquelle on ne puisse rêver ? Que reste-t-il même de la vie quand on s’est prévenu contre toutes ses illusions ? Dieu ? Cela sera son pari. En attendant, en L’attendant, elle est consciente d’avoir commis des dégâts autour d’elle :

« ce n’est pas par hasard que tu n’as jamais été aimée… »,

s’interpelle-t-elle dans ses cahiers.

Une phrase qui fait pleurer.

 

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(Article paru originellement sur feu Ring, le 27 décembre 2009, puis repris sur ce blog une première fois le 16 mars 2010, une seconde fois le 18 décembre 2010. Il était temps de le remettre à jour.)



[1]Simone Weil, par Georges Hourdin, éditions La Découverte, 1989.

[2] La règle catholique permet en effet à toute personne de baptiser en cas d’urgence quelqu’un qui le demande pourvu « qu’elle ait l’intention de faire ce que fait l’Eglise et qu’elle verse de l’eau sur la tête du candidat en disant : « je te baptise au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » (Catéchisme de l’Eglise Catholique, p 336, Pocket, 1995)

[3] Sauf celles que nous préciserons, toutes les citations sont tirées de La pesanteur et la grâce, collection Agora, Edition Pocket. Pour plus de lisibilité, et comme nous citons abondamment cet ouvrage, nous avons renoncé aux notes de bas de page. Au lecteur de s’y reporter avec ferveur.

[4] Michel Houellebecq, Interventions II, Flammarion, p 44

[5]« Simone Weil et l’attention », par Joël Janiaud, in Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie : Simone Weil, collectif dirigé par Chantal Delsol, Les Editions du Cerf, 2009, p 173.

[6] Miklos Vetö, « Le désir du bien », in Les Cahiers d’Histoire de la Philosophie : Simone Weil, collectif dirigé par Chantal Delsol, Les Editions du Cerf, 2009, p 193.

[7] Cité par Vetö, p 185.

[8] Cité par Elodie Wahl dans son article « Simone Weil : Une merveilleuse volonté d’inanité », in Simone Weil, collectif dirigé par Chantal Delsol, Les Editions du Cerf, p 604.

[9] Idem, p 206.

 
A lire absolument :
 
Simone Weil, le laideron lumineux, par Bruno Deniel-Laurent.

Dix ans, donc.

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Portrait d'Innocent X, par Velazquez, que l'on peut doit voir absolument en ce moment au Grand Palais.

 

Je comptais arrêter.

Mais je n'ai pas tout dit.

Donc, ça continue.

Ou, comme dirait Kierkegaard, ça reprend.

 

 

Page Pierre Cormary.jpg

 

Mon Seigneur Jésus, je voudrais bien t'aimer.
Mon Seigneur, ne te fie pas à moi !
Mon Seigneur, je te l'ai dit, si tu ne m'aides pas,
je ne ferai jamais rien de bien.
Je te l'ai dit : je ne te connais pas,
je te cherche et ne te trouve pas :
Viens à moi, mon Seigneur !
Si je te connaissais,
je me connaîtrais aussi moi-même.
Je ne t'ai jamais aimé,
je voudrais bien t'aimer, Seigneur Jésus.
Je ne veux rien faire d'autre que ta volonté.
Je me défie de moi-même.
En toi, je me confie, Seigneur.


Saint Philippe Néri (1515-1595), fondateur de la congrégation de l'Oratoire à Rome.

 

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1 - Le problème théologico-politique.

Photos partout, regard nulle part.

Anouche à la crèche

2 - Machiavel et la fécondité du mal


Machiavel, philosophe des ânes bâtés (d'après Paul Veyne)

Eddy Frederic (1961 - 2015)

3 - Hobbes et le nouvel art politique

4 - Locke, le travail et la propriété

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pierre manent,john locke,libéralisme,gangs of new york,terence malick,les moissons du ciel

 

Au camarade Francis Mickus qui n'aime ni Hobbes, ni Locke, ni Scorsese, ni Malick.

 

 

Le poète et l'empereur I

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