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Peine perdue (sur Passé sous silence, d'Alice Ferney)

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Alice Ferney, Passé sous silence.jpgDans Passé sous silence, Alice Ferney revient sur l’attentat du Petit-Clamart et la personnalité ambiguë de Bastien-Thiry à travers un récit tendu et tragique qui ne craint pas l’effusion et ose la désidéologisation de l’histoire officielle. Le livre choc de la rentrée ?

 

A Albine Faivre, ma reconnaissance éternelle, que cela marche ou pas. 


Dignité oubliée de ceux qui se sont trompés devant l’Histoire. Cynisme honoré de ceux qui ont compris le sens de celle-ci. Sadisme du Bien qui fait que le Sauveur de la nation a le droit de se conduire comme un salaud sans que personne ne bronche et qu’un homme d’honneur puisse passer pour un salaud aux yeux de tous. Le général de Grandberger avait sauvé le Vieux Pays, le colonel Donadieu tenait à la Terre du Sud. Le général de Grandberger revint aux affaires grâce à tous ceux qui, comme le colonel Donadieu, croyaient en lui et étaient persuadés qu’il allait sauver la Terre du Sud. Mais le général de Grandberger abandonna la Terre du Sud, trahissant ceux qui l’avaient faite et auxquels il avait dit un très mauvais jour toute sa « compréhension »  à travers une phrase inspirée de Judas que d’ailleurs l’auteure de ce roman magnifique n’arrive pas à écrire entièrement. Alors le colonel Donadieu, déchiré dans sa vision du grand homme, blessé par celui qui avait été jusque là son modèle, mortifié dans sa conception du monde sans doute d’un autre temps, décida de venger l’honneur du général de Grandberger contre lui-même et conçut ce complot insensé qui devait lamentablement échouer au rond-point du Petit-Clamart. Voulait-il l’assassiner ? Voulait-il le juger (pour l’exécuter ?) C’est ce que l’on ne saura jamais. Le général de Grandberger ne devait pas lui pardonner et le colonel Donadieu serait le dernier fusillé de France. Plus personne n’entendrait jamais ses raisons d’avoir agi ainsi, tant ce qui fait « le choix intérieur d’un homme dans un instant (…) sa grandeur, sa souffrance, sa consternation» relèvent d’affaires privées, « qui par nature, restent  inaccessibles».  Sauf pour la littérature qui, seule, peut aller touiller cet inaccessible et dévoiler ce que la morale d’état, la justice des vainqueurs, et cette amnésie historique sans laquelle on ne saurait vivre, ont voulu « passé sous silence».

Et l’on concevra le roman du colonel Donadieu comme une lettre lui étant adressée. Et on lui dira « tu » parce que personne n’a jamais voulu l’écouter ni le laisser exposer de l’intérieur ce qui le conduisit à attenter aux jours du héros national. La tragédie de Bastien-Thiry, car c’est de cela dont on parle, aura été celle d’un idéaliste qui se sera trompé de camp, d’un homme « seul dans sa prison de loyauté » soutenant de toute son âme meurtrie un monde qui n’avait plus sa légitimité, d’un impérialiste persuadé de l’humanisme de son empire et qui ne vit jamais que l’âge d’or qu’était l’Algérie Française était fondé, comme tous les âges d’or, sur une iniquité de départ, faite d’inégalitarisme flagrant et de domination raciste.  A aucun moment d’ailleurs, le livre d’Alice Ferney ne tente une « révision » de l’Histoire ni de la vision critique, « moderne », que nous avons aujourd’hui de l’époque coloniale, oh non, mais simplement montre comment un homme, « héroïque et immaculé », a pu se tromper au nom d’une droiture frisant la candeur et un autre homme, le général de Gaulle, avoir raison jusqu’au sang. Tant pis pour la fusillade de la rue d’Isly du 26 mars 1962 où des Français tirèrent sur des Français (au fond, vieux sport national depuis la Révolution), tant pis pour les mille cinq cent trente cinq Pieds-Noirs enlevés par les Fellaghas entre mars et juin de cette année-là, tant pis pour les exactions, viols, tortures, enterrements vivants dont se rendirent coupables les Libérateurs de la Terre du Sud, tant pis, surtout, pour les harkis abandonnés à leurs frères égorgeurs et qui, pour ceux qui en réchapperaient, allaient désormais aux yeux du « sens de l’Histoire » passer pour des « collabos » puisque « chaque homme est le traitre d’un camp ».

L’Histoire n’a aucune pitié pour ceux qui n’ont pas « compris » et à qui on a fait croire qu’ils étaient « compris », « compris », « compris ». L’ironie de cette histoire est que l’homme qui avait pardonné aux pires collabos lors de l’Occupation, soucieux avant tout de réconciliation nationale, « partageant sa victoire avec ceux qui n’en étaient pas », fut sans aucune magnanimité avec le maladroit qui avait osé se soulever contre lui. Et pour Alice Ferney, gaullienne de cœur, cette grandeur manqua au général. Mais quel monarque, hors Jean-Paul II, pardonna à celui qui avait organisé une tentative de régicide ? Et quel régicide, inspiré qui plus est de Saint Thomas d’Aquin légitimant celui-ci en cas de manquement  grave de la part du souverain, ne se révéla pas un moment l’acte d’un pathétique exalté ? Idiot malheureux de Donadieu qui poussa l’honneur jusqu’à la pathologie, la sacralité du devoir jusqu’au sacrifice bien inutile de soi, et sans jamais voir qu’il serait seul dans une cause perdue d’avance peut-être aussi parce qu’elle n’était pas si bonne. « Tu n’interrogeais pas les idées. Tu vibrais comme une corde dans une musique qui t’emplissait l’oreille. Tu parlais de trahison et de résistance, perpétuant une vocabulaire qui avait une histoire. Jean de Grandberger collaborait avec l’ennemi, disais-tu. A toi de le juger. C’était une mission divine. Tu l’embrassais comme une femme aimée. Elle était une poix qui t’enveloppait. Tu t’envolais dans ce vaisseau de conviction. Et fort des alliés que tu t’étais inventés, fort de Dieu qui ne te contredisait pas, tu concevais des plans d’action pour mettre ton ancien héros hors d’état de nuire. » Certains ont critiqué cette prose dévorante structurée à la première personne et qui conduit le récit jusqu’à l’empathie convulsive. Reprocherait-on à l’auteure sa propre subjectivité ? En vérité, cette voix unique, et qui fait que le livre s’écoute autant qu’il se lit, d’une traite d’ailleurs, tend moins à l’univocité « militante » de sens que d’aucuns voudraient voir à tout prix afin d’idéologiser le roman, et par là-même le « condamner », qu’à l’unicité, voire à l’union avec son personnage principal, Antigone fourvoyée dans une mauvaise conjuration. Si émotion il y a, celle-ci ne se transforme jamais en chantage affectif ni surtout en plaidoyer politico-historique que l’auteure n’a de toutes façons pas voulu faire. Au contraire, héros dont « les convictions raidissent le jugement » et qui progressivement « s’enferme dans le monde de la protestation», le colonel Donadieu finit par ressembler à une sorte de Don Quichotte échoué devant un tribunal d’exception à la merci du souverain. Celui-ci qui « avait voulu la victoire  pour offrir l’indépendance laissa croire qu’il voulait la condamnation pour accorder la grâce» et Donadieu dut embrasser ses filles une dernière fois.

Livre de femme, s’il en est, qui vient consoler de la raison paternelle triomphante, rendre leur dignité aux fils vaincus, et comme Alice Ferney le dit elle-même dans une interview, « décharger le lecteur de l’idéologie», Passé sous silence (dont le seul défaut est peut-être de ne pas s’être appelé « peine perdue », premier titre choisi pourtant par l’auteur) est un grand livre de compassion qui n’inquiètera que les bien-pensants, soient tous ceux pour qui la justice plate suffit à la conscience et pour qui le bien s’opère toujours sans malaise. Les autres seront, comme elle, au chevet de ce chevalier d’un autre temps, damné du gaullisme, et prêts à tendre l’oreille.

 

Alice Ferney, Passé sous silence, Actes Sud, août 2010, 208 pages, 18 euros.

 

[Cet article a d'abord été publié le 21 octobre 2010 sur le Ring.]

 

 

 


Mon Facebook 2013

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 Bien conscient que ce post est illisible d'un seul coup (y compris pour moi), je le mets tout de même en ligne, histoire de garder les traces de nos aventures facebookiennes, à mes amis et moi, de l'an dernier et de voir comment nous évoluerons cette année. Bien sûr, j'ai dû me résoudre à supprimer la plupart des conversations (passionnantes) et leurs centaines de commentaires, et d'innombrables statuts polémiques ou ludiques, sans quoi ce post, déjà monstrueusement trop long, aurait été ridiculement interminable. En vérité, je n'ai mis qu'un quart de mon mur et sans doute ce quart n'a pour moi qu'une valeur d'archive. Mais peut-être ces archives pourront-elles amuser la galerie... Bon picorage.

 

 

JANVIER

 

Qu'est-ce qu'un méchant ?

Contre le mariage gay (avec Sylviane Agacinski et Nestor Azerot.)

 

08 Raiponce.jpg

Méchanceté maternelle typique.

 

Pierre Cormary - A quoi reconnaît-on un ou une "méchant(e)" ? A ce qu'il ou elle a toujours mille raisons de plus que vous. Le méchant ou la méchante, c'est en effet ce curieux personnage qui vous prouve d'abord que c'est vous qui lui avez fait du mal, qui lui avez nui, qui l'avez dénigré, accablé, blessé, alors que la seule blessure que vous lui ayez jamais infligée est celle consistant justement à parer toutes celles qu'il voulait vous faire. Le méchant ou la méchante est avant tout celui ou celle qui vous accuse. Le méchant est l'accusateur (autre nom du diable comme on sait). Qui vous sort un million de trucs auxquels vous n'avez jamais pensé. Qui met en péril votre innocence. Qui trucide votre candeur. Qui fait de vous le portrait le plus infamant (qui est bien souvent le sien). Le comble, c'est que vous ne savez pas du tout quoi lui répondre. La poutre connait en effet la paille mieux que la paille ne se connaît. La poutre a une conscience méga développée de la paille. La poutre va plus loin en fantasmagorie (qu'elle fait passer pour de la perspicacité) que quiconque et c'est pourquoi la paille que vous êtes prend vite feu devant elle. Vous n'aviez pas prévu toutes ces objections à votre être. Vous n'aviez pas conscience qu'on pouvait vous nier avec une telle assurance. Vous êtes tellement désarmé que vous avez envie de tuer le méchant. Qu'il disparaisse. Qu'il ne soit plus. Et c'est là que le méchant triomphe. Car il vous a rendu haineux et comme vous ne maîtrisez pas la haine ni la colère, vous risquez de perdre encore plus, vous risquez de passer pour une poutre à votre tour. Vous êtes tombé dans le piège et cela sera très difficile de vous en sauver. C'est pourquoi il faut connaître la méchanceté pour combattre le méchant. Il faut prendre conscience que la morsure du vampire vous rend vampire à votre tour - que la parole du coupable peut vous rendre coupable. Et celui qui vous rend coupable, c'est le méchant (le jaloux, l'envieux, le plein de ressentiment, bref, celui qui se pose avant tout comme votre victime, victime de votre innocence, de votre belle humeur, de votre santé mentale, de votre sens de l'humour, de votre puissance inconsciente.) 

Le méchant est donc l'accusateur. Mais qui a dit qu'on n'avait pas le droit de vous accuser ? Et si votre innocence et votre bonne santé étaient insupportables ? Et si ce que vous appelez votre innocence n'était en fait qu'une arrogance inconsciente ? Et votre bonne santé le résultat de purs soins de riches ? Trop facile, l'innocence et la bonne santé surtout quand elles sont sociales - surtout quand elles sont le résultat d'une classe sociale. On sait que les riches sont plus insouciants et plus beaux que les pauvres. Une amie, un jour, me racontait sa découverte de l'injustice. Petite fille bourgeoise et cultivée (et donc forcément très mignonne) elle était amie avec une autre petite fille, d'un milieu plus humble, donc plus rude, plus bête, plus moche. Un jour, la petite fille pauvre proposa à la petite fille riche de mettre dans une cachette tous leurs jouets (en fait, surtout ceux de la petite fille riche parce qu'en matière de jouets elle n'en avait guère, la petite fille pauvre). Ce serait "leur secret". La petite fille riche trouva l'idée très drôle, apporta tous ses jouets, les cacha dans la forêt avec la petite fille pauvre - et évidemment le lendemain, quand elle se rendit à la cachette, tous ses jouets avaient été volés, et elle ne revit jamais la petite fille pauvre, "la voleuse", "celle qui lui avait appris l'injustice". "Certes, voleuse, avais-je alors repris mon amie, et donc injuste, et donc méchante, mais plus dans ton esprit que dans le sien. Dans le sien, elle ne faisait pas tant le mal que se faire un peu de bien. Elle n'avait pas de jouets, tu en avais, et si on te les prenait, tu en aurais d'autres, alors qu'elle, jamais. Alors, elle t'a volé. Mais ce vol fut pour elle une manière de rééquilibrer la balance - de faire acte de justice. Je reconnais que c'est fort déplaisant et que tu as eu raison de la considérer comme une voleuse, mais elle, elle s'est considérée comme une Robin des Bois." Mon amie était estomaquée de ce que je lui disais (et moi-même, d'ailleurs je l'étais tant ce n'est pas mon genre de prendre la défense des pauvres). Mais comment penser autrement ? La délinquance n'est qu'une réaction sociale - une quête de la justice par d'autres moyens.

Le méchant, socialement parlant, c'est le pauvre, le laid, le con, le maltraité - et le super méchant, c'est Zorro, celui qui ose défendre les pauvres et punir les riches, celui qui ose montrer que les riches (ou les beaux, ou les en bonne santé) se croient gentils alors que leur gentillesse, leur honnêteté, leur beauté, leur santé sont nés du malheur des autres. En vérité, les heureux sont des chanceux, les gentils des privilégiés, les élus des enculés. On peut toujours blâmer le ressentiment, l'aigreur, la jalousie, mais qui n'a jamais connu ces mauvais sentiments s'envoie la première pierre. Qui n'a jamais souffert l'injustice (sociale, scolaire, amicale, filiale, familiale) se jette d'un pont. Qui n'a jamais été méchant se pende. Nous sommes tous méchants. Nous sommes tous injustes.

Dans Le Guépard de Visconti, quand Lancaster et Cardinale se mettent à danser, éblouissant l'assemblée de leur beauté et de leur noblesse, et que l'on voit les épouse et fille du Prince tenir une gueule pas possible, quel spectateur ne s'est pas moqué d'elles en disant : "oh les vilaines, les frustrées, les jalouses, les puritaines, les coincées, bien fait pour elles !". Mais n'est-ce pas la faute du Prince si elles apparaissent si envieuses ? Quoi ? Le prince sacrifie son laideron de fille à une étrangère, trompe sa harpie de femme devant tout le monde, et ce serait lui l'innocent, le noble, le "guépard" ? Non, madame, le Prince est un beau salaud d'aristocrate ni plus ni moins, un damné comme Visconti le dira plus tard. Et tout coeur vraiment pur devrait aller du côté des femmes connes et laides et non de son côté à lui, ou de celui de Delon ou même de celui de Cardinale. Seulement, voilà, nous aimons la beauté, la puissance et la grâce - comme les nazis. Nous aimons nos intérêts - comme les capitalistes. Nous aimons les heureux - comme les salauds candides. Quand nous voyons Autant en emporte le vent, nous sommes avec Scarlett contre les nègres. Des enculés, je vous dis, vous, moi, nous. Et nous craignons plus que tout les prolos en colère, ces damnés de la terre qui osent se révolter, ces pouilleux qui décident de changer notre monde, ces fracturés sociaux qui veulent nous en remontrer, ces palestiniens qui menacent notre bel état israélien, ces barbares qui nous envahissent. Alors qu'est-ce que le méchant, finalement, sinon celui qui met en péril notre bien-être ? Celui qui nous fait remarquer que notre paradis est né de son enfer ? Caïn a tué Abel, mais n'est-ce pas pas parce que Dieu préférait Abel à Caïn ? Non, non, il faut se rendre à l'évidence : le méchant, c'est celui qui a plus souffert que le gentil.

Voilà, c'était mon sermon du jour.

Amen.

 

 

Mariage gay dans Salo.PNG

Mariage gay à Salo.

 

Pierre Cormary - Allez, puisque le brave Joseph Macé-Scaron vient de me virer de son Facebook (il est vrai que je faisais remarquer, à la suite d'Eric Zemmour et de Michel Houellebecq, que libéralisme et libertarisme sont toujours allés de pair, et que le mariage gay n'est en ce sens que l'aboutissement logique, normal et moral du libéralisme et de l'individualisme contemporain ; le mariage gay, c'est le comble du bling bling, je veux dire : du désir de tout un chacun d'institutionnaliser et de légaliser son désir - tant de choses qui ont dû contrarier JMS), je voudrais revenir un instant sur l'abîme philosophique qui sépare les anti et les pro-mariage gay. Et je commencerais par les anti parce qu'ils arrivent historiquement en premier - le mariage gay étant, encore une fois, une nouveauté anthropologique qui n'a pas quinze ans dans l'histoire de l'humanité (le premier pays l'ayant accordé est la Hollande en 2001).

Les anti mariage gay croient à la nature, au "substrat", à l'être, à l'essence - à Dieu d'une certaine manière. Alors que les pro mariage gay croient aux choses, aux situations, aux devenirs, aux existences. Pour eux comme pour Sartre,"l'existence précède l'essence". Les premiers sont du côté de Cratyle (les mots sont une émanation des choses elles-mêmes et le langage est naturel), les seconds du côté d'Hermogène (les mots sont des signes arbitraires destinés à faciliter la communication et le langage est conventionnel). Pour les uns, l'identité se construit à partir d'une norme plus ou moins transcendante (qui peut être Dieu ou la Nature divinisée) dont on tirera quelques modes, pour les autres il n'y a pas de normes, il n'y a que des modes - dont certains croiront qu'on peut en tirer des normes. Pour les uns, la coutume vient de la nature, pour les autres, la nature vient de la coutume. Pour les uns, la mesure est toujours le résultat dégénéré du Divin, de l'Idée, de la Forme, de la Nature, des Principes Premiers qui nous dépassent, nous les humains. Pour les autres, elle n'est et elle n'a jamais été qu'humaine - "l'homme étant la mesure de toutes choses", comme dit Protagoras le sophiste. Pour les uns, tout vient d'un Principe Premier (un Arché), pour les autres, tout n'est jamais que constat - on constate ce qu'il y a, ce qui se passe, et on gère en fonction. Les anti-mariage gay seront donc plutôt parménidiens, platoniciens, chrétiens, cartésiens, heideggeriens. Les pro mariage gay seront plutôt héraklitéens, sophistes, athées, spinozistes, nietzschéens, sartriens. Les concepts favoris des premiers seront l'altérité, la différence, la distinction. Les concepts préférés des seconds seront l'ipséité, la volonté de puissance, la technique. L'être des anti-mariage pour tous est essentiellement un être brisé, fêlé, tragique. L'être des pro-mariage pour tous est un être réconcilié, entier, hermaphrodite - et sur bien des points, comique. Au corps crucifié mais glorieux des premiers, on opposera le corps faustien (ou prométhéen) et démoniaque des seconds. De manière plus globale, on pourra dire que les anti-mariage gay se réclament du socle plusieurs fois millénaires et de la Tradition qui touche disons 99 % de la Terre, le terrien étant avant tout un être religieux, et que les pro-mariage gay sont le un pour cent qui reste, mais cet un pour cent incarne la raison, la bonne volonté, la laïcité, le droit, le progrès, l'Histoire qui se fait au présent, et l'idée que rien n'est immuable et qu'il y a une eschatologie humaine (eschatologie qui nous vient du christianisme, soit dit en passant, et pour contrarier les choses). Socialement, on s'amusera enfin à prétendre que les anti-mariage gay sont aristocratiques et que les pro-mariage gay sont démocratiques (même si paradoxalement, les peuples ou les communautés traditionnelles sont moralement aristocratiques et les élites "progressistes"). Bref, pour les premiers, l'appréhension du monde est avant tout métaphysique alors que pour les seconds, elle est d'abord sociale. Les premiers trouvent leurs sources dans la Bible, l'Iliade et Sophocle, les second dans "Dictionnaire de l'homophobie de Platon à Pierre Cormary".

Ludovic  - Mais quelle idée de débattre avec Macé-Scaron !

Pierre Cormary -  Je sais, je sais... J'ai honte. Pardon.

[Et le débat se poursuivit avec Jean-Yves, Guillaume, Jean-Rémi et quelques autres sur plus de 300 commentaires, le premier d'une longue liste.... Cette année serait l'année Facebook la plus chronophage que "nous" aurons, je crois, vécue. Du reste, je me suis promis de ne pas trop en faire en 2014...)

Pierre Cormary - Palma Comiti, arrêtez de liker toutes mes photos depuis quatre ans. Je ne suis pas si sympathique. Demandez à ma soeur et à mes connards d'amis intimes !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

 

 

christopher-walken-pulp-fiction.jpg

 Geek fiction

 

Pierre Cormary - ma soeur, c'est simple, c'est Bruce Willis dans Pulp Fiction qui passe à l'instant sur Paris Première, qu'ils n’ont pas à Ste Maxime, les Panisse !

Sophie R. - Encore que je ne vais pas faire toute une histoire si je perds ma montre....

Faustin - Dites-le si on dérange les cocos !!

Sophie R. -  Faustin, :D

Pierre Cormary - D'autant que je me voyais plutôt dans le rôle de Christopher Walken….

Pierre Cormary - Faustin, c'est plutôt le black qui dit au méchant" qu'il va se la jouer moyen-âgeuse"....

Sophie R. - Et Anne B, c'est Uma....j'ai bon ?

Pierre Cormary - Ouiiiiii.....

Pierre Cormary - Anne, on parle de toi.... Où es-tu, deleuzienne ????

Sophie R. -  Faut trouver un Travolta....

Anne  - Je veux bien faire ma Uma !

Et officiellement, puisque Sophie est Bruce Willis, j'envoie officiellement une demande d'amitié en ce 17 janvier.

Pierre Cormary - Travolta, c'est Guillaume O., bien sûr, et Maria de Medeiros, c'est Murielle J., évidemment...

Sophie R. - Et Mr Z., c'est qui ?

Pierre Cormary - Et Pascal, c'est.... C'est Harvey Keitel, le type qui résout les problèmes.

Raphaël - Et moi, j'suis qui, moi ?.......  Marvin ? [le type qui se fait abattre par erreur par Travolta dans la voiture] Il faut me voir avec du plomb dans la gueule. C'est tout moi.

 

 

 dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche, marion-maréchal le pen, frigide barjot, Pierre Cormary - « Et Jean-Pierre Léaud dans tout ça ? – Ah non, ne me parle pas de ce crééétin de Jean-Pierre Léaud !!! En cinquante films, jamaiiiiiiiis progressé, jamais rien foutu, un ado attaadé irrattrapable ! – Mais Fanoutza, c’est un mythe pour nous, Jean-Pierre Léaud ! - Oui, je saiiiiis, un mythe, c’est vous qui l’avez fait, le mythe, vous là, les cinééééphiles, d'un propre à riiiiien une légende, tu parles, je la connais, moaaaa, la légende, le plus mauvais acteur du monde, jamaiiiis su jouer, jamais su rien faiiire à part grimacer et dire des conneries chez Truffaut.... – Tout de même, Les quatre cent coups, La maman et la putain, Le Dernier tango à Paris…. – Un idiiiiiiiiiot, je te diiiiiiiiis…. Tiens, écoute....Un jour, j’étais avec Jacqueline Bisset, on était jeune, on était belle, mais il y avait Jean-Pierre Léaud dans la salle, et tous les journalistes, là, les intellectuels, ils sont allés le voir lui, et on est resté en plan, tu te rends compte, non, Jean-Piiiierre Léaud ? – Les intellectuels ont toujours eu ds goûts curieux, Fanoutza, regardez-moi ! – Eh oh !!!! T’arrêêêêêtes ça tout de suite, ouii ? – Je n'ai rien dit, je le jure ! – Et tu arrêêêêtes de manger tout le temps aussi, tu veux aller dans les ténèèèèbres ???? »

 

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche, marion-maréchal le pen, frigide barjot,  Pierre Cormary -

Que fous-je, moi,

un mec comme moi,

à la Bastille,

à deux heure quinze du matin ???

(En sortant de l'anniversaire rabelaisien de Stéphane R.)

 

Pierre Cormary - Quelle pute ce Zéro ! Qu'il ne soit pas d'accord avec son frère et sa belle-soeur, très bien, qu'il argumente en disant qu'il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu et que le mariage gay est à César, ça se tient - mais qu'il accuse Frigide Barjot d'être "opportuniste" et qu'elle a fait tout ça pour être une "star" est tellement une contre évidence quand on connaît celle-ci, une négation absolue de ce qu'elle est réellement et de ce auquel elle croit dur comme fer, relève d'une mauvaise foi king size bien digne de cet homme qui a passé sa vie à se prostituer auprès des puissants, lécher toutes les bottes du monde pour faire croire qu'il était du bon côté, sans d'ailleurs ne tromper personne et au contraire passer depuis vingt-cinq ans pour le pire imposteur et le plus plus mauvais comique que le PAF ait jamais produit, nihiliste parfait qui n'a jamais su avoir une idée à lui, et qui aujourd'hui vomit de jalousie tant il n'est plus plus rien et tente de rappeler par tous les moyens son mauvais souvenir à un public qui l'a oublié même du temps de sa fausse gloire. Fantoche sinistre.

 

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 Féministe qui pense bien.

 

Pierre Cormary - Mais qu'est-ce qu'elle nous fait chier cette gauchiste d'un autre âge avec sa définition ringarde du mariage comme union civile et sexuelle (civile DONC sexuelle, selon elle) entre un homme et une femme, son idée tirée de nulle part que la présomption de paternité serait mise en danger par cette loi, sa référence totalement déplacée, quasi fascisante, à Lévi-Strauss et à son modèle "NATUREL BILATERAL" (comme si l'anthropologie avait un rapport avec le mariage pour tous, putain ?), son évocation extrêmement douteuse d'une dimension "QUALITATIVE" de la filiation naturelle, son sous-entendu odieux que le droit d'adoption accordé aux homosexuels créerait une "INEGALITE" entre enfants adoptés, et à la fin sa vindicte contre la GPA qu'elle compare quasiment à de la prostitution, accusant au passage Pierre Bergé de ne pas être de gauche, la salope ! Et quel mépris pour la militante LGBT qui ne "veut pas se coltiner un mec pour devenir mère" ! Comme si la violence venait des lobbies gays ! Non, tout cela est répugnant. Et comme diraient les Guignol de l'Info à propos de Frigide Barjot et de Christine Boutin, quand on a une tronche pareille, Sylviane, on ne milite pas pour le mariage hétéro, cette beauferie d'un autre âge !

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche,marion-maréchal le pen,frigide barjot

Beauferie d'un autre âge, selon Rubens.

 

Pierre Cormary -Ben, disons, si vous voulez, que mon argument principal était de dire que de toutes façons la loi va passer, que nous sommes dans un univers qui marche sur la tête et que cette loi rajoutera aux saturnales ambiantes ni plus ni moins, que cela ne sert à rien de se battre contre des moulins à vent, et qu'en plus de ça, célibataire et sans enfants à vie (même si tout est possible et que plus qu’au libre arbitre, je crois à la grâce et au déclic), je ne vois pas pourquoi je me mêlerais de la vie des autres, sans compter que ces autres, il faut sans doute les protéger des méchants, et donc leur accorder un droit même s'il s'agit pour cela de violer le langage, de confondre le civil avec l'intime, de compliquer la filiation jusqu'à la dixième génération, et de mettre en péril, au moins symboliquement, le principe du vivant dont émane toute organisation sociale digne de ce nom - et là, je me disais "tant pis, la terre continuera de tourner". Mais au fur et à mesure que je suis entré dans le débat, écoutant les uns et les autres, tentant même de défendre les arguments adverses mieux que les adversaires, je me suis aperçu que non seulement je me faisais violence, mais qu'en plus de cela, je développais en moi un sacré lâche. Et puis à la fin, ce n'est pas bon pour la santé mentale que d'aller contre soi.

A la limite, si je me trompe, je préfère me tromper en toute conscience, et que si erreur il y a celle-ci soit au moins en adéquation avec moi. Or, si je suis pris à partie par ma propre inquisition, force est d' avouer que ce projet de mariage gay n'est pas du tout en adéquation avec moi, ce que je crois et surtout ce que mon propre corps perçoit. La vie humaine passe par un homme et une femme et l'équilibre d'un enfant par un père et une mère. C'est là le modèle absolu à la fois physique et métaphysique, matériel et céleste, sexuel et chrétien. Alors, certes, je pourrais continuer à être "littéraire" et à défendre indifféremment les deux parties, et même pourquoi pas aller aux deux manifs ? Mais risquer la schizophrénie n'est pas précisément garder ce point de vue de la santé selon Nietzsche et auquel je tiens depuis toujours. Personnellement, j'ai besoin de voir en face mes névroses pour pouvoir les assumer et non les transformer en droits absurdes ou les institutionnaliser en lois qui marchent sur la tête. Même un aveugle, si j'ose dire, doit avoir le point de vue de la lumière et des couleurs.

Et c'est cela qui me fait violence. Ces consciences à la fois désinvoltes et ravagées, "innocentes" et an-historiques, qui ne comprennent rien à rien sinon leur propre histoire, qui ne voient jamais où est le problème, qui ne pensent qu'à partir de ce qu'ils imaginent être le "progrès", qui ne se positionnent qu'à partir du devenir, oubliant l'être, l'origine, la filiation, se foutant de tout ça d'un rire abject, riant d'ailleurs là où il faut pleurer et pleurant là où il faut rire, et dont la seule passion, d'ailleurs bien française, est leur sacro-sainte égalité de merde - et sans se rendre compte d'ailleurs, dans le cas qui nous occupe, que leur projet de loi galvaude précisément l'idée de l'égalité (parce que l'égalité entre citoyens est totale), parce qu'ils confondent allègrement attributs et désirs, désirs et choix, choix et vie, vie et destin. Non, j'emploie souvent ce mot, mais ce sont bien des "cathares". Et jamais je ne me suis senti aussi peu cathare.

Voilà, je décevrai sans doute certains de mes amis (mais qui se consoleront en remportant leur probable victoire), mais comme disait Philippe Caubère à la fin des Marches du Palais, mieux vaut trahir les autres que se trahir soi. Et puis "trahir", je me fais encore violence, alors qu'il ne s'agit que d'un simple retour au bercail. Disons que je me serais fait peur.
(Il est certain que je cherchais depuis quelque temps à me libérer de tout ça, et que Sylviane m'a donné ce soir le coup de fouet que j'attendais !)

 

depute-nestor-azerot-2.jpg

Socialiste qui pense bien.

(Cliquer sur Nestor pour écouter son beau discours.)

 

Pierre Cormary - Après Sylviane, hier soir, Nestor, ce soir. Quand les meilleurs contradicteurs du mariage gay se retrouvent finalement à gauche et parmi les minorités. Et pour en finir avec ce sophisme absolu et proprement indécent qui voudrait que le mariage gay soit comparable à l'abolition de l'esclavage -

(S'ensuivit un débat très violent avec Jean-Rémi G., le plus violent que nous ayons eu en quinze ans et où nous avons frôlé la brouille, mais notre amitié a résisté....)

Pierre Cormary - Chers amis, une fois n'est pas coutume, mais je voudrais organiser un grand débat sur le mariage gay. Voyez-vous, d'après Homère, Freud, Claude Lévi-Strauss, Sylviane Agacinsci et Catwoman, l'identité sexuelle, fondement de la pensée et de la cité, modèle bilatéral qualitatif, logique du vivant et essence de l'humanité, est aujourd'hui grandement menacée par une loi aberrante et irresponsable, qui..... Eh merde, tiens !

 

 

 

FEVRIER

Voix.

Enfer.

Femmes d'extrême droite.

 

 

Pierre Cormary - Même dans un rêve éveillé, les chiens me rattrapent.

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"Chez" n'est pas "avec".

 

Pierre Cormary - Faites-vous parfois cette expérience extraordinaire d'être si sensible à la parole d'une personne, au ton et au son de sa voix, à son énonciation, ou même au texte d'un livre (et qui n'ont pas de valeur en soi, la personne pouvant être un proche ou un anonyme, une présentatrice télé ou un inconnu interviewé, le livre pouvant être un chef-d'oeuvre de la littérature comme une BD de sixième zone ou un article de journal) que cela vous procure des frissons chauds et agréables qui commencent par la nuque, remontent dans les cheveux et redescendent jusqu'au dos ? Vous pouvez alors écouter cette personne aussi longtemps qu'elle parle, ou relire le texte, ou simplement vous le remémorer en boucle, les frissons s'intensifient et pendant cinq ou dix minutes, vous êtes en état de bonheur sensible à nul autre pareil, et qui n'est ni particulièrement érotique ou spirituel, mais purement épidermique - une sensation bizarre qui vous fait frissonner de bien-être, et tout ça, encore une fois, à partir d'une énonciation ou d'un énoncé. Ce phénomène est-il connu de certains d'entre vous et si oui, a-t-il un nom ?

Jeanne J. - C'est rare mais oui ! Des comédiens en général, pour ce qui me concerne. Certaines voix nous enchantent ! Penser à Ulysse sur son bateau qu'il a fallu attacher pour qu'il ne plonge pas dans la mer dans le sillage des sirènes !

Pierre Cormary - Je ne pensais pas à Ulysse et aux Sirènes, mais oui, c'est quelque chose comme ça - en plus doux. Et des comédiens peuvent en effet susciter cet effet. Même si ce n'est pas mon cas, un Luchini dans ses lectures ou une Amélie Nothomb dans son débit exalté pourraient donner ce genre de frisson à la chaleur délicieuse. Un conteur ou une conteuse pourrait également faire l'affaire. Et puisque tu as liké, Guilaine, je dois dire que j'ai connu cela avec toi. En fait, il s'agit toujours dans mon cas, que cela soit entendu ou lu, d'une parole ou d'un texte qui parlent de pas grand-chose de manière lente et détachée, en prononçant bien et en rapportant quelque chose au présent. Du genre "alors, voilà. On a mis la table là. Puis les assiettes ici. Les fourchettes à gauche, les couteaux à droite. A gauche, à droite. Les assiettes à côté des couteaux, à-côté-des-couteaux. Les fourchettes-à-gauche-des-assiettes. Les-assiettes-sur-la-table. La-table-là. La-table-ici. Et mois, sise là. Et toi, sis là. Et les assiettes et les couteaux à toi. Et les couteaux et les assiettes à moi. Sur la table, la table, la ta-ble."

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Peur de le relire et de retomber d'accord.

 

Pierre Cormary - Les gens malheureux sont les gens qui sont dans le même état que tout un chacun sauf qu'ils prennent cet état plus au sérieux que nous. Ils n'en rigolent pas. Ils ne savent pas qu'il n'y a rien à faire hors se suspendre. Certains vont jusqu'à se pendre plutôt que se suspendre. Ils croient au libre arbitre et au bonheur et évidemment ils se tuent. Moins je crois à la liberté, plus je suis libre. Plus je me dis "je dois avoir la volonté de faire ça"moins je l'ai. En revanche, quand je mets ma "volonté"en veilleuse, elle revient à mon corps défendant et je suis alors un peu capable de faire des choses. La seule liberté, c'est la tenue de sa nécessité intérieure. Serais-je un spinoziste inavoué ?

Pierre Cormary - L'enfer n'est pas pavé de bonnes intentions. Si je comprenais ça, j'aurais réglé 99 % de mes petits soucis.

Pierre Cormary - Lâcher prise plutôt que rien lâcher (les névroses, les incontinences, les saloperies....)

 

 

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Belle et méchante

 

Pierre Cormary - Les femmes d'extrême droite, y a que ça. Rien que dire "femme d'extrême droite", ça fouette.

Pierre Cormary - Moins je connais les femmes, plus je les aime.

 

 

 

MARS

Education sentimentale.

Athéisme impossible (Piéta).

Se battre pour les stéréotypes, la seule chose qui reste à faire.

 

 

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Amis intimes.

 

Pierre Cormary - Le plus dur, quand on est seul, est de n'avoir personne avec qui partager ses méchancetés, assouvir ensemble sa mesquinerie. Etre condamné à insulter tout seul les autres, ça finit par miner.  La complicité dans l'aigreur est essentielle à l'équilibre mental.

 

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Lui, donc nous.

 

Pierre Cormary – " - C'est là ce que nous avons eu de meilleur ! dit Frédéric. - Oui, peut-être bien ? C'est là ce que nous avons eu de meilleur, ! dit Deslauriers."

Sans doute la plus belle et selon moi la plus bouleversante fin de roman. La vie qui a été ratée, rêvée, et en même temps qui n'a pas fait si mal que ça. Parce que le bien-être est supérieur au bien. Parce que tout ce qui compense les manques et le néant est bon à prendre - ce qu'Emma n'avait pas su prendre. Emma est morte d'avoir trop cru à ses rêves, d'avoir voulu les vivre pour de bon, alors que Frédéric s'est contenté de les avoir. Le souvenir de Marie et de la pute lui suffisent. Ce n'est pas un personnage tragique. Juste un bovaryste qui se soigne.

On comprend que le livre n'ait pas eu de succès à l'époque et du reste qui n'en a toujours pas. Cette Education serait de l'avis de beaucoup "chiante" alors que c'est le chef-d'oeuvre de Flaubert et sans doute du roman français (avec La Chartreuse de Parme à laquelle on continue de préférer bizarrement Le Rouge). Peut-être parce que, comme le dit Thibaudet, autant on adhère à un roman qui donne l'illusion de la réalité, autant on renâcle devant un roman qui laisse entendre que la réalité est une illusion. C'est pourtant cela qui sauve. Ou du moins, qui soulage.

Guillaume  - Tu spoiles un roman que je n'ai pas terminé. Va mourire.

Pierre Cormary - Ah merde...!!! Vraiment désolé.... Bon, en même temps, tu imaginais que cela n'allait pas se terminer comme un épisode de Capitaine Flam.

Guillaume. - Tout était possible. Maintenant, plus rien ne l'est. Je suis écoeuré.

Pascal Z. - Et puis en même temps, on ne sait pas trop ce qu'il va faire Frédéric une fois le roman terminé. Ce n'est pas comme s'il se jetait sous un train ; ça c'est Karénine !!!

Guillaume - Il va vieillir, s'empâter, fumer des cigares et mourir. Adieu barricades, adieu bohème, adieu femmes de taffetas rouge, va mourire Moreau.

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche,marion-maréchal le pen,frigide barjot,lorant deutschPierre Cormary « - Personne n'est athée, Pieeeeeerre, ça n'existe pas l'athéisme.... - Je rêverais d'être d'accord avec toi, Fanoutza, mais hélas, j'en connais plein des athées, des sincères en plus, des gentils, des honnêtes, mais y en a partout... - Parrrtout, parrrtout, tu paaarles ! On les foutrait en prison, tes athées, ou dans les tranchéééées, ou dans un pays qui meurt de faim, tu verrais qu'il n'y en aurrrait plus du tout. Au bout de six mois, ils prieraient pour ne pas mourir. Ils ne savent pas ce que c'est que la vraie souffrance, les athées. - C'est pas faux. - C'est vrai ! Tu sais quoi, Pieeerre ? Il y a deux mots que les hommes répètent quand ils sont dans un malheur sans fin, le mot "Dieu" et le mot "maman". Sans ça, c'est la nuit noire.»

Pierre Cormary - Je viens donc de me mettre à la fibre SFR grâce à un technicien gentil, patient, courtois, efficace, un peu junkie, mais sympathique, qui m'a expliqué comment on appuyait sur "on" pour que ça s'allume et sur "off" pour que ça s'éteigne, qui a percé des trous dans mes murs sans tout casser, qui a fait tout comme il fallait et en me faisant presque comprendre ce qu'il faisait. Cette intervention m'avait rendu malade depuis une semaine et hier j'étais à deux doigts de la dépression. Mais tout s'est bien passé. Et en plus, je me suis débarrassé à jamais de Numéricable qui avait quand même été l'une des causes de l'amithivilisation temporaire de mon studio il y a tout juste deux ans. Non, là, je peux le dire, je suis content. Carrément moi.

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche,marion-maréchal le pen,frigide barjot,lorant deutschPierre Cormary - Détester les problèmes techniques, c'est prouver le mépris qu'on a pour la matière, et mépriser la matière, c'est sous-entendre qu'on se réfère à une société esclavagiste. Quand je souffre devant mon robinet, la vérité est que je regrette de n'être pas Néron ou Caligula.

Pierre Cormary - Je crois que le seul combat valable aujourd'hui est de se battre POUR les stéréotypes et les préjugés. Rien à faire d'autre.

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche,marion-maréchal le pen,frigide barjot,lorant deutschPierre Cormary - Les Femen sont des connasses. Et c'est Ovidie qui le dit. http://metrofrance.com/blog/ovidie/2013/03/08/pourquoi-je-nai-plus-foi-en-les-femen/

Khaled B. - Que c'est étrange ce monde où l'on a besoin de la caution intellectuelle d'une hardeuse. ..

Pascal L. - C'est un peu comme le crédit apporté par certains envers john B Root : pseudo-cinéaste à la con ennuyeux comme un peep-show.

Pierre Cormary - Mais c'est tout à fait ça. Il faut passer par le bas pour dénoncer le super bas. C'est ça ou se retirer du débat.

Raphaël Juldé - Demain, j'é(n)lève le débat.

 

 

 

AVRIL

Questions honteuses.

 

 

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Auto-tryptique

 

Pierre Cormary - Bon, j'ai bu, il est temps de passer aux questions sérieuses.

1/ Qui parmi nous est heureux dans sa vie sexuelle ?

2/ Qui ne s'est jamais senti raciste une fois dans sa vie ?

3/ Qui a pensé un jour à se flinguer sur Facebook ?

Stéphane R. - J'estime pour ma part que je serai véritablement heureux sexuellement quand j'aurai commis un crime raciste sur Facebook, ce qui a le mérite de répondre aux trois questions en une seule réponse, et en ces temps de crise, un peu de rigueur économique n'est pas du luxe.

Julien D. - La satisfaction sexuelle c'est surtout quand après, t'es pas obligé de causer romance pendant une plombe sur l'oreiller.

Joseph V. - La satisfaction sexuelle est comme le crime : dans la difficulté à se débarrasser du corps...

(...)

 

Pierre Cormary - Autres questions honteuses :

1/ Qui a déjà voté FN ?

2/ Qui a déjà joui financièrement (ou a connu les délices du bling bling) ?

3/ Qui a déjà pensé à rompre sur Fb avec moi ?

Nico de Montreuil - 1/ oui. 2/ Non, si la première réponse est oui (d'après les sociologues) 3/ non

Pascal Z. - 3 fois non.

Ludovic - Je ne vote pas, je ne jouis pas financièrement, je ne défriende pas.

Raphaël - 1: non. 2: jouir, déjà, c'est compliqué, mais alors financièrement... 3: rompre avec toi sur FB ? Mais le jour où tu quittes FB, je n'aurai plus qu'à m'en aller aussi !

(En fait, Pierre, il n'y a que toi qui es vraiment bizarre ici !)

(...)

 

Pierre Cormary - Ultimes questions inavouables :

1/ Qui a des perversions sexuelles peu ou prou ?

2/ Qui est ami(e) avec moi en même temps qu'avec *** ?

3/ Qui coucherait avec moi (fille ou garçon) ? 

Patrick Ch. - Pas moi / Sûrement pas ! / Désolé, Pierre, pas moi.

Sylv Métaf - J'aimerais bien. Nein. Nein. 

Alina - Faut dessouler d'urgence, petit Pierre !

(...)

 

 

MAI

 

Raphaël Juldé

Scott Fitzgerald.

Dominique Venner

Frigide Barjot

Superman

Renaud Camus

Les Sparks

 

 
 

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Notre  ami(el)

 

Pierre Cormary - On ne se lasse ni du souffrant, ni du comique, ni du styliste - http://raphaeljulde.blogspot.fr/2013/05/le-carnet-de-lartilleur.html 

 

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Beau génie.

 

Pierre Cormary - Il y a des romans qu'on ne veut lire que pour le titre, comme Tendre est la nuit. Il y a des romanciers dont on veut être fan que pour leur nom, comme Scott Fitzgerald. Il y a des films qu'on ne veut aimer que parce qu'on aime le livre et l'auteur, comme Gatsby.

Pierre Cormary -  "Furieux, à demi amoureux d'elle, avec un terrible regret au coeur, je l'ai laissée là."

C'est pour ce genre de phrase que Scott est grand. Et qu'on ne peut l'aimer qu'à nos âges. Un écrivain de jeunes, c'est pour les vieux. A vingt ans, on aime la métaphysique et la pornographie. A quarante, le réel et l'amour (et la pornographie, aussi, OK.)

 

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Druide dépressif

 

Pierre Cormary - Totalement tarkovskien. Ridicule, pathétique et sublime

Tradition du suicide à l'extrême droite : Drieu, Mishima et aussi Naphta, le réac de La montagne magique, Rauffenstein dans La Grande illusion (joué par Von Stroheim). Philosophie bizarre et tragique du facho solitaire : on ne supporte plus le monde, on passe son temps à perdre devant la monde, on est devenu le bouffon honni du monde - et comme on ne peut pas tuer le monde, on se tue au nom d'un autre monde. Un geste politique antique.

Ce qui me frappe le plus dans cette affaire, c'est la sincérité sacrificielle des gens d'extrême droite. Pas libéraux ni sceptiques pour un sou, ils souffrent VRAIMENT de la décadence nationale. Leur colère peut paraître odieuse et ringarde, elle n'en est pas moins d'une authenticité impressionnante. On peut tout dire d'eux sauf qu'ils sont hypocrites. Comme chantait l'autre, ils sont vraiment prêts à "mourir pour des idées". Ni machiavéliens, ni hobbesiens, ni tocquevilliens, ils s'arc-boutent à un monde perdu. En eux se marient abjection et noblesse, bêtise et d'honneur, ressentiment et héroïsme. Une forme de mysticisme. Très, très curieux.

Pierre Cormary -  Venner, encore. Rien à voir avec ces gens-là, mais impossible de ne pas leur reconnaître une sombre grandeur. Une droite non pas puante, comme le diraient les hyènes de gauche, mais irrespirable. Quelque chose d'étranger au monde. D'hérétique plus que d'antique. D'anti chestertonien. Une droite science fictionneuse, ésotérique, aventurière de l'arche perdue plus que du monde perdu. Une droite qui prendrait Lohengrin ou Parsifal au sérieux, qui écouterait Parsifal comme on écoute une Passion de Bach. Une droite régressive et grotesque. Et pourtant.... Dans une autre vie, j'aurais pu en être. Merci mon Dieu de m'avoir mis dans ma vie !

Pierre Cormary - J'aime bien quand il est attaché devant la fille qui se masturbe. J'aime bien quand la mère compare les bites de ses fils et qu'elle lui dit que la sienne est la plus petite. J'aime bien quand le monsieur asiatique perce l'oreille du type avec un pic à glace en lui disant : "t'avais qu'à m'écouter". J'aime bien son lynchéisme bien digéré. Mais à force d'être maniériste, le film finit par se vider du peu de substance qu'il avait et son côté "déceptif" (au sens où, ok, on ne peut rien contre "Dieu") finit par être vraiment décevant.

[A propos de Only god forgive de Nicolas Winding Refn.]

 

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Sainte de l'année

 

Pierre Cormary -  Entre les désintégrés du nouveau monde et les intégristes de l'ancien, que pouvons-nous faire ? Les uns est les autres accusent Barjot de faire le grand écart entre la lutte, ô combien légitime, pour la filiation humaine et son souci de protéger les homosexuels contre l'homophobie. Alors que l'un va évidemment avec l'autre. Mais la nuance est enfer pour les radicaux qui se trouvent en revanche bien d'accord pour lyncher celle qui a voulu apporter intelligence et amour dans ce débat. Car il est évident que ce n'est pas Frigide qui a mis le feu aux poudres mais bien cette loi aberrante et que ç'a toujours été elle, Frigide Barjot, la plus menacée, et d'ailleurs la plus courageuse, quoiqu'on pense de son combat, et non pas ce parfait enculé de Pierre Bergé, sans doute l'homme le plus méprisable de France.

Avoir contre soi les odieux LGBT parce qu'on est contre le mariage gay et l'abject GUD parce qu'on est pour l'union civile, c'est éventuellement perdre sur le plan du pur rapport de forces (que faire, aussi, devant des fascistes ?), mais c'est gagner totalement sur le plan politique et moral. En plus de son combat que je soutiens à fond, j'admire beaucoup la façon dont Frigide Barjot a su mener celui-ci. Evitant tous les écueils, lestant ce qu'il fallait lester (et notamment la sinistre Béatrice Bourges), allant jusqu'au bout de sa vérité, quoique décidant à l'instant de se protéger, elle et (pour) sa famille et pour cela ne pas participer à la Manif de dimanche. Il est vrai que les identitaires sont une racaille à laquelle seule celle des islamistes pourraient rendre des comptes. On se demande quand d'ailleurs ils ne vont pas se retrouver. Les identitaires, nos islamistes gaulois. Et prise à partie par eux, une femme incroyablement sincère, courageuse, habile - et qui aura montré aux gens, même en vain, ce que signifie bien penser.

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment

Méchant, mais grand.

 

Pierre Cormary - Contrairement à mes amis d'extrême droite, je crois de moins en moins à "l'islamisation" de notre beau pays. Je crains que nous soyons beaucoup moins en phase d'islamisation qu'en phase de mutation sociale et nationale totalement imprévue et qui est déjà en train de prendre tout le monde à rebours. C'est en effet un truisme de la droite que de dénoncer la "schizophrénie" de la gauche qui d'un côté se veut à la pointe des réformes sociétales et de l'autre veut intégrer toutes les minorités visibles, sans se rendre compte, bien entendu, que ces minorités visibles, souvent provenant de mondes traditionnels, seront les premières à combattre les réformes dites. En gros, blacks et beurs seront par culture (pour ne pas dire "par race") complètement opposés à tout changement anthropologique majeur. Pourtant, c'est bien une black qui a soutenu, imposé et fait voter le mariage gay. Et c'est bien un cinéaste d'origine maghrébine, Abdellatif Kechiche (qui pour moi est un génie dans la lignée de Pialat) qui vient de remporter la palme d'or pour un film lesbien. Autrement dit, ce qui se fait de plus "in" aujourd'hui sur le plan politique et artistique vient d'individus que l'on pourrait a priori considérer comme venant des mondes les plus "out". Evidemment, on pourra arguer que pour une Taubira, mille Mamadou, et que pour un Kechiche, deux mille Mouloud, en oubliant d'ailleurs que pour mille Mamadou et deux mille Mouloud, au moins dix mille Dupont, vingt mille Martin et sans doute quarante mille Rey, sauf que n'en déplaise aux Rey, Martin, Dupont, Mouloud et Mamadou, ce sont toujours les intellectuels, les scribes, les clercs, c'est-à-dire les underground, qui, à tort et à raison, font les lois et l'Histoire. Que l'islamisme se fasse de plus en plus violent et barbare ne fait aucun doute (voir les attentats contre les militaires à Londres et à Paris de ces derniers jours), mais en même temps, on peut considérer, et sans du tout relativiser la sauvagerie de ces agressions, que cette violence inouïe est une sorte de feu de paille - si j'ose dire, d'Ouradour sur Croissant. Parce que s'il y a des terroristes islamistes qui sont prêts à tout pour inquiéter le pouvoir politique et l'opinion, il y a en même temps des artistes arabo-musulmans qui ont pris le pouvoir culturel dans ce qu'il a de plus progressiste, tel Kechiche, et que les véritables rapports de force ne sont donc plus entre les gentils Gaulois et les méchants Arabes qu'entre les gentils Arabes (qui pensent comme les Gaulois de gauche) et les méchants Arabes (qui pensent comme les Gaulois de droite).

1/ Je ne crois pas du tout que Taubira ait obéi aux ordres de quiconque. Je ne crois pas au "complot" et aux manips surtout concernant une loi qui met en question le vivant et qui engage l'être profond de tout un chacun. Je pense que Taubira (mais cela aurait pu être Rama Yade, en effet Faustin) a été sincère, combative, et sans doute très consciente du symbole qu'elle représentait en faisant voter cette loi dont en effet ses compatriotes ne voulaient pas (et c'est un fait que la loi passe très mal aux Dom Tom). Non, s'il y a quelqu'un que cette loi ne faisait visiblement pas bander, c'est bien Hollande. Lui était dans l'électoralisme tout plein quand il l'a proposée et a révélé sa lâcheté. Car ce qu'il aurait fallu faire en tant que président de la République, c'est un grand discours historique pour dire combien cette loi était importante sur le plan de la civilisation, un discours qui aurait été appris dans les écoles pour les siècles des siècles et qui aurait cloué le bec aux opposants. Mais non, il s'est défilé.

2/ Je crois que c'est moins l'islamisation qui nous menace que le métissage. De ce point de vue, Renaud Camus et son Grand Remplacement a raison. Celui-ci a déjà commencé et au fond nous en sommes tous bien contents. Personne ne s'interdira aujourd'hui de tomber amoureux d'une fille ou d'un garçon d'origine immigrée. Et s'il y a sans doute de plus en plus de beurettes qui prennent le voile (et pour des raisons identitaires plus que pour des raisons religieuses) il y en a encore plus qui vont boire dans des bars ou qui gagnent Top Chef. Encore une fois, les camps sont à cran, mais justement, il y a deux camps. Je le vois bien dans mon établissement culturel où j'ai des collègues de Tunis ou d'Alger qui ont décidé de ne plus boire une goutte d'alcool pour faire chier les identitaires français et d'autres qui boivent encore plus pour faire chier les premiers. Si les Gaulois commencent à se black-beuriser, les black-beurs commencent à s'occidentaliser - et cela, comme vous le dites, Pascal, via le libéralisme triomphant. Un jour, on aura un président maghrébin et il sera pour la PMA. Un jour, et dans pas si longtemps que ça, on aura des mariages gays entre arabes ou entre noirs - symbole Kechiche - et c'est cela qui sera l'inattendu, l'imprévisible, l'événement. Un jour, la présidente du FN s'appellera Aziza Ben Le Pen.

 3/ Je crois que la grande erreur de la droite tradi est de croire que l'islamiste peut l'emporter sur nous. En vérité, l'islamiste ne l'emportera pas sur nous ni sur personne parce que précisément il ne fait rêver personne. L'islamiste est le rebut du monde entier. Et les conquêtes ne se font jamais par les rebuts, non, les conquêtes se font par les puissants - c'est-à-dire les beaux et les forts. Si les Romains ont colonisé la Gaule et le reste du monde connu de leur époque, c'est parce qu'ils étaient certes plus forts militairement mais surtout plus brillants culturellement. Ils apportaient la civilisation. L'islamiste n'apporte aucune civilisation et surtout pas la sienne (qu'il a détruite). En fait, si l'islam représentait vraiment un danger, cela serait non grâce aux talibans et aux terroristes mais grâce aux mille et une nuits et aux miniatures persanes. Le danger civilisationnel, si danger civilisationnel il y a, ce n'est pas Mohammed Mehra, c'est bien Abdellatif Kechiche - ce n'est pas le forcené qui trucide des gens, c'est l'artiste raffiné qui séduit le public. Ce qu'il faut comprendre, c'est que ce n'est pas le terroriste intégriste qui risque de nous faire succomber à son impérialisme, c'est le bourgeois cultivé dont la civilisation triomphante va nous faire mouiller. Ce fut les USA avec le jazz et le cinéma au XX ème siècle, ce sera sans doute la Chine avec la calligraphie et Confucius au XXI ème. L'impérialisme passe toujours par le meilleur, soit l'économiquement et le culturellement fort (et n'en déplaise aux gens de gauche, l'on sait depuis Périclès, Laurent de Médicis et Louis XIV que la puissance économique va de pair avec la puissance culturelle). L'impérialisme séduit le monde par ce qu'il a de mieux en lui. Et l'islam aujourd'hui représente le pire du monde. Alors il ne faut pas être naïf, il y aura encore des attentats islamistes chez nous, il y aura encore des excisions et des lapidations chez eux, et sans doute de plus en plus, mais non parce qu'ils auront gagné mais parce qu'ils auront bientôt perdu. Houellebecq, pour le coup, disait la même chose : le fascisme islamiste a encore quelques décennies à vivre mais va s'effondrer bientôt, parce qu'ils sont beaucoup trop cons et qu'ils ont perdu la partie. Mais du jour où ils seront intelligents, brillants, séduisants, là, nous serons vraiment menacés.

Pierre Cormary - En route pour aller voir Superman. Lui seul pourra répondre à mes questions.

 

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 Cliquer sur l'album.

Pierre Cormary -  Un soir, avec Anne B. (notre centième soirée ?)

 

 dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche, marion-maréchal le pen, frigide barjot, Pierre Cormary -  Nous en parlions, Pierre Téqui et moi, l'autre soir après Orsay, de cette tradition d'extrême droite (mais qui pourrait être tout autant d'extrême gauche) qui dit que l'histoire du peuple français n'a jamais été véritablement écrite, l'Histoire de France se cantonnant au fond à l'histoire de l'Etat, au mieux celle des monarques, au pire celle de Paris. Mais le peuple, c'est-à-dire la province, c'est-à-dire les ploucs, hors Poujade dans les années 50 et 60, ou la Manif pour tous aujourd'hui, a toujours été inconnu au bataillon. Et c'est pourquoi le peuple ne se reconnaît pas du tout ou n'a pas à se reconnaitre dans l'Histoire de France. Mieux : une partie des traditionalistes français va jusqu'à dire que les vrais français, les français de souche, n'existent plus depuis l'invasion des Celtes, pour ne pas dire des Francs. Les Gaulois auraient été francisés par les Francs comme les Maghrébins auraient été arabisés (en plus d'être islamisés) par les Arabes lors de la conquête musulmane au V ème siècle. Bref, l'identité nationale moderne est un mythe franco-chrétien, et le "vrai Français", le Gaulois, ou éventuellement le gallo-romain, une espèce disparue, même s'il bat encore dans le coeur de certains d'entre nous, plus sensibles au druidisme qu'au christianisme, plus émus par la vie régionale que par la vie parisienne, préférant largement les Menhirs à Notre Dame de Paris (qu'on devrait raser pour faire un Notre Dolmen de Lutèce.) Toute l'Histoire de France n'aurait été alors qu'une centralisation abusive (de Clovis à De Gaulle, en passant par Louis XIV et Robespierre), sinon une parisianisation du territoire, doublée d'une intellectualisation forcée (le français promu langue officielle contre l'occitan et autre dialectes) - bref, ce que l'on pourrait appeler sans rire un "jacobinisme à travers les âges".

Bien sûr, je suis pour. Tout ce qui unifie, assimile, francise, christianise et romanise, est bon à prendre.

 Pierre Cormary – Quand Dieu perd son latin - http://www.buzzly.fr/compilation-danimaux-meconnus.html#HGPkWAd2uf8q09Fa.01

 Pierre Cormary - Jospin, salolepeuplauratapo (d'ailleurs, il l'a eu, t'as pas été élu !) - http://www.youtube.com/watch?v=hHfyzRMzyCM

 

 

 JUILLET

 

Marion teste ton mec.

Marcel Gauchet sur le mariage gay.

Emmet de la Groganière au Piquet.

Samy Nacery.

Jean-Pierre Vernant

Fort Boyard

 

 

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Erynies des ondes

 

Pierre Cormary - Sans pitié pour la pédophilie. Sans complaisance pour l'idolâtrie. Sans concession pour l'indifférence de tous pour tous. Il est formidable, ce pape, non ? (A part ça, j'ai découvert le Marion test ton mec. http://www.youtube.com/watch?v=_TJkanIGvZg)

Pierre Cormary « Ce qui était frappant dans cette courte séquence post-premier tour, c'était l'âge de cette résistante en carton, piaillant ses cours de théâtre, alors que le candidat FN a 23 ans. La jeunesse n'est pas une qualité, mais elle indique tout simplement où se trouve la dynamique politique de ce pays. On peut toujours monter sur les grands chevaux de la République, la réalité, c'est que le jeunesse politique aujourd'hui, c'est le FN. Au lieu de s'inquiéter de vieilleries idéologiques, la classe politique traditionnelle ferait mieux de réaliser rapidement où se situe le renouveau politique dans ce pays si elle ne veut pas être balayée. » De l'excellent Slothorp.

 

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Modéré subtil

 

Pierre Cormary -  Les croyances religieuses n'ont pas disparu (bien au contraire) mais l'organisation religieuse de la société, elle, a bien disparu - et cela depuis Montaigne. Hors quelques réactionnaires sérieux et toxiques (2% des antimodernes), plus personne ne croit ou ne veut croire que le pouvoir vient de Dieu. Non, le pouvoir vient du peuple pour les siècles des siècles. Le christianisme, contrairement à l'islam, est bien la religion de la sortie de la religion. En même temps, les cathos, et avec eux tous les "tradis" (cratyliens, jacobins, essentialistes, naturalistes de droite et de gauche + cette "idiote utile" de Sylviane Agacinski, comme l'a dénommée cet imbécile heureux de Nouvel Obs), ont réagi ces derniers temps, et avec une virulence inattendue, donc sincère, contre cette nouvelle organisation non pas du monde, admise depuis Montaigne, mais de la vie - ce qu'était fondamentalement l'infâme mariage pour tous. Il faut malgré tout reconnaître que "c'est précisément au moment où le passé finit de s'effacer que les gens prennent conscience de sa disparition. Pour bcp, c'est un véritable choc culturel et on peut le comprendre, étant donné l'ampleur du mouvement." Et c'est pourquoi les vainqueurs à la Pierre Bergé ou à la Maître Eolas, enculés parmi les enculés, ont été dans cette affaire plus qu'immondes. Nicolas Bernard-Buss a bien été un prisonnier politique et les media ont bien lynché les Tellenne.

Pour autant, ce qu'il faut retenir de cette affaire est "l'identitarisation de ce qui reste du catholicisme en France". Avec le Mariage pour tous, les cathos sont devenus, à leur grande surprise, et au fond, à la surprise générale, une minorité.... militante, c'est-à-dire une.... communauté. Le communautarisme en branle, la France n'est plus une république depuis longtemps (depuis la première affaire du voile en fait dans les années 80) mais bien une démocratie à l'américaine. Et les cathos sont devenus communautaristes comme tout un chacun. Et comme d'habitude, c'est la minorité de minorité (ici, Civitas et compagnie) qui a pu prendre les commandes de la minorité. Parce que ce sont toujours les plus intégristes les plus organisés - exactement comme en 68 où "on n'entendait que les maoïstes et les trotskistes qui devaient représenter 1% du mouvement !".

Donc, l'enjeu de ce conflit fut pour une fois non social ni économique mais bien métaphysique - c'est-à-dire à la fois plus noble et plus violent. Avec en fil rouge, rose plutôt, ce "désir d'enfant" pour le moins inquiétant. Car il n'est pas sûr du tout que le désir d'enfant soit toujours l'intérêt de l'enfant. Etre le produit d'un désir pur (comme l'est assurément le désir d'enfant de la part d'homosexuels) peut poser quelques problèmes à cet enfant. Qu'est-ce qu'en effet un désir d'enfant non filialisé ? Que seront l'identité et l'équilibre d'un enfant ardemment désiré mais non voulu par les lois naturelles ? Que sera un être humain conçu artificiellement, hors de ses parents, et non pas parce qu'ils ne le pouvaient pas mais parce qu'ils ne le voulaient pas ? Comme aurait dit la psy Claude Halmos (mais une psy, c'est une biblique, quelle horreur !), "l'amour ne suffit pas". Et l'horreur ultimate de notre époque, pourtant antibiblique, est de croire que l'amour suffit, la conne, la salope.....

(Tout cela inspiré de l'excellentissime interview de MARCEL GAUCHET dans le dernier CAUSEUR papier.)

Pierre Cormary – MON MUR DES CONS - voir mon mur FB

Pierre Cormary - Mais il est très sympathique cet Emmett de la Grogannière. 

(Après un verre au Piquet, ce soir.)

Pierre Cormary - De plus en plus, je préfère les gens d'extrême gauche aux gens de gauche. David L'Epée comprendra ce que je veux dire.

(Avant un verre au Mucha quelques mois plus tard.)

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche, marion-maréchal le pen, frigide barjot, Pierre Cormary - Acteur pour ma soeur : Samy Naceri.

Sophie R. - Samy Nacery ... Là t'es dur !  Film que j'ai adoré : Dans ton cul de batard les keufs....  Film que j'ai aimé : Embrouilles sur les Champs.... Film que j'ai détesté : Ta mère l'hôtesse de l'air....  Film que j'ai pas vu : Tous.... Si quelqu'un like ce statut lui défonce sa gueule d'enc....

Pierre Cormary - Fou rire. Putain, ça c'est bon pour "mon Facebook 2013".

 

 

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche, marion-maréchal le pen, frigide barjot, Pierre Cormary –« La première femme se tient là, devant les dieux et les hommes encore rassemblés. C'est un mannequin fabriqué, mais pas à l'image d'une femme puisqu'il n'y en a pas. Elle est la première femme, l'archétype de la femme. Le féminin existait déjà puisqu'il y avait les déesses. Cet être féminin est modelé comme une parthénos, à l'image des déesses immortelles. Les dieux créent un être fait de terre et d'eau, dans lequel sont mis la force d'un homme, sthenos, la voix d'un être humain, phônè. Mais Hermès place aussi dans sa bouche des mots menteurs, la dote d'un esprit de chienne et d'un tempérament de voleur. Ce mannequin, qui est la première femme, d'où est issue toute la race des femmes, se présente avec un extérieur trompeur. On ne peut la contempler sans être ravi, médusé. Elle possède la beauté des déesses immortelles, son apparence est divine. Hésiode dit bien cela, on est ébloui. Sa beauté, rehaussée par les bijoux, le diadème, la robe et le voile, est un ravissement. D'elle rayonne la charis, un charme infini, un éclair qui submerge et dompte celui qui la voit. Sa charis est infinie, multiple, pollè charis. Hommes et dieux tombent sous son charme. Mais à l'intérieur se cache autre chose. Sa voix va lui permettre de devenir la compagne de l'homme, d'être son double humain. Ils vont converser ensemble. Mais la parole est donnée à cette femme, non pour dire le vrai et exprimer ses sentiments, mais pour dire le faux et camoufler ses émotions. (...) Voici donc Pandora, lumineuse à la manière d'Aphrodite, et semblable à une enfant de Nuit, faite de mensonges et de coquetterie. Zeus crée cette parthénos non pour les dieux mais pour les seuls mortels. De même qu'il s'était débarrassé de la querelle et de la violence en les envoyant chez les mortels, Zeus leur destine cette figure féminine. (...) Le lendemain, [Epiméthée - celui qui comprend toujours après, et malgré les exhortations de son frère Prométhée, qui comprend toujours avant, à ne pas le faire] est marié à elle et Pandora est installée en épouse chez les humains. Ainsi commencent tous leurs malheurs.

Maintenant, l'humanité est double, elle n'est plus uniquement composée constituée du genre masculin. Elle est composée de deux sexes différents, tous deux nécessaires à la descendance humaine. A partir du moment où la femme est produite par les dieux, les hommes ne sont plus là d'emblée, ils naissent des femmes. Pour se reproduire, les mortels doivent s'accoupler. Ce qui déclenche un mouvement dans le temps qui est différent.

Pourquoi, selon les récits grecs, Pandora, la première femme, a-t-elle un coeur de chienne et un tempérament de voleur ? Ce n'est pas sans lien avec [la nouvelle condition de l'homme lui-même] Les hommes ne disposent plus du blé et du feu comme ils le faisaient auparavant, tout naturellement, sans effort et en permanence. Le labeur fait dorénavant partie de l'existence ; les hommes mènent une vie difficile, étriquée, précaire. Ils doivent sans cesse se restreindre. Le paysan sur son champ s'échine et ne récolte pas grand-chose. Les hommes ne disposent jamais d'aucun bien en suffisance ; il leur faut donc être économes, prudents pour ne pas dépenser plus que nécessaire. Or, cette Pandora, comme tout le gênos, toute la race, des femmes féminines qui en est issue, a justement comme caractéristique d'être toujours insatisfaite, revendicatrice, incontinente. Elle ne se satisfait pas du peu qui existe. Elle veut être rassasiée, comblée. C'est ce qu'exprime le récit en précisant qu'Hermès a mis en elle un esprit de chienne. (...) Ce que veut la femme, c'est la grange. Avec l'habileté de ses propos séducteurs, de son esprit menteur, de ses sourires et de sa croupe attifée, comme l'écrit Hésiode, elle joue au jeune célibataire le grand air de la séduction, parce qu'en réalité elle lorgne vers la réserve du blé. Et chaque homme, comme Epiméthée avant lui, tout ébaudi, émerveillé par ses apparences, se laisse capter. (...)

Les femmes, même les meilleurs, celles qui possèdent un caractère mesuré, ont ceci de particulier, racontent les Grecs, qu'ayant été fabriquées avec de la glaise et de l'eau leur tempérament appartient à l'univers humide. Alors que les hommes ont un tempérament qui est plutôt apparenté au sec, au chaud, au feu. (...)

 Si Prométhée a ourdi une ruse qui consistait à voler le feu de Zeus, il s'attire une réplique incarnée par la femme, synonyme de feu voleur, que Zeus a créée pour tracasser les hommes. En effet, la femme, l'épouse est un feu qui brûle son mari continûment, jour après jour, qui le dessèche et le rend vieux avant l'âge. Pandora est un feu que Zeus a introduit dans les maisons et qui brûle les hommes sans qu'il soit besoin d'allumer une flamme quelconque. Feu voleur répondant au feu qui a été volé. (...)

 Mais ici aussi s'opposent le dedans et le dehors. La femme, par son appétit animal, alimentaire et sexuel, est une gaster, une panse, un ventre. Elle représente en quelque sorte l'animalité de l'espèce humaine, sa part de bestialité. (...) Mais ce ventre est aussi le seul qui puisse produire ce qui prolonge la vie d'un homme, un enfant. Le ventre de la femme figure contradictoirement la part nocturne de la vie humaine, l'épuisement, mais également la part d'Aphrodite, celle qui apporte des naissances nouvelles. L'épouse incarne la voracité qui détruit et la fécondité qui produit. Elle résume toutes les contradictions de notre existence. Comme le feu, elle est à la marque du proprement humain, parce que seuls les hommes se marient. Le mariage distingue les hommes des bêtes, lesquelles s'accouplent comme elles mangent, au hasard des rencontres, n'importe comment. La femme est donc [pour l'homme] la marque d'une vie cultivée ; en même temps, elle a été créée à l'image des déesses immortelles. Quand on regarde une femme, on voit Aphrodite, Héra, Athéna. Elle est d'une certaine façon la présence du divin sur cette terre par sa beauté, sa séduction, par sa charis. La femme conjoint la chiennerie de la vie humaine et sa part divine. Elle oscille entre les dieux et les bêtes, ce qui est le propre de l'humanité. »

(Jean-Pierre Vernant, L'Univers, les dieux, les hommes : Pandora ou l'invention de la femme.)

 

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Toute ma jeunesse héroïque.

 

Pierre Cormary – Ford Boyard, putain !

Pierre Cormary - 23 ans que ça existe.

Pierre Cormary - J'avais vingt ans juste.

Pierre Cormary - Vingt-trois ans de vide.

Pierre Cormary - Putain, je déprime.

Pierre Cormary - Putain, le père Fourra.

Pierre Cormary - Putain, il a pas évolué.

Pierre Cormary - Comme moi, putain.

Pierre Cormary - Putain, Danièle Evenou.

Pierre Cormary - C'est trop là.

Pierre Cormary - Danièle Evenou.

Pierre Cormary - Jacques Martin.

Pierre Cormary - Sarkozy.

Pierre Cormary - Il lui avait cassé la gueule.

Pierre Cormary - Martin, par Sarko.

Pierre Cormary - Putain,  tous ces gens qu'ont baisé.

Pierre Cormary - Même Patrice Lafont, il a baisé.

Pierre Cormary - Putain, des chiffres et des lettres.

Pierre Cormary - Putain, mon compte est bon.

Pierre Cormary - Putain,  le combat dans la boue entre bonnes femmes.

Pierre Cormary - Putain, j'ai rien vécu.            

Pierre Cormary - Putain, vacances d'été. L'enfance. Les promesses.

Pierre Cormary - Putain, plus de whisky.

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche,marion-maréchal le pen,frigide barjotPierre Cormary - Qu'on en ait ou pas, les femmes, de 14 à 94 ans, sont la seule raison que l'on ait de vivre.

Pierre Cormary - Personne n'aime la vie, mais tout le monde aime quelque chose de la vie : un match de foot, un opéra de Mozart, une Carlsberg, une brune aux yeux verts qui passe dans la rue, la place Edgar Quinet à 23h45, un cigare, une soirée avec JPA, un sorbet Amorino.

Pierre Cormary – « Le retour de Dionysos chez lui, à Thèbes, s'est heurté à l'incompréhension et a suscité le drame aussi longtemps que la cité est demeurée incapable d'établir le lien entre les gens du pays et l'étranger, entre les sédentaires et les voyageurs, entre sa volonté d'être toujours la même, de demeurer identique à soi, de se refuser à changer, et, d'autre part, l'étranger, le différent, l'autre. Tant qu'il n'y a pas de possibilité d'ajuster ces contraires, une chose terrifiante se produit : ceux qui incarnaient l'attachement inconditionnel à l'immuable, qui proclamaient la nécessaire permanence de leurs valeurs traditionnelles face à ce qui est autre qu'eux, qui les met en question, qui les oblige à porter sur eux-mêmes un regard différent, ce sont ceux-là même, les identitaires, les citoyens grecs sûrs de leur supériorité, qui basculent dans l'altérité absolue, dans l'horreur et le monstrueux. (...) Comme si, dans la mesure où un groupe humain refuse de reconnaître l'autre, de lui faire sa part, c'est ce groupe lui-même qui devenait monstrueusement autre. »

(Jean-Pierre Vernant, "Dionysos à Thèbes", dans L'univers, les dieux, les hommes.)

Ce que j'ai lu de plus fort sur la notion d'étranger et d'autochtone et qui peut se comprendre par un cosmopolite que par un chauvin. En refusant l'Autre, l'identitaire devient un Autre too much.

Maxime F. -  « Passer un pont, traverser un fleuve, franchir une frontière, c’est quitter l’espace intime et familier où l’on est à sa place pour pénétrer dans un horizon différent, un espace étranger, inconnu, où l’on risque, confronté à ce qui est autre, de se découvrir sans lieu propre, sans identité. Polarité donc de l’espace humain fait d’un dedans et d’un dehors. Ce dedans rassurant, clôturé, stable, ce dehors inquiétant, ouvert, mobile, les Grecs anciens les ont exprimés sous la forme d’un couple de divinités unies et opposées : Hestia et Hermès. Hestia est la déesse du foyer, au cœur de la maison. Elle fait l’espace domestique, qu ‘elle enracine au plus profond, un dedans, fixe, délimité, immobile, un centre qui confère au groupe familial, en assurant son assise spatiale, permanence dans le temps, singularité à la surface du sol, sécurité face à l’extérieur. Autant Hestia est sédentaire, refermée sur les humains et les richesses qu’elle abrite, autant Hermès est nomade, vagabond, toujours à courir le monde ; il passe sans arrêt d’un lieu à un autre, se riant des frontières, des clôtures, des portes, qu’il franchit par jeu, à sa guise. Maître des échanges, des contacts, à l’affût des rencontres, il est le dieu des chemins où il guide le voyageur, le dieu aussi des étendues sans routes, des terres en friche où il mène les troupeaux, richesse mobile dont il a la charge, comme Hestia veille sur les trésors calfeutrés au secret des maisons. Divinités qui s’opposent, certes, mais qui sont aussi indissociables. Une composante d’Hestia appartient à Hermès, une part d’Hermès revient à Hestia. C’est sur l’autel de la déesse, au foyer des demeures privées et des édifices publics, que sont, selon le rite, accueillis, nourris, hébergés les étrangers venus de loin, hôtes et ambassadeurs. Pour qu’il y ait véritablement un dedans, encore faut-il qu’il s’ouvre sur le dehors pour le recevoir en son sein. Et chaque individu humain doit assumer sa part d’Hestia et sa part d’Hermès. Pour être soi, il faut se projeter vers ce qui est étranger, se prolonger dans et par lui. Demeurer enclos dans son identité, c’est se perdre et cesser d’être. On se connaît, on se construit par le contact, l’échange, le commerce avec l’autre. Entre les rives du même et de l’autre, l’Homme est un pont. »

Texte de Jean-Pierre Vernant, « La traversée des frontières », Seuil, 2004.  Ce texte, qui a été commandé pour le cinquantième anniversaire du Conseil de l’Europe, est inscrit parmi d’autres sur une borne du pont de l’Europe, qui relie Strasbourg à Kehl.

 

 AOUT

Karin Heimlich

Marie Fontaine.

 

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche,marion-maréchal le pen,frigide barjot13 août 2013 - Pierre Cormary - Chapitre treize : comment je perdis mon pucelage ce treize août mille neuf cent quatre vingt treize (anniversaire d'Amélie N., je suis condamné aux bizarreries) à l'âge plus qu'honteux de vingt-trois ans dans les bras d'une suédoise affectueuse rencontrée sur Minitel. Pas de photo pour l'attester, mais vous me croyez, je suppose.

15 août 2013 - Pierre Cormary - EN CE TEMPS-LA, LES ELEATES NIAIENT LE MOUVEMENT (Assomption à Saint Germain des Près)

Pierre Cormary -  Avoir au téléphone une heure et demie durant la femme que vous avez le plus aimé dans votre vie, qui est devenue un de vos personnages intimes, pour ne pas dire un de vos personnages tout court, que vous ne pensiez plus jamais retrouver et que vous retrouvez aussi joyeuse, impériale, attentive que naguère, et cela, vingt-deux ans après. Il y a donc des reprises possibles - en forme de miracle. "Tu avais une chance sur douze mille de me trouver à ce numéro, à cette heure, à cette date". A la lettre, je peux dire que je viens de vivre aujourd'hui Identification d'une femme - mais qui n'a pas disparu, non, au contraire qui est revenue. La femme de ma vie qui revient dans ma vie. Ma sylphide. Mon Hermione. Ma Carmen adorée. http://pierrecormary.hautetfort.com/archive/2008/06/17/le-temps-des-amours-reprise-i.html (22 août 2013)

Pierre Cormary - A chaque fois que je passe devant Gibert, j'ai l'impression que j'ai vingt-trois ans et que je suis encore puceau. D'ailleurs...

 

SEPTEMBRE

Tolérance de droite / intolérance de gauche

Pourquoi je suis plutôt platonicien que phénoménologue (Tragicomix)

Blue Jasmine

Au Château de Bellechasse.

 

Pierre Cormary -  On en parlait hier avec Guilaine Depis. Pourquoi les gens de droite tolèrent-ils si facilement les gens de gauche et pourquoi les gens de gauche sont-ils toujours prêts à juger les gens de droite ? Parce que les gens de droite qui sont méchants n'ont pas de problème avec le bien alors que les gens de gauche qui sont gentils ne peuvent supporter le mal. La vertu est incommodé par le vice alors que le vice regarde la vertu avec amusement. A droite, il n'est pas grave d'être raciste, homophobe, misogyne. A gauche, il est impensable de l'être. A droite, l'on admet sa médiocrité qui fait tellement partie de la vie. A gauche, on veut changer la vie. Et d'ailleurs, la vie n'est qu'un produit du social - même si, et cela la droite le sait, le social n'existe pas.

Jean-Rémi - « A droite, il n'est pas grave d'être raciste, homophobe, misogyne. » -> C'est d'ailleurs peut-être un souci, non ?

 Amandine Kmlzoo -  Ah bah moi je suis de gauche et je peux te dire que ça irrite profondément certains "proches" de droite très "premier degrès" ! C'est juste que Guilaine et toi êtes débonnaires et sympathiques

 Pierre Cormary - A droite, on n'est pas très sensible au délit d'opinion et l'on ne va pas se mettre en branle bas de combat pour un mot ou une image de trop. On rechigne à surveiller le langage (sauf peut-être quand on le déforme ou qu'on le viole comme "mariage"). On ne fait pas un fromage du bruit et de l'odeur et on ne considère pas que Chirac ait été raciste pour avoir mis le doigt sur des problèmes de proximité (qui sont toujours à l'origine du racisme, comme disait Lévi-Strauss). On ne fait pas comme George Louis Tin de Dictionnaire de l'homophobie qui, de Platon à Lacan, suspectait à peu près toute la pensée occidentale. On est trop conscient, à droite, que c'est la vigilance citoyenne qui suscite le politiquement abject, que c'est SOS racisme qui a nourri le racisme en France depuis des années, et que c'est la loi Gayssot qui a donné de l'eau au moulin de Dieudonné. Bref, à droite, on pense un peu comme dans cette vieille chanson très connue de Didier Bourdon, que ce sont les ligues de vertu qui créent le vice : https://www.youtube.com/watch?v=Ndf6FFggVNc

Pierre Cormary - Putain, Antonioni... J'aimerais tant le ré-aimer. Mais non, impossible, je souffre trop. Chaque plan est chiadé mais est d'un chiant, d'un sérieux, d'un culturel.... Pourtant Monica est troublante. Et Delon à son meilleur. Mais non, c'est trop vide. Je vais m'éclipser avant la fin - et je le regrette. J'aurais tant voulu le retrouver. Mais il y a des reprises impossibles. Malgré mon cigare. C'est le temps du cigare qui me fait supporter ce film.... Et le pire, c'est que j'ai l'impression que j'ai tort.

 

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Exaspérante phénoménologie.

 

Pierre Cormary - Je suis platonicien et pas phénoménologue. Je crois aux arrières-mondes mais je ne crois pas que ce qui m'apparaît est faux.   

Fabrice P. - Si je comprends bien, les phénoménologues sont ce qui s'appellent des interprétivistes ?

Pierre Cormary - Pas exactement : les phénoménologues croient en effet aux choses telles qu'elles nous apparaissent (il n'y a rien derrière elles) mais en même temps estiment qu'on ne les voit pas telles qu'elles sont. Dans le platonisme, la vérité est derrière la chose. Dans la phénoménologie, la vérité est devant la chose (ou plus exactement dans la chose) mais nous ne pouvons percevoir immédiatement celle-ci.

Du moins si j'en crois Eric Weil : "ce qui se donne immédiatement n'est pas réel"(à quoi Clément Rosset répond dans son délicieux Principe de Cruauté que "l'on pourrait déclarer tout aussi crânement qu’une boisson qui se donne à boire n’est pas une vraie boisson, ou qu’une femme qui s’offre aux caresses n’est pas vraiment une femme") ou Françoise Dastur, dans le dernier Philosophie magazine : "... s'inscrivant contre la vision du monde issue du platonisme, les phénoménologues partagent la conviction qu'il ne faut pas aller chercher la vérité derrière les choses qui nous apparaissent, mais d'essayer d'élucider ce qui apparaît, qui est déjà là, donné dans l'expérience, et que nos présupposés nous empêchent de voir." Et lorsque le journaliste lui fait remarquer qu'il y a là un paradoxe à cette approche, censée "aller droit aux choses elles-mêmes" et qui est en même temps extrêmement difficile à lire, elle rétorque : "c'est vrai (...) Très souvent, nous utilisons les choses qui nous entourent, nous les nommons, mais nous ne les voyons pas. Selon Husserl, pour atteindre les choses, il nous faut éliminer les mots du langage courant, ces étiquettes que nous leur collons dessus mais qui nous empêchent de voir telles qu'elles sont, sans présupposés. Autrement dit, il faut revenir à une expérience première, cachée, et c'est ici que les choses deviennent difficiles."

 Bref, il n'y a rien derrière ce qui apparaît, il y a tout tout dans ce qui apparaît, mais nos présupposés (ou perceptions supposés telles - car le présupposé est tout aussi présupposé que ce qu'il présuppose) nous empêchent de voir et surtout de comprendre ce tout. Le réel est bien là, devant nous, mais on le loupe. Autrement dit, c'est moins le réel qui est suspect que le sensible. La fausse perception vient non pas des objets, comme chez Platon, qui sont copies de copies, etc, mais bien du sujet qui voit double, triple, ou qui est daltonien. Le phénoménologue complique donc les choses, et à la fin, ça gave. VAS-TU ME DIRE OU EST TRAGICOMIX ?

Par exemple, pour le platonicien, la pomme que j'ai devant moi est une copie de pomme, la vraie pomme étant ailleurs, dans son idée de pomme - ce qui est tout à fait acceptable pour l'esprit humain. Alors que pour le phénoménologue, il n'y a pas de vraie pomme, il n'y a que cette pomme devant moi, sauf que l'appeler pomme est impropre, et la manger la preuve que je ne comprends rien à rien. Alors que si, justement. 

Pour aller vite (très vite), on pourrait dire que pour les classiques (en gros tout ce qui va jusqu'à Kant), le mystère est derrière, alors que pour les modernes (en gros tout ce qui part de Kant avec sa chose en soi que si un jour on m'explique ce que c'est...), le mystère est devant. la pomme par des schémas théoriques généraux (certes issus de l'observation). Quand les psychiatres ont commencé à se demander : quand le fou voit une pomme, qu'est-ce qui se passe vraiment ?, quand ils ont essayé non plus seulement d'expliquer avec des présupposés théoriques mais bien de comprendre intimement l'expérience du psychotique à travers son histoire et sa réalité personnelles, ils les ont enfin considérés comme des êtres humains à part entière.

Pierre Cormary - Le bruit de la pluie pendant l'écriture, la lumière du jour qui baisse puis qui remonte, la menace de la grêle sur le balcon - le bonheur total.

Pierre Cormary - Nom de Dieu, elle sévit près de chez moi, elle, Elle, ELLE !!!! Mon salut à celui ou celle qui la reconnaît - http://www.de-monaghan-avocat.fr

Pierre Cormary - Et ça s'est passé juste devant mon Monoprix. Je revenais de ma nocturne, j'allais boire un coup au Suffren, et je me suis aperçu qu'il y avait une vingtaine de camions de CRS. Des passants m'ont appris qu'il y avait eu en effet une rixe entre fa et antifa, là, chez moi, où je passe tout le temps. Du coup, j'en ai oublié ma bière du jeudi soir.

(Paris. 38 militants antifascistes interpellés en marge d’une manif - Faits divers - ouest-france.fr)

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche,marion-maréchal le pen,frigide barjotPierre Cormary - Comme prévu (mais je me trompe rarement), film raté, ennuyeux, laborieux, sans surprise, scolaire, « sérieux » (de ce sérieux dont on parlait l'autre jour, qui ne veut surtout pas faire de vagues, qui veut simplement être « adéquat » et qui à force de respect pour son sujet en perd son latin et ses jeux du cirque), en un mot, « esther kahnien » (en moins pire peut-être). Rien à voir avec Un conte de Noël ou Rois et reine qui osaient des « trucs », relançaient sans cesse le drame, au risque de tomber dans un certain délire – mais le délire lui ait toujours bien allé à l’auteur de La vie des morts. Parce que Desplechin, et tout son cinéma le prouve, ne s’intéresse pas au réel. N'en a rien foutre du réel. Ce qui le botte, et moi avec, c’est la manière qu’on a tous de fantasmer le réel (et c’est vrai que ses fantasmes passent par la culture, les références et le normalien qui dans ses films est toujours traité comme un Avengers), de le rendre à la fois plus tordu et plus acceptable, de le traiter comme un songe de nuit d’été (d’ailleurs re-cité dans ce film). Y a un côté Jacques Demy aigre chez Desplechin. Quand il n’est plus adolescent attardé, il n’est plus cinéaste, c'est clair (un peu comme Tarantino avec Jackie Brown, autre très mauvais film "adulte"). Bénicio fait ce qu’il peut en indien paumé, il n’arrive pas à porter ce film sur ses larges épaules – non pas qu’il soit mauvais, au contraire, il est trop bon, mais c’est le film qui n’est pas à sa hauteur. Quant à Amalric en psy ethnologue (pourquoi pas Joe Pesci en nounou ?), il se fourvoie complètement (mais moins à cause de lui que de son metteur en scène). Bref, à part se repasser Rain Man (même affiche), je ne vois pas ce que l’on peut faire d’autre…

Ou en effet, aller revoir un autre film de ce mois de septembre, lui qui prend des risques, invente, surprend, et n’a pas peur - Tip Top (avec le commentaire effervescent de Sarah Vajda, lundi, sur mon blog...)

 Pierrre Cormary - Quand je dis "droite" et "gauche", ce n'est pas tant par obsession binaire ou antigauchisme primaire que par souci de réveiller celui qui me lit et qui peut croire que mes propos sont d'aimables propos. En forçant le positionnement, je tente d'actualiser mon propos et faire dire à ce dernier : "putain, c'est quoi ce que je pense là-dessus en fait ?". Le problème, c'est que bien souvent il se bloque sur ma dichotomie idéologique et me répond que c'est moi qui y suis bloqué. Bref, ce qui devait le réveiller l'endort et me laisse insomniaque. En quoi ma méthode est faillible, je le concède.

 

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Drame social incompréhensible pour sociologues.

 

Pierre Cormary –  Et la petite génie de notre canton a tort, tort, TORT 

Sorte de Pretty woman à l’envers, on en sort bouleversé, mortifié même, et pour une raison simple : Woody dit dans ce film quelque chose qui ne se dit jamais, à savoir que les vraies souffrances sont les souffrances honteuses, socialement inavouables, proprement scandaleuses, celles qui ne relèvent ni du deuil, ni de la maladie mais de la perte insensée de nos privilèges et feront dire aux autres : "elle ne l'a pas volée, cette petite fille riche !". Combien d'entre nous esquissent un sourire quand on apprend qu'un méchant riche a fait faillite et que sa femme "qui vivait le petit doigt en l'air" trime enfin, éprouve la vraie vie, et que c'est bien fait pour elle ? Combien de réjouissances provoquées par le chute de notables ? Blue jasmine est un film sur la douleur innommable d'une femme déclassée, le truc qui fait généralement rire le prolo et le méritant. La dernière fois que Woody Allen avait été scandaleusement immoral, c'était dans Crimes et délits en montrant que l'on pouvait protéger ses privilèges dans le meurtre et sans en être inquiété. Aujourd'hui, il montre l'horreur absolue de n'être plus une privilégiée. La solitude totale dans laquelle on se retrouve. La nostalgie irrécupérable. La dépression pour toujours. Dans son article, Murielle reproche au film d'être "figé" et de faire s'enrouler "deux rubans temporels qui ne mènent nulle part" (le passé et le présent). Mais il l'est précisément ! Et en effet souvenirs et velléités présentes ne mènent à rien. Mais non pas tant parce qu'on est pleine pathologie que parce qu'on est en pleine ontologie mortifère. En vérité, le film n'est pas tant clinique que tragique. Jasmine est certes "une femme sous influence" mais son comportement n'a rien de fou même si elle frôle la folie. Sa folie n'est pas la sienne, comme une méchante humeur de sa raison, c'est celle de quelqu'un qui a été broyé par la vie. Sauf qu'en effet, bcp de gens, pour des raisons morales et sociales, ne la plaindront pas. Alors que moi je suis sorti les larmes aux yeux et avec l'envie de tuer quiconque me parlerait de mérite et de rétribution.

A part ça, une étude magistrale de Murielle Joudet sur Woody Allen :

"C'est la malédiction du fait psychologique, il est toujours suspecté de ne pas exister, parce qu' inappréhendable par autrui, rétif à l'extériorité, cultivant son ressentiment envers cet extérieur parce que précisément celui-ci ne le reconnaît pas en tant que réalité rivale. Toute la force du psychologique réside dans sa façon de s'auto-alimenter en s'appuyant sur son absence d'exigence à correspondre à un quelconque régime de vérité : ne pas être vrai, ne pas être réel, mais être là, sur le solide mode de la fiction, voilà sur quoi se fonde sa réalité. Le psychologique est une imparable rhétorique intérieure." -

 

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Home, home, home

 

Pierre Cormary - A l'instant, crise d' euphorie dans la nef. Comme tous les lundi, je passe cette journée bienheureuse où le musée est fermé au public à lire dans les salles vides. Aujourd'hui, Le Château de Kafka. Ce pauvre K. qui ne cesse de vouloir se rapprocher du Château, qui fait tout pour y entrer, ou au moins rencontrer ceux qui y sont, et qui n'en sera jamais, jamais, qui restera à vie à l'extérieur de ce lieu qui semble être le paradis, me mets-je à rêver, en me projetant à tort sur le héros - jusqu'à cette révélation qui jaillit en moi et me met en transe : "Mais moi, j'y suis entré dans le Château !!!! Je suis fonctionnaire au Château !!! J' en suis du Château !!!! Peut-être de la dernière échelle, mais dans tous les cas, officiel !!! Je suis officiellement au paradis !!! Et cela depuis douze ans !!! Et à vie (c'est-à-dire jusqu'à ma mort !!!) Merci, mon Dieu !!!" Et me voilà à prier de joie, tout bas comme un con, tout seul dans ma nef.

Pierre Cormary - Ma grande supériorité sur les autres : savoir gérer depuis toujours et mieux que quiconque la blessure narcissique.

Sophie B. - C'est un atout d'une valeur inestimable. Je pense que votre profonde gentillesse y est liée.

Faustin Soglo - Et modeste avec ça !!

Pascal A. - "Et l'ironie nous perd, quand même elle dit vrai."

Pierre Cormary - Ni gentil, ni modeste, ni ironique. Pédagogique.

Faustin Soglo - Vous pensez pouvoir nous communiquer votre méthode ?!!

Pierre Cormary - C'est fait.

Faustin Soglo - ??

Pierre Cormary - !!

Pierre Cormary - Non. L'enjeu est plutôt de faire attention à ne pas trop tomber des nues quand on aurait toutes les raisons d'en tomber. D'apprendre à freiner sa petite souffrance atroce. De se dire qu'on y a peut-être contribué à cette souffrance atroce petite et qu'on songera à moins y contribuer la prochaine fois.

Sophie B. - C'est précisément ce que je dis. C'est de la force, aussi.

Pierre Cormary - Rappelons que la blessure narcissique est tout ce qui me rappelle que je ne suis pas superman.... là où j'aurais dû l'être.

La blessure narcissique provient d'une défaite là où nous attendions une victoire. En ce sens elle est toujours une surprise.

Pierre Cormary - ENFIN, DIEU N'EST PLUS UN TENTATEUR !!!!!! Benoît XVI voulait déjà le faire, François le fait. Grâce leur soit rendue. http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/10/14/01016-20131014ARTFIG00547-l-eglise-revoit-le-texte-du-notre-pere.php

Pierre Cormary - Alors il paraît que certains de mes amis proches se sentent proches de "Libé" quand ils lisent certains de mes statuts. Ma parole !

 

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche,marion-maréchal le pen,frigide barjotPierre Cormary -  "C'est bien ce qu'il y a de beau dans votre façon de traduire : elle est fidèle (grondez-moi donc de ce "fidèle", à fond car vous savez tout faire, mais gronder peut-être mieux que tout ; je voudrais être votre élève et faire tout le temps des fautes rien que pour pouvoir être tout le temps grondé par vous ; je suis assis sur mon banc, je n'ose pas lever les yeux, vous êtes penchée sur votre élève, et votre index, qui raconte vos reproches, ne cesse de voleter dans les airs ; est-ce bien ainsi ?)...."

On se sent moins seul parfois - MAIS QUI A QUI ? J'offre une bière à qui le devinera (enfin, une bière si c'est un mec et on n'en parle plus, une coupe de champagne, et même la bouteille, si c'est une fille, et on en parle....)

Jerome D. - L'auteur est-elle une femme?

Pierre Cormary - C'est un homme qui écrit à une femme.

Jerome D. - C'est pas du Voltaire?

Pierre Cormary - Nein.

Pierre Cormary - Jérôme élminé ! (oui, parce que les mecs n'ont droit qu'à une proposition, les dames à deux.)

Emmett de la Grogannière - Il y a quelque chose de féminin genre Proust, mais je dirais Balzac, son ascendant direct ?

Pierre Cormary - Nicht.

Aymeric M. - Diderot à Sophie Volland.

Pierre Cormary - Excellent, Aymeric !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

Pierre Cormary - Mais ce n'est pas ça.

Lina Malycheva - Kafka à Milena ?

Aymeric M. - Et bien je provisionne pour une pinte de belge (ou de luxembourgeoise).

Pierre Cormary - Il n'y avait qu'une russe pour deviner un slave.

Alina Malycheva - Je veux un jus d'abricot alors.

(...)

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche,marion-maréchal le pen,frigide barjotPierre Cormary"... ne savez-vous donc pas qu'il n'y a que les gros pour être dignes de confiance ? Il n'y a que dans ces vases aux épaisses cloisons que tout peut se cuire jusqu'au bout, il n' y a que ces capitalistes de l'espace qui soient, autant qu'il est possible aux hommes, protégés des soucis et de la folie, et puissent vaquer tranquillement à leur tâche ; il n'y a qu'eux sur toute la terre, a dit quelqu'un, qui soient de vrais citoyens sur la terre, car au nord ils réchauffent et au sud ils ombragent."

On va en bouffer du Kafka cet automne, je sens (toujours dans les lettres à Milena.)

 "Que mon sort est meilleur ! Ma chambre est petite, sans doute, mais la vraie Milena s'y trouve, celle qui a dû vous échapper dimanche, et croyez-moi, c'est merveilleux d'être avec elle." (....)

"A peine me reste-t-il une bribe de temps pour écrire à la vraie Milena, l'encore plus vraie étant restée ici toute la journée dans ma chambre, sur le balcon, dans les nuages." (...)

"Je sors encore ma lettre de l'enveloppe, il reste une place ici : dis-moi encore une fois - pas toujours, je ne veux pas toujours - mais dis-moi encore une fois tu."

"Et cependant, ce n'est pas toi que j'aime, c'est bien plus, c'est mon existence : elle m'est donnée à travers toi" (toujours Franz à Milena).

 "... ma tempe contre la tienne (tes cheveux contre ma tempe.)"

"Pourquoi ne suis-je pas, par exemple, l'heureuse armoire de ta chambre, qui te voit tout entière quand tu es assise dans ton fauteuil ou installée à ton secrétaire, quand tu t'étends ou quand tu dors (béni soit mille fois ton sommeil), pourquoi ne suis-je pas cette armoire ?"

Pierre Cormary -"Je ne sais pas mentir au bureau aussi bien que ceux qui estiment - comme la plupart des employés - qu'ils sont victimes d'une injustice constante, qu'ils travaillent au-delà de leurs forces - si je pouvais penser ainsi, ce serait presque déjà prendre l'express pour Vienne ! - que le bureau est une machine bêtement menée - ils feraient beaucoup mieux ! -, une machine dans laquelle, en raison de cette sottise, on les emploie où ils ne conviennent pas, - leurs facultés les classent dans les super-rouages et on ne les travailler que comme des roulettes de dernière zone, etc - ; pour moi, le bureau - et il en est allé de même pour l'école primaire, le lycée, la faculté, la famille, tout, - le bureau est un être humain, un être vivant qui me regarde, où que je sois, de ses yeux candides, un être auquel je suis lié de je ne sais quelle mystérieuse façon bien qu'il me soit plus étranger que les gens que j'entends en ce moment passer en auto sur le Ring. Oui, il m'est étranger jusqu'à l'absurdité, mais c'est précisément ce qui exige des égards : je ne lui cache pas ma manière d'être, mais quand une telle candeur s'en rendra-t-elle jamais compte ? Je ne puis donc pas lui mentir)"

[Remplacer "bureau" par "musée", "employé" par "agent", "Vienne" par "Nice" et l'on aura une idée de mon attitude et de ma perception, toute kafkaïennes donc, au château d'Orsay.]

 

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N'aime pas ce que j'aime.

 

Pierre Cormary - Et voilà... On allait passer une super soirée avec ses amis sur FB, prêt à briller comme jamais, et on obligé de recevoir un copain réel chez soi qui n'aime ni Kubrick ("dégueu") ni Kaamelott ("pas drôle") ni l'ouverture de La Flûte enchantée de Bergman ("pas mozartien") qu'on lui a proposés. Résultat : on s'est farci le copain réel, on a loupé à cause de lui toutes les saillies brillantes live des amis virtuels et quand on revient parmi eux après avoir expédié la soirée réelle, ils se sont tous cassés et il n'est plus possible de mettre ses propres saillies qui nous auraient valu des tas de like si on en avait été à ce moment-là. Et merde, tiens !

 

 

 

 

NOVEMBRE

Les 343 salauds (autant, sinon plus de commentaires) - Le temps des commentaires par centaines vient de commencer ce mois.

Comment Pierre Boyer et moi sommes devenus les Saint Jérôme et Saint Augustin de Facebook

Lorant Deutsch et la lumière des siècles

Léonora Miano et le Grand Remplacement

David L'épée

Vendre la mèche

Premier séjour à Saint-Malo

 

 

 dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment,abdelattif kechiche,marion-maréchal le pen,frigide barjot,lorant deutschPierre Cormary - "J'avais si besoin de voir une femme pour cesser mes mauvaises habitudes de masturbation que papa m'a donné 10 francs pour aller au bordel, mais 1° dans mon émotion j'ai cassé un vase de nuit, 3 francs, 2° dans cette même émotion je n'ai pas pu baiser. Me voilà donc, grand-père, comme devant attendant à chaque heure davantage 10 francs pour me vider et en plus ces 3 francs de vase. Mais je n'ose pas redemander sitôt de l'argent à papa et j'ai espéré que tu voudrais bien venir à mon secours dans cette circonstance qui tu le sais est non seulement exceptionnelle mais encore unique."

Pierre Cormary - De quelque façon qu'on retourne le problème, aller aux putes, c'est participer à l'esclavage sexuel et à l'ultra capitalisme mondialiste. De quelque façon qu'on retourne celui de l'IVG, avorter, c'est supprimer une vie humaine. De quelque façon qu'on retourne la fameuse tradition, la corrida est une torture gratuite appliquée à l'animal. De quelque façon qu'on retourne les rapports socio-économiques, une bonne partie de nos achats provient d'usines exploitatrices où des enfants travaillent dix heures par jour pour fabriquer les jouets que l'on offrira aux nôtres à Noël. De quelque façon qu'on retourne son existence, on est toujours un salaud. Donc, pas de chichis.

Pierre Cormary - Je commence à en avoir ras le cul de ces gens plus intelligents que moi qui ont raison !!!

Pierre Cormary - Et ce qui m'énerve encore plus, c'est que les gens plus intelligents que moi qui sont d'accord avec moi ne sont jamais là quand il s'agit de contrer les plus intelligents pas d'accord.

Pierre Cormary - Pierre.... hic... Boyer... hic... Tu ne... hic... perds... hic...rien pour... hic... m'étendre...heu...hic... m'atteindre...hic...j'veux dire...hic...me tendre... non...hic... matreindre... bref heu hic...mattrendrir...hic... m'apprendre...non... hic... bref... Non au divorce gay... hic.. et oui à la prosstitussion cathosse pour tous... hic... Et Amélie Nos Tombes est la reine des belges... Hic..

Pierre Cormary - On devrait avoir la possibilité de se faire interdire de Facebook comme on se fait interdire de casino.

 

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Saint Jérôme et l'ange (rédigeant un commentaire sur le mur Facebook de Saint Augustin), par Simon Vouet

 

Pierre Cormary / Pierre Boyer, ou comment nous sommes devenus les Saint Jérôme et Saint Augustin de Facebook

- « Je ne suis pas assez stupide pour penser qu'une divergence dans tes explications puisse me porter atteinte ! »

 - « Sortez les saints de l'hagiographie et les voilà qui s'invectivent ! Durant près de deux décennies, saint Augustin et saint Jérôme se sont échangés des lettres qui n’ont rien de cette charité un peu sucrée que sécrète si bien l’onctuosité ecclésiastique. Et de fait, lorsqu’Augustin, métaphysique et conséquent jusqu’à l’excès, gourmande Jérôme sur un point d’exégèse, celui-ci explose. Hélas, Jérôme a tort. Tout à une susceptibilité d'intellectuel pris en faute, il va alors répliquer, mais le fera pour ce qu'il est, polémiqueur redouté, érudit hautain et styliste virtuose. Sous le choc de cette prose d'assaut, à la fois constrictive et dissolvante, confite en mauvaise foi, Augustin ne ploie pas. Sensible et blessé, il écrira encore et encore, pour pacifier, mais aussi pour argumenter et enfin donner naissance à ce que les générations futures appelleront "le péché originel".»

      

 

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Ecole classique et classieuse

 

Pierre Cormary - Enfin un résistant classieux, honnête, élégant, cultivé, inintimidable, plein de verve et pour tout dire GENIAL qui remet les idées en place et l'amour de la France en première ligne. Lorant Deutsch, Ministre de la Culture !! En attendant, le cadeau de Noël de cette année - et un lien à faire circuler de toutes urgences.

Un méchant gauchiste dont j'ai oublié le pseudo - Foutaises ! Pas historien ! Manipulateur royaliste ! Salaud !

Guillaume - Lorant Deutsch, c'est juste l'histoire de France en bande-dessinée, que nous avons tant aimée. Rien de très rigoureux, mais rien qui ne devrait être comparé non plus à un travail d'historien, comme on a voulu le faire. Il fait simplement oeuvre de mémorialiste, composant des images d'épinal pour un public qui ne s'est jamais intéressé à l'histoire. Les réactions outragées sur son livre sont de ce point de vue totalement déplacées, et font peser sur ses épaules une responsabilité qui ne devrait être que celle de l'Education nationale. Ce pauvre Verdez est un âne

 

 

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Ecole de la République

 

Pierre Cormary - Vraiment très intéressant, et le pire est que je suis d'accord avec Léonora Miano sur le long terme - même si je ne renoncerai jamais à être un salaud à court terme. Mais c'est vrai. Les mondes disparaissent, et la vie continue. Schopenhauer, encore une fois.

Les vieux pourront crever de rage tant qu'ils veulent devant le nouveau monde, l'avènement de celui-ci sera de toutes façons salué par leurs petits enfants. "N'ayez pas peur de ce qui va arriver, de ce est déjà en train d'arriver."

Maintenant, ce qui sortira renforcé de toutes ces mutations, sera toujours l'Eglise Catholique et son génie du métissage et de l'universalisation tout azimut (si j'ai bien compris Pierre Boyer un soir à Bruxelles). Donc, pas de panique.

Certes. http://www.youtube.com/watch?v=lGMyZQohue8#t=135

Björn-William Geflüchtück - La seule certitude : Christ reviendra nous juger tous.

Pierre Boyer - Ce qui rend le propos de  si frappant, c'est qu'elle dit en gros: "vous avez peur de faire l'expérience que vous nous avez imposée et dans laquelle vous nous avez déjà précipités. Et moi que vous avez francisée en détruisant chez moi les conditions du "chez soi", je vous dis de ne pas avoir peur". Ou encore: "Hier, vous avez étendu l'Europe au monde. Vous avez voulu que l'Europe devienne notre référence. Pourquoi alors vous effrayez-vous aujourd'hui de voir surgir le monde dans l'Europe?" ("N'ayez pas peur": Jean-Paul II).

En fait, cette Miano est l'anti-Indigènes de la République.

Björn-William Geflüchtück - C'est tout de suite mieux que Houria Bouteldja.

Pierre Cormary - C'était le propos de Amin Maalouf dans Le dérèglement du monde : nous (les Occidentaux) sommes une civilisation épuisée, décadente et débile, mais nos valeurs, nos modes et nos credo, toujours supérieurs, c'est-à-dire toujours séduisants, ont été intégrés par les autres peuples, soit parce qu'on les a autrefois colonisés, soit parce qu'ils y sont venus tout seuls. Et aujourd'hui, les cons, ils sont plus occidentaux que nous et ils veulent nos avantages sans leurs inconvénients. L'excision, ils finiront par laisser tomber. Le pape sera africain. Et l'islam s'effondrera par manque d'unité. Là-dessus, Maalouf écrivait :

« Ce qui assuré la pérennité des papes et qui a cruellement manqué aux califes, c’est une Eglise, et c’est un clergé. Rome pouvait mobiliser à tout moment ses évêques, ses prêtres, ses moines, qui formaient un réseau serré couvrant chaque royaume, chaque province, et jusqu’au plus petit hameau de la terre chrétienne ; une troupe puissante, fût-ce de puissance douce, et qu’aucun monarque ne pouvait négliger. Le souverain pontife pouvait également excommunier, ou menacer de le faire, et c’était là aussi, au Moyen Age, un instrument redoutable qui faisait trembler les empereurs autant que les simples fidèles. En islam, rien de tout cela – pas d’Eglise, pas de clergé, pas d’excommunication. La religion du Prophète a nourri, dès les commencements, une grande méfiance à l’endroit des intermédiaires, qu’il s’agisse des saints ou des confesseurs ; l’homme est supposé se trouver en tête-à-tête avec son créateur, ne s’adresser qu’à Lui, ne se laisser juger que par Lui, dans le dépouillement ; certains historiens ont comparé cette approche à celle de la Réforme luthérienne, et on peut effectivement trouver quelques similitudes. En toute logique, cette conception aurait dû favoriser très tôt l’émergence de sociétés laïques. Mais l’Histoire n’avance jamais dans la direction qui semble probable. Nul n’aurait pu prévoir que l’énorme puissance des papes aboutirait un jour à la réduction de la place du religieux dans les sociétés catholiques, tandis que la sensibilité passablement anticléricale de l’islam, en empêchant l’émergence d’une institution ecclésiastique forte favoriserait le déchaînement du religieux au sein des sociétés musulmanes. »

(Mais c'est encore en train de changer...)

Bref, on les a christianisés, ils vont nous rechristianiser. On les a démocratisés, ils vont nous redémocratiser (ou nous re-royaliser, qui sait ? Encore mieux !) On les a civilisés, ils vont nous reciviliser - et avec notre morale, encore ! Ils vont nous faire passer à l'épreuve de nos propres valeurs. Ce qui sera un peu violent, je le concède, mais nous fera un bien fou, quoique vu la beauté, la Bible et les bottines de Léonora Miano, je veux bien me faire re-identifier entièrement par quelqu'un comme elle (le sentir fondamental, je vous dis.)

Pierre Cormary - "Pacifier sa jouissance" - comptez sur moi pour amortir cette merveilleuse expression (et même si j'ai cessé ma psychanalyse cette année !)

 

 

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fdp

 

Pierre Cormary - Demain, rassemblement à la Bastille à 11 h, marche des Indignés contre l'extrême gauche, discours prévus de Olivier Besancenot, Julien Dray, Nicolas Demorand, Lilian Thuram et Caroline Fourest contre la montée de l'islamogauchisme, on brûlera des drapeaux rouges en direct et on fera son autocritique.... (Nan, je rigole.)

488 commentaires (débat "animé")

Pierre Cormary – Excellentes Carlsberg au Mucha avec l'excellent David L'Epée, radical couillu et hors carte, infréquentable classieux (et d'ailleurs très fréquentable), homme libre et sympathique. Bon retour en Suisse et à bientôt !

(On s'était croisé en 2006 sur le site de Guy Sorman. A l'époque, il découvrait le maoïsme avec un enthousiasme tout juvénile et en avait fait un texte surréaliste que j'avais parodié. Cela nous avait fait rire et on s'était juré de trinquer un jour. C'est fait et ça se refera.)

Pierre Cormary -  Trés courageux, Finkielkraut, de ne pas rompre avec Renaud Camus comme on le presse de toutes parts.

Pierre Boyer - "Le XXe siècle a été le bûcher des amitiés. Dans cette époque hyper idéologique seule comptait la fraternité d'armes. "Ô vous qui êtes mes frères parce que j'ai des ennemis", disait Paul Eluard et on a vu s'amonceler les ruptures. L’ami était sacrifié s’il n’était pas un camarade. On me demande aujourd'hui de rompre tout lien avec Renaud Camus pour revenir dans le cercle des gens fréquentables. Je me déshonorerais si je cédais à pareil ultimatum."On ne saurait mieux dire.

 

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Le meilleur

 

Pierre Cormary - C'est en effet le meilleur. Lire absolument sa lettre à Frédéric Taddéi (Canal+, 23/11/2013)

 

 

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Adieu, Nice !

 

Pierre Cormary - Français ne peux, Breton ne daigne, malouin suis.     

 

 

DECEMBRE

Gens qui comptent :

JYP,

GO,

Rachel Bespaloff,

Michel Ciment,

Martin Scorsese,

Dieudonné.

 

 

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Mon catgif à moi.

 

 

Pierre Cormary - Les putes, c'est fait. Le communisme, c'est fait. Dieudo, ça vient de se terminer. Débat suivant - et que ça saute !

Pierre Cormary - Je vais être un peu ridicule ("mais tu as l'habitude, mon cher", me dit chaque jour AC), mais nous sommes heureux et fiers de connaître Jean-Yves Pranchère, une personne de (et non du) bien. Hier, aujourd'hui et demain.

Patrick Ch. - Un phare ! (Je suis un peu emphatique, mais bon… une boussole?)

Pierre Cormary - Les deux.... et un compas.

Pascal Z. - Je me joins à ce "nous".

Raphaël Juldé - L'alpha et l'omega ! L'oeuf et la poule ! La faucille et le marteau ! Tif et Tondu ! La bière et le gosier ! Hiroshima et Nagasaki ! Le Nord et le Sud ! Le chaud et le froid ! L'obvie et l'obtus ! L'inné et l'acquis ! Que quelqu'un m'arrête !...

Pierre Cormary - Le mec dit une virgule et un univers s'ouvre, je suis sincère.

Murielle J. - Amen !

Raphaël Juldé - Quand l'univers s'ouvre, Melle Joudet, on ne dit pas "amen !", mais "atchoum !"

Emmanu-el R. - Et moi je mange avec lui, presque tous les mercredis midi... je suis un homme heureux... heureux..

Renaud C. - Ah, Jean-Yves Pranchère, mon Dieu, que de souvenirs... Je ne suis pas retourné à Montreuil-Bellay, après son départ. Je n’ai pas voulu, ça n’aurait pas eu de sens.

Jean-Yves P. - Non, ça n'aurait pas eu de sens. Mais ce qui n'a pas de sens a encore du sens.   (Pierre, tu as bu combien de bières après mon départ???)

(...)

 

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Jouiscience d'après-midi

 

Pierre Cormary –

- La preuve que la jouissance n'existe pas est qu'on la désire toujours.

- La preuve que la jouissance existe est qu'on la désire toujours.

- On désire ce que l'on n'a pas.

- On désire ce que l'on connaît ou qu'on a connu.

- Si on connaissait la jouissance, on ne la chercherait plus.

- Si on ne la connaissait pas, on n'aurait même pas l'idée de la chercher.

- Elle est trop furtive pour être.

- Elle est assez furtive pour être.

- Elle surgit pour s'abolir.

- Mais elle s'abolit pour pour se redonner possible.

- Donc, on ne l'a jamais.

- Donc, on est passé par elle.

- Mais c'est un souvenir.

- Un souvenir d'une réalité inoubliable et à laquelle on est prêt à tout sacrifier.

- Mais qui n'est pas tangible.

- Qui l'est un instant.

- Un instant ne suffit pas à nourrir son homme.

- Un instant donne à l'homme l'envie de recommencer.

 - En vain.

- En plein.

- Plein de désir, pas de jouissance.

- C'est la jouissance et sa possibilité qui redonnent au désir sa force. Si on ne jouissait pas au moins une fois, on ne désirerait plus rien.

- Cette jouissance-là est une croyance.

- Vrai, mais pas au sens où tu le dis. La croyance, c'est vingt-quatre heures de doute moins une seconde de certitude. La jouissance, c'est vingt-quatre heures de désir moins une seconde d'extase. On vit pour ce genre de seconde.

- Il n'y en qui croient vivre mais qui ne vivent pas.

- C'est un autre débat.

(Avec Guillaume, au Rostand.)


 

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Conscience de gauche un jour, conscience de gauche toujours

 

Pierre Cormary –« Ca fait très très très plaisir (...), on est super heureux d'autant plus qu'évidemment c'est parfois boycotté, censuré, etc, donc en fait, ça se passe vraiment entre nous et les gens, quoi ? A quelques détails près. Et donc c'est.. C'est génial parce que c'est pur, sans interférence, ptttt !!! ».

Comme le mariage gay ou le grand remplacement, et bientôt l'euthanasie, on n'a pas encore bien compris que l'on changeait de monde du tout au tout et que le cas Bertrand Cantat, au delà de tout ce que l'on peut penser de lui (et moi, je n'en pense rien), constitue la jurisprudence du siècle qui commence. A la lettre, il y a de nouvelles tables de la loi, de nouvelles morales, de nouvelles techniques (et c'est pourquoi Heidegger s'imposera comme le plus grand penseur de l'avenir car sur ce plan-là, il avait tout compris avant tout le monde) http://www.francebleu.fr/infos/musique/exclu-france-bleu-gironde-la-1ere-interview-radio-de-bertrand-cantat-depuis-la-sortie-de-l-album-hor-1105932

 

Michel  Ciment.jpg

Maître à penser jusqu'à la semaine dernière.

 

Pierre Cormary - Immense maître.« C’est en conservant notre image qu’on a assuré la survie de Positif » : entretien avec Michel Ciment.

"Parce que j’ai remarqué que les cinéastes réalistes, qui, comme on dit, « regardent la réalité », sont tout de suite acceptés. Par exemple, Les 400 coups au Festival de Cannes, c’était tout de suite l’unanimité. Hiroshima mon amour, ça a été tout de suite la controverse. Et on a accepté Pialat tout de suite, ou Sautet. Tandis que les grands imaginatifs bousculent évidemment beaucoup plus parce qu’il faut rentrer dans leur cerveau, il faut adopter leur regard sur le monde et parfois on n’est pas d’accord, parce qu’on n’est pas automatiquement synchrone avec l’imaginaire de quelqu’un. Tout le monde est synchrone avec la réalité puisqu’on la voit tous les jours. Et donc des gens comme Buñuel, tous ces gens-là ont été toujours extrêmement controversés."

"C’est-à-dire qu’il faut penser comme Les Cahiers, comme Les Inrocks, comme Libé, tout un groupe de gens qui donnent le ton..."

"Alors Positif est très spécial – je vais avoir les syndicats sur le dos – car personne n’y est payé. C’est une revue bénévole depuis soixante-deux ans, où jamais personne n’a été payé (...) À Positif, les gens ne sont pas payés mais s’ils l’étaient, ils feraient un grand article pour lequel ils toucheraient quoi, soixante euros, cent euros ? Ce n’est pas ça qui permet de payer un loyer de toute façon. »

 

Rachel Bespaloff.jpeg

Génie féminin

 

Pierre Cormary - À la demande de Cécile B. les dix livres qui me viennent à l'esprit comme ça (du moins de cette année) :

1 Mémoires d'outre-tombe.

2 Le château.

3 L'éducation sentimentale.

4 La reprise (Kierkegaard).

5 Cheminements et carrefours (Rachel Bespaloff) [Photo].

6 Un bal masqué à Genève (Jean Parvulesco).

7 Fugue roumaine vers le point C (Aurora Cornu).

8 Gatsby le Magnifique.

9 L'univers, les dieux, les hommes (Jean-Pierre Vernant).

10 L'Odyssée (t'hoo !!).

Et je vous propose également de me citer 3 livres que vous n'avez pas pu finir ou pas aimés ou auteurs qui vous ennuient :

1 Chateaubriand jusqu'à cette année et sa redécouverte extatique à Saint-Malo en novembre (et dont je parlais à Jean-Rémi Girard)

2 René Guénon et son "ésotérisme ploum ploum" (comme dirait l'excellent Ygor Y.)

3 Nabokov (je sais, je n'ai pas lu Machenka, Pascal, je le ferai un jour..)
 

 

Dieudonné, rachel bespaloff, michel ciment

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment

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"Mes" droites

 

CHEZ PIERRE BOYER – DEBAT SUR LA DROITE ET LA GAUCHE  (pour changer)

(...)

Pierre Cormary - Ne pas aimer Cyrano de Bergerac, c'est un péché contre l'esprit et la nation - c'est-à-dire la droite. Tout s'explique

Pierre Boyer - Cyrano, un livre de droite? Tu veux rire ! C'est un livre de gauche molle ! Pire, c'est la droite Boulanger-Pétain-Guy Mollet-Mitterrand: "parolééé parolééé parolééé"— on écrit des pièces de théâtre parce qu'on a perdu la guerre et qu'on n'a pas de pensée politique. Le contraire de la gauche Clemenceau-De Gaulle.

Pierre Cormary - De Gaulle, c'est la droite, voyons - comme Cyrano, D'Artagnan, Ulysse ou Don Quichotte. Le courage, le sacrifice, le panache, la cause perdue, la transcendance - et tout cela au nom de soi, des siens ou du roi, bien sûr.

Pierre Boyer - Mais non, la droite c'est Mitterrand: Morand, Chardonne et Rebatet. Sinon, je note que la droite est bien partie: "Cyrano, D'Artagnan, Ulysse ou Don Quichotte", soit quatre figures imaginaires dont deux ratés et un type en fuite perpétuelle. (Imaginaire: le Cyrano dont tu parles, hein, pas le type de gauche qui a existé dans la réalité.)

Ulysse "de droite", par ailleurs, il fallait oser. Je croyais que la droite tenait la politique pour secondaire: que nenni! Elle fait de la division droite/gauche un principe métaphysique indéfiniment extensible dans le passé et applicable à la totalité de l'être!! La clef des clefs!

Pierre Cormary - Un type qui ne pense qu'à revenir chez lui, massacrer tous ses rivaux, retrouver sa femme et son fils, avant d'aller faire sa prière aux morts n'est pas spécialement un radical socialiste.

Par ailleurs, oui, le principe droite / gauche est métaphysique. On peur dire que l'humanité fut de droite, du moins en Europe, jusqu'au XVIII ème siècle. La gauche est une forme de satanisme qui va se développer au XIX ème (je ne dis pas qu'on n'en as pas besoin, mais si l'on veut schématiser, c'est un peu ça....).

Pierre Boyer - Punaise, on va repartir pour un vrai débat — mais je crois qu'on est là au cœur de notre désaccord. Dire que le principe droite / gauche est métaphysique, c'est pour moi exactement la formule de ce que toi tu appelles la gauche (au sens de Muray): c'est politiser le tout de l'être, et c'est déformer toute la réalité historique en lui appliquant un principe récent où elle ne rentre absolument pas. C'est nier radicalement le caractère subordonné du politique. Je suis très peu gauchetiste, mais là je suis d'accord avec Gauchet : le principe droite/gauche, c'est la division de l'espace politique des sociétés démocratiques depuis 1789. A partir du moment où on est en démocratie libérale, l'espace de la délibération se structure selon un axe droite/gauche, dont les contenus se transforment tout le temps (Maurras ≠ Pompidou), mais qui a cet effet que chacun se pense lui-même comme occupant une position dans un espace — ce qui le distancie de lui-même. Le principe même de la démocratie libérale, c'est que la différence droite/gauche la fait fonctionner et qu'elle ne peut pas être abolie: primat de l'espace de la division sur les positions de cet espace. Le fantasme totalitaire, c'est de vouloir abolir cet espace au profit de "la" gauche ou de "la" droite, alors que la démocratie consiste à reconnaître la nécessité de la pluralité. Sataniser l'adversaire, c'est le principe même du totalitarisme, qu'il soit de droite ou de gauche. Se confirme ce que je t'ai déjà dit: de nous deux, c'est moi le libéral. La division droite/gauche porte sur les dosages qu'il convient d'opérer entre liberté et égalité, sécurité et efficience, etc. En faire une lutte de Dieu et de Satan, c'est se placer dans les coordonnées de Carl Schmitt — qui sont celles de Lénine. (Et c'est commettre l'erreur fondamentale de croire que Satan est dans un camp, alors qu'il est dans chaque camp — dans les détails.)

"Un type qui ne pense qu'à revenir chez lui": ça, c'est ce qu'Ulysse raconte à sa femme , peut-être aussi ce qu'il se raconte à lui-même. Dante a très bien compris la vérité quand, dans son Enfer, il raconte qu'Ulysse est aussitôt reparti pour un grand voyage.

Pierre Cormary - D'abord, on a besoin du diable démocratique et libéral pour équilibrer la cité. De ce point de vue, je suis aussi libéral, pour ne pas dire protestant, que toi. Sauf que je ne pars pas du libéralisme dans le processus humain mais bien de la tradition - et la tradition (l'univers, les dieux, les héros, les hommes) est de droite. Sauf que l'on n'a jamais parlé de droite avant que la gauche ne surgisse, comme on n'a jamais parlé de catholicisme avant que les protestants ne s'imposent, ou comme on n'a jamais parlé d'être avant que l'on se rende compte qu'il y avait un non-être. Encore une fois, le monde primitif et tradi est de droite. Alors bien sûr, il y a quelques révolutions importantes, la judéo-chrétienne d'abord et sa nouvelle anthropologie "de gauche" avec ses lois et ses vertus théologales mais qui finissent par s'ancrer dans le monde (occidental) comme une nouvelle tradition - comme une nouvelle droite. Au fond, la droite est toujours en retard, et par nature, sur la gauche mais intègre ce qu'il y a de meilleur dans la gauche. La droite traditionnalise la gauche si j'ose dire, sauve chez Satan ce qui est sauvable et de ce point de vue s'humanise, se libéralise. La droite est libérale mais toujours sur fond de tradition. Elle pense la liberté à partir de l'autorité, l'égalité à partir de l'Arché, la fraternité, et d'ailleurs l'humanité, à partir de la divinité. Tout se gâte lorsque l'on commence à penser le contraire - ou pire lorsqu'on commence à penser les aboutissants sans les tenants, les scories sans les causes, les modes sans la substance.... les devenirs sans l'être. Et cela, c'est en effet aux 18 et 19 èmes siècles que cela se produit, les siècles où Satan est devenu sympa comme je le disais à propos de l'expo d'Orsay, L'Ange du bizarre. A partir de ce moment, la gauche prend progressivement le pouvoir (et pas simplement le socialisme économique, non la gauche métaphysique, athée /païenne, négatrice d'humanité, totalitaire) et le 20 ème siècle triomphe. Le 20 ème siècle, siècle de l'Apocalypse en un sens avec son antéchrist à plusieurs faces (Lénine-Hitler-Staline-Mao-Pol-Poth) et qui fait que nous sommes dans un temps essentiellement post-apocalyptique, fait de confusions et de divertissement, plein d'hérésies de toutes sortes mais peut-être pas si désespérant que ça et dans lequel se joue une esquisse de parousie. Que trois papes d'exception soient revenus au centre du dispositif est bon signe.

A part ça, Dante a trahi Homère.

Et ce n'est pas Ulysse qui raconte à sa femme qu'il voulait rentrer chez eux, c'est Homère.

Et le pape, c'est la droite même s'il est social.

Pierre Boyer - Ulysse, c'est ce mec qui a fait gagner les Grecs en utilisant une ruse abjecte, totalement déloyale, en rupture totale avec la tradition de l'honneur. Après quoi ces brutes bestiales ont tué et violé tout le monde — à charge pour leurs descendants d'inventer de jolies chansons où on raconte qu'un type qui va de maîtresse en maîtresse ne rêve que de retrouver sa femme.

"on n'a jamais parlé de catholicisme avant que les protestants ne s'imposent": hem, tu te rends compte de ce que tu écris, là?

"Et le pape, c'est la droite": ok, l'Eglise n'est donc pas pour tous. Et donc le pape, c'est Calvin. CQFD.

"la gauche métaphysique, athée /païenne, négatrice d'humanité, totalitaire": Maurras et Nietzsche, quoi.

Pierre Cormary - La droite est pour tous puisque le monde commence par être de droite. La droite, c'est l'être. Maurras, c'est la tradition sans la foi. Nietzsche, le divin sans le Christ. Deux formes primitives de droite, donc, à tendance fasciste il est vrai.

Ah oui, j'oubliais, la droite n'est pas une idéologie. Alors que la gauche n'est qu'idéologie.

Pierre Boyer - "La droite, c'est l'être." !!!!!! Alors là, pourquoi se retenir: et la gauche, c'est "le Bien au-delà de l'être", c'est-à-dire Dieu (Platon + Lévinas). Punaise, tu es un vrai maoïste ! Tu devrais lire Badiou!

Pierre Cormary - Platon me suffit. Platon, c'est la première droite (Parménide aussi, c'est vrai. Mais Platon intègre Parménide comme il intègre Héraklite. Et c'est normal : la droite sélectionne et intègre.)   Montaigne, Locke, Constant, Montesquieu, Tocqueville, c'est la seconde droite.    Le premier penseur d'importance de gauche, c'est Rousseau (même si sa personne est singulièrement de droite - Confessions, Rêveries, etc. Il n'avait pas tout pourri.)

Le Bien, c'est la droite - alors que le mieux, c'est la gauche.

Et c'est Dieu qui crée l'être. Dieu est donc d'extrême droite - comme la semence d'ailleurs. Fascisme originel de la vie - je crois que tu étais d'accord avec ça.

Bon, j'arrête.

Pierre Boyer - Port'nawak en roue libre! "c'est Dieu qui crée l'être. Dieu est donc d'extrême droite": l'être, c'est le péché originel?

Pierre Cormary - Tu n'as jamais rencontré des gens de droite, en fait...

Pierre Boyer - Oh si. Mais des vrais. Des républicains américains. Des conservateurs japonais. Comme me le disait un ami qui lit nos discussions sans intervenir: "Cormary, il est de gauche mais il ne s'en rend pas compte". Et il rajoutait: "en fait, si, il s'en rend compte. C'est pour ça qu'il est tellement obsédé par la différence droite/gauche."

Pierre Cormary - Présente-les moi !!!!!!

Pierre Boyer - Surtout pas, ils te feraient passer à gauche!

Pierre Cormary - Ils disent ça parce qu'ils sont d'extrême droite alors que moi pas du tout. Moi, je suis un beauf qui raisonne comme Sarkozy, Marine Le Pen ou Don Camillo.

Pierre Boyer - Ils raisonnent comme George W.Bush. Je te le dis la vraie droite c'est le calvinisme. François d'Assise, c'était un fdp de communiste.

Pierre Cormary - Mais ça me rassure de passer pour un gauchiste auprès du Tea Party et de Mishima.

Pierre Boyer - Et moi de passer pour un mec de droite auprès des amateurs de Badiou.

Pierre Cormary - Mais parce que tu as le tort, je le comprends aujourd'hui, de raisonner à partir du pire !!!! Maurras, Schmitt, tous des dingues...

La droite, c'est la tradition + le libéralisme.

La gauche, c'est l'esprit qui nie.

Pierre Boyer - Port'nawak.

Pierre Cormary - Là, je suis sûr qu'au moins sur ce point tes amis américains et japonais seraient d'accord avec moi...

Pierre Boyer - Sauf que pour eux, catholicisme = satan.

Sinon, tu ne peux pas me demander de ne pas penser la droite à partir de Maurras, Nietzsche ou Schmitt, et ensuite m'expliquer que la gauche = Mao.

Si tu demandes de penser la droite à partir de Chateaubriand (ce que je fais bien volontiers) et pas "à partir du pire", tu dois penser la gauche à partir de Locke, Constant (voire Tocqueville, puisque tous ces gens-là, en leur temps, étaient à gauche) et pas "à partir du pire". Ou alors je suis en droit de dire que droite = Pétain (ce qui est tout à fait tenable). Il ne s'agit pas de mettre Paris en bouteille, il s'agit d'avoir un minimum d'honnêteté intellectuelle.

Pierre Cormary - Il s'agit plutôt de sensibilité. Un honnête homme de droite peut voter Bayrou s'il est sage, Sarkozy s'il est déterminé, Le Pen s'il est énervé - et ne verra nulle contradiction majeure dans ces trois votes. Comme Chateaubriand ou Tocqueville, il sera partagé entre sa nostalgie et son pragmatisme, regrettera la monarchie sans conspuer la République. Il admettra le sens de l'Histoire sans s'en réjouir. Il pourra s'encanailler avec Nietzsche et se faire peur avec Maistre. Il comprendra pourquoi De Gaulle fut forgé par Maurras même s'il y renonça pour le bien commun. Il n'aura aucune difficulté à mettre des ponts entre la pensée réactionnaire et la pensée libérale. Et il fuira les digressions scolastiques - même celles qui pourraient rejoindre ses fluctuations. Il sera un homme libre comme le jeune Barrès.

Pierre Boyer - Tu noies le poisson. Parlons sérieusement (donc on oublie mes blagues sur de Gaulle). Situé dans son contexte historique, Chateaubriand est à droite puisqu'il siège et vote à droite. Il est moins à droite que Bonald, mais il est à droite. Situé dans son contexte, Locke est franchement à gauche, très à gauche. Constant, en 1820, est à l'extrême-gauche (être plus à gauche est simplement interdit par la loi). Tocqueville est au centre-gauche. Si maintenant tu me racontes que ces gens-là sont des hommes de droite, alors il est permis de dire tout et n'importe quoi; et si tu peux totalement déshistoriciser droite et gauche en définissant à ton goût l'essence de l'homme de droite, alors j'ai le droit de faire pareil et de soutenir la thèse, parfaitement tenable d'un point de vue historique, selon laquelle le représentant-type de la droite, l'homme en lequel s'est incarné toute la tradition de la droite française, c'est Pétain. Personnellement je ne pense rien de tel, mais si tu veux qu'on essentialise, alors essentialisons: et je n'aurai aucun problème à te démontrer que de Gaulle est à droite l'exception absolue, le seul homme de droite qui ne se soit pas reconnu dans un pétainisme où toute la droite française a convergé.

Ce que tu appelles "homme de droite", c'est Pierre Cormary. Et ce que tu appelles "homme de gauche", c'est un amalgame de ce que tu n'aimes pas. Soit! Et j'aimerais bien que tout homme de droite soit un Pierre Cormary, les choses iraient beaucoup mieux! Et il y a beaucoup de choses que tu n'aimes pas que je n'aime pas non plus! Mais ne me demande pas de faire de cela une clef d'interprétation de l'histoire et, pire que ça, d'une novlangue où Parménide et Héraclite et Platon et Aristote et le Pharaon et Moïse seraient "de droite".

En fait, tu passes ton temps à faire ton propre portrait en nous disant ce que tu retiens de chaque auteur que tu aimes — et, quand tu aimes quelque chose chez un auteur, tu le déclares "de droite".

Pierre Cormary - Bon, comme c'est le dernier débat de l'année et que je pars à Ste-Maxime samedi matin, autant l'accomplir...

- Non, je ne fais pas mon propre portrait en Ulysse. Je me sens trop Télémaque pour cela. L'intuition d'un "Ulysse de droite" me vient de Chesterton qui disait que contrairement à ce que les lettreux veulent voir en d'Ulysse, celui-ci n'est pas du tout l' homme du voyage, de l'errance et de l'aventure, mais bien l'homme qui veut rentrer chez lui, l'homme qui ne rêve qu'à son bercail et à sa patrie, l'homme "aux mille tours" qui s'adapte aux circonstances et qui, ultra-pragmatique, n'utilise la ruse que pour arriver à ses fins et ne respecte les chefs et les dieux que pour avoir la paix, sans hésiter du reste à les contrer quand ceux-là le contrarient. Ulysse, individu pur qui ne croit qu'en lui et à son énergie. Et cela en effet me semble plutôt de droite, principe métaphysique s'il en est.

- L'historien aura certes du mal à comprendre ce genre de définitions mais l'historien aura toujours du mal à comprendre la vie réelle, bien souvent anhistorique, et que les romanciers ou les mémorialistes, de Saint-Simon à Aurora Cornu osent maltraiter. Remettre l'Histoire à sa très piteuse place, tel est le rôle du romancier comme je l'écrivais récemment à propos du roman d'Aurora mais comme on aurait aussi pu le dire de Stendhal, de Tolstoï ou de Céline - et sans parler des philosophes de l'histoire que les professeurs d'histoire récusent la plupart du temps. "Ne mettez jamais Hegel dans votre copie", nous exhortait notre prof d'histoire en khâgne, au grand dam de nous, "les options philo". Enfin, il y a des historiens de droite et de gauche. Et moi, évidemment, je préfère Bainville, Gaxotte, Ariès et Sacha Guitry plutôt les instituteurs barbus à la Robert Hue qui vont m'expliquer que l'Ancien Régime, l'Empire et la colonisation, c'était mal.

- Je ne dis pas que Parménide, Platon, Moïse et le Pharaon étaient de droite, je dis bien pire : que toute l'histoire du monde et de la pensée était de droite jusqu'au XVIII ème siècle - c'est-à-dire fondée sur la tradition, le divin et l'autorité. Je dis simplement qu'être à droite est la pensée naturelle et culturelle de l'homme et que c'est tellement évident que l'on ne parle pas de droite mais simplement de monde réel et éternel (voir Guénon). La droite va de soi - la gauche est une rupture historique et qui a lieu, du moins en Occident, à partir des Lumières et de la Révolution Française, rupture qui sera entérinée aux siècles suivants. Le XIX ème siècle à travers les âges, de ce génie de Muray. Mais pas de panique ! Ce que je dis là n'est rien d'autre que ce que disent des gens comme Maistre et Bonald, auteurs que tu connais mieux que moi mais sans peut-être les ressentir comme moi, parce qu'il faut avoir un côté beauf pour être vraiment maistrien ou bonaldien. D'ailleurs, tu sais mieux que moi que tous les auteurs "réactionnaires" dont tu t'es fait une spécialité se retrouvent sur ce point. La tradition a été dévoyée, la Révolution est d'essence satanique et à partir d'elle rien ne sera plus comme avant, la modernité est critiquable. On commencera à penser tordu, à penser contresens sur contresens, à penser gauche. Maistre, Bonald, Nietzsche, Heidegger et Muray pensent là-dessus la même chose. Aucune novlangue ni uchronie dans l'affirmation de ce qui n'est qu'une évidence politique, morale et sensible.

- Tout de même, Jean-Yves, tout ce que je dis là est inspiré par ce que j'ai lu de toi dans ta présentation de ton Bonald et je ne comprends pas que tu viennes t'attaquer à toi-même à travers ma lecture ET MON ADHESION à ce que tu écris sur Bonald. Alors désolé de nous citer, mais oui, je crois, moi qu'il y a en effet « un lien insécable entre société religieuse et société civile ». Et « Comme le dit Jean-Yves Pranchère dans sa splendide préface à ces Réflexions sur l’accord des dogmes de la religion avec la raison, parues cet hiver aux Editions du Cerf, le légitimisme de Bonald s’appuie sur « un sociologisme naturaliste et universaliste » selon lequel c’est la société qui précède les individus et non l’inverse. « A la croyance révolutionnaire que “l’homme se fait lui-même et fait la société“, Bonald oppose que “la société se fait elle-même et fait la société”. » La société est là pour harmoniser les forces et les faiblesses des uns et des autres, et du fait que personne n’est égal à personne et que tout rapport social, pour ne pas dire tout rapport humain, est par nature dissymétrique, elle doit faire en sorte que cette dissymétrie soit admise par tous et organisée selon un principe qu’on pourrait dire d’équité dans l’inégalité – ou d’inégalité équitable ! L’important, c’est que chacun soit à sa place. D’où l’apologie du régime monarchique de « l’inégalité instituée » qui ne peut qu’heurter nos conscience modernes mais qui sur bien des points est beaucoup plus juste que celui de « l’inégalité désinstituée » propre à nos démocraties.» Le reste est là - http://pierrecormary.hautetfort.com/.../qu-est-ce-que-la...

- Mais il est là, ça y est, on l'a trouvé, le coeur de notre désaccord. C'est que toi tu comprends Bonald mais tu n'y adhères pas du tout, alors que moi, si, du moins en grande partie. Je crois en ceci : " C’est cela la pensée réactionnaire. Une conception analogique, organique et poétique qui prend le monde sans l’émietter. Une perception holistique des choses et des êtres qui ne les ne juxtapose pas mais les hiérarchise, les lie et les ensemence. Une affection pour la vie qui met tout en correspondance et en vers. Une poupée russe dans laquelle « l’homme est contenu dans la famille, la famille dans l’Etat, l’Etat dans le religion, la religion dans l’univers, l’univers et tout ce qu’il renferme dans l’immensité de Dieu, centre unique auquel tout se rapporte, circonférence infinie qui embrasse tout, principe et fin, alpha, oméga des êtres. Ainsi, mille cercles inscrits, semblables en nombre de parties, inégaux en grandeur, identiques et propriétés ou rapports de parties, ont tous un centre commun, et sont tous compris dans une même circonférence ». Un paradis, aurait dit Dante."

- En même temps, je ne me limite pas à Maistre et à Bonald. Quoiqu'ils disent, le devenir existe et s'il y a eu la Réforme, les Lumières et la Révolution, c'est qu'il devait y avoir une bonne raison à cela. C'est ici qu'intervient la pensée libérale (Montesquieu, Constant, Tocqueville et les autres) et qu'une partie de la droite non réactionnaire, pragmatique, va adopter. Alors tu as beau jeu de me rappeler que ces gens-là n'étaient pas d'accord à leur époque (mais l'UMP, le FN et le MODEM non plus), il n'en reste pas moins qu'ils font tous partie du corpus de la droite française. Un François d'Orcival ou un Luc Ferry, malgré leurs différences, ne disent pas autre chose. Croire qu'il y a une différence autre que conjoncturelle entre Chateaubriand et Tocqueville, c'est comme si tu me disais que Staline et Trotsky n'étaient pas d'accord et que la preuve est que l'un a fait assassiner l'autre - alors que fondamentalement, ils font partie de la même famille et que leur discorde n'est pas tant idéologique que méthodologique, en plus de la rivalité politique.

- Encore une fois, être de droite, c'est être un mélange de conservatisme et de libéralisme, de traditionalisme et d'individualisme, de nostalgie héroïque et de croyance à la volonté propre. Et avec ses corollaires : se méfier de l'état et des pouvoirs officiels, se méfier de l'égalité, se méfier des grandes idées globales qui pensent le Bien avant l'homme - en fait, sans lui.

- Hérersiarque de grande classe, Deleuze avait tout dit de la différence droite / gauche quand il déclarait que la droite commençait à penser le monde à partir de soi et que la gauche le faisait à partir de l'horizon. Oui, je suis de droite, je pars de moi (libéralisme) ou de Dieu (traditionalisme) pour arriver au monde, mais jamais je ne pars de cette horreur qu'on appelle le monde, l'autre, l'ailleurs.

- Pétain, incarnation de la droite ? Mais bien sûr ! Héros de la guerre, homme providentiel, père de la patrie, garant des valeurs traditionnelles.... sauf qu'il trahit tout cela, se mit au service de l'occupant, rompit avec la souveraineté nationale et vendit la patrie. Encore que, comme l'a bien montré Amouroux, pour les gens de l'époque, Pétain et de Gaulle, c'était la même chose, l'un organisait la résistance de l'extérieur, l'autre tentait de gérer au mieux la situation à l'intérieur. Il n'y a que les mauvais historiens qui ne veulent pas voir cette croyance populaire dans la connivence des deux hommes. Mais les historiens sont tellement peu pratiques et tellement peu pensants !!

- Bien entendu, j'admets tout à fait les complications. Pour Sarah Palin ou Mishima, je suis de gauche - mais parce qu'eux sont d'une droite ultra protestante et ultra nationaliste, et je ne vois pas pourquoi je me définirais par rapport à eux. Autre complication : pour la doxa d'aujourd'hui, celle par exemple de Najat Vallaud-Belkacem le gaullisme serait d'extrême droite. Ainsi Brigitte Bardot et Alain Delon (ou si tu préfères, Renaud Camus ou Alain Finkielkraut) qui sont aujourd'hui considérés d'extrême droite alors qu'ils n'ont jamais changé d'avis et que c'est le monde qui a changé. Des opinions qui passaient comme une lettre à la poste dans les années 60 et 70 sont considérées à notre sale époque comme fascisantes (de même la ligne éditoriale de Causeur que d'aucuns considèrent comme libertaire alors qu'elle n'est que pompidolienne, ni plus ni moins). Et c'est en ce sens que notre monde est débectant. Il est débectant car il rend coupables des opinions qui étaient banales et normatives il y a encore vingt ans ou trente ans. Penser comme Zemmour était quasi normatif dans les années 70, aujourd'hui, c'est quasi criminel. Eh bien tant pis, on sera criminel et incohérent aux yeux de la doxa - mais bien traditionnel et libéral à ceux de la vérité.

Pierre Boyer - Pierre: comme je pars tout à l'heure et que j'ai beaucoup de kms à faire, je ne te réponds pas dans le détail. Mais, en effet, pour finir (je dis bien pour finir= les détours ne sont pas secondaires, ils sont la chose même) je ne suis pas bonaldien, parce que Bonald réduit trop la part du péché originel (eh oui) (je suis de la gauche Madison-Jefferson, celle qui est démocrate parce qu'elle prend le péché au sérieux) et parce qu'il sous-estime la force de rupture du christianisme. Et je concentrerai mon désaccord en une seule phrase: la seule chose qui cloche dans ta description du "monde de droite" d'avant la Réforme (quid de l'orthodoxie, au fait?), c'est qu'elle oublie — et qu'elle impose! — de dire que, s'il en est ainsi, alors il y a une immense exception: le Christ était à gauche. Dans l'histoire du monde, l'irruption de la gauche, c'est le Christ. Et ça a toujours été la mauvaise tentation de la droite, depuis 2000 ans, que de redéfinir le christianisme en le déchristianisant. Ce que Dostoîevski (qui n'était pas de gauche) a génialement résumé dans sa parabole du Grand Inquisiteur. — Le monde était de droite? Soit. Mais saint Paul nous a enseigné qu'il ne fallait pas être"du" monde. Donc qu'il ne fallait pas être de droite.

Pierre Cormary - Tu crois donc au péché originel pour le prendre plus sérieusement que Bonald ? Tu considères que le péché originel constitue la condition de l'homme avant toutes choses ? Tu te définis donc comme croyant ? Questions redoutables et personnelles auxquelles tu n'es bien sûr pas obligé de répondre.

Comme je l'expliquais dans mon texte sur Bonald (que j'ai relu pour l'occasion), quand je dis "pensée de droite", j'entends "pensée classique", ou "pensée de la tradition". Et c'est pourquoi je dis que le monde entier était de droite avant le XIX ème siècle. Je dis que l'indouisme est de droite, que l'animisme est de droite, que le confucianisme est de droite, que le taoïsme est de droite, je dis que les amérindiens, les bochimans et les inuits sont de droite, parce que "droite" implique le respect de traditions millénaires, l'usage des arguments d'autorités, la croyance en une nature organique et holistique, l'idée que l'homme est un maillon des choses. Etre de droite, c'est penser que le grand tout existe, que chaque chose a une âme, et qu'il y a une théodicée. Etre de droite, c'est penser qu'il y a des forces supérieures qui peuvent influer sur nous. La pensée magique est de droite - la transcendance aussi. En ce sens, le christianisme est de droite comme n'importe quelle religion qui se respecte. Dieu est de droite... mais peut-être nous demande-t-il d'être de gauche, comme disait quelqu'un que j'apprécie et qui oublie parfois que je le lis et que je l'écoute.

Enfin, Dieu nous demande d'être de gauche - entre nous, mais pas avec Lui.

Maintenant, il est clair que par rapport à la pensée antique, l'irruption du christianisme apparait comme de gauche. Egalité des hommes devant Dieu, exhortation à l'amour des uns envers les autres, béatifications, etc, l'enseignement du Christ prend à rebrousse poil toutes les valeurs païennes qui à bien des égards sont encore les nôtres.

Mais le Christ dit aussi "rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César" et aussi "le royaume des cieux est en vous", et dans son ministère, il s'oppose beaucoup plus aux Juifs qu'aux Romains. Sa révolution n'est donc pas une révolution sociale mais bien une révolution intérieure, "psychologique" (l'espérance). Le paradis, ce n'est pas maintenant, c'est après. A chacun de faire son salut et d'aider les autres à faire le sien, mais certainement pas en faisant la révolution. Dans le groupe, c'est Judas qui veut la faire et c'est pourquoi il va être déçu par Jésus et le trahir. C'est l'impatient, Judas, celui qui veut tout tout de suite et qui a la tentation sociale et politique. Et celles-ci, comme Benoît XVI l'a bien expliqué, sont bien d'essence satanique.

Pierre Boyer - A propos des tentations : ce que tu négliges trop, c'est que le catholicisme doit répondre aux grandes critiques qui lui ont été adressées d'un point de vue paulinien - disons: Dostoïevski (orthodoxe), Barth (protestant), Taubes (paulinien-juif) pour les temps récents. Or, que disent toutes ces critiques? Que le catholicisme, c'est la seconde tentation du Christ! — Mais là, pour continuer, il faut que je reprenne ton texte. — En route!

Pierre Cormary - Comme devoir de vacances (répondre à Dostoïevski, Barth et Taubes), c'est plutôt lourd et je dois aussi faire la crèche ! Par ailleurs, que répondre à des non-catholiques qui reprochent au catholicisme d'exister ? A un certain moment, il faut admettre et approuver le désaccord absolu, ça fait partie de la vie.

(...)

Najat Vallaut-Belkacem.jpg

Sans commentaires.

 

Pierre Cormary - Trouvé et piqué chez l'indispensable Jean-Pierre Kader. J'en ris encore.

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dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment

Survival annuel

 

Pierre Cormary - Bon, on a survécu. Sain et sauf, comme dirait le Président.

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment

Ma vie utérine, sociale, sexuelle et amicale.

 

Pierre Cormary - Toute ma vie symbolique, réelle, virtuelle, religieuse, amoureuse, poétique, politique, érotique, métaphorisée là-dedans.

Pierre Cormary - Même chez soi, on ne peut s'empêcher d'avoir un peu peur. Un jeu comme un autre. Une façon d'être encore enfant. Nuit. Murs. Ombres d' arbres. Chiens qui aboient au loin. Bruits qui semblent se rapprocher des broussailles. Rôdeurs ?

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment

Génie comique, quoiqu'on dise.

 

Pierre Cormary - Mes cinq personnalités préférées de l'année à moi :

1 - Dieudonné.

2 - Alain Delon.

3 - Marion Marechal-Le Pen.

4 - Abdelatiff Kechiche.

5 - Nicolas Anelka. 

Et aussi : Frigide Barjot, le pape François, Vladimir Poutine, Laurent Obertone et Nicolas Sarkozy.

(Liste des 5 "personnalités" préférées des français.1) Jean-Jacques Goldman 2) Omar Sy 3) Mimie Mathy 4) Florence Foresti 5) Gad Elmaleh)

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment

M'a sauvé en mars 1996 (ou y a fortement contribué.)

 

Pierre Cormary - Hors Scorsese, point de salut.

Mauvais grands cinéastes : Francis Ford Coppola, Brian de Palma, Michael Mann, Paul Thomas Anderson, Jean-Luc Godard.

Cinéastes surestimés : Clint Eastwood, Pedro Almodovar, Jacques Audiard, Nicolas Winding Refn (imposteur total).

Cinéastes géniaux partis en vrille : Lars von Trier, Peter Greenaway, Werner Herzog, Emir Kusturica, Terrence Malick, David Lynch (?).

Cinéastes décevants : Tim Burton, Terry Gilliam.

Cinéastes qui comptent : Scorsese, Spielberg, Gray, Cohen, Cronenberg, Allen, Wes Anderson (une fois sur deux et même une fois sur trois), et chez nous : Dumont (même s'il a complètement loupé sa Camille Claudel 1915), Kechiche, Desplechin (même si le dernier est encore plus nul qu'Esther Kahn.)

 

dieudonné,rachel bespaloff,michel ciment

Droite dégénérée

 

Pierre Cormary - Le loup de Wall Street est un film post-apocalyptique. Plus de chute ni de rédemption. Le principe de plaisir poussé à son point culminant, la répétition jusqu'au vertige, le triomphe médiatique sans échappatoire. Forcément moins surprenant que Les Affranchis (qui inventaient ce genre) et moins tragique que Casino, "Le Loup", qu'on aurait pourtant tort de prendre pour une simple resucée de ces deux films, développe comme jamais les thématiques scorsésiennes, et notamment celle, sous-entendue dans tous ses films, mais qui là, explose, à savoir la communauté masculine triomphante, où les femmes n'existent que pour rassurer les hommes qui sans elles, passeraient leur temps à se faire des pipes - l'ultra-libéralisme allant de pair avec avec le pouvoir masculin sans limites (la scène où Belfort tente d'arracher sa fille à sa mère), et avec un art du burlesque lui aussi sans limites. La résistance de certains d'entre vous à ce chef-d'oeuvre s'explique peut-être par là.

(Et encore 100 commentaires suivront.. Au moment ou je poste ce "FB 2013" on en est à 1500 sur un fil consacré....  à l'avortement et aux juifs. Mais on ne pourra le lire que l'an prochain.)

 

BONNE

ANNEE

2014 A

 TOUTES

ET

TOUS.

Rohmer, l'homme qui craignait les femmes

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Heureuse surprise que cette intégrale Rohmer qui vient de sortir chez Potemkine et qui propose, en plus des vingt-trois films du maître restaurés en haute définition, DVD et Blue Ray, de nombreux bonus, la plupart inédits – tels ces documentaires consacrés à d’autres cinéastes (Carl Théodore Dreyer en 1965, Louis Lumière en 1968), mais aussi, et plus étonnants, à la société de son temps (L’homme et la machine et L’homme et son Journal, tous deux réalisés en 1967), l’auteur de L'Anglaise et le Duc se révélant autant historien du cinéma qu’entomologiste urbain. Les court-métrages des années 1960, et dans lesquels il fit ses premières armes, ont évidemment la part belle, à commencer par la mythique Sonate à Kreutzer de 1956, retrouvée miraculeusement, et interprétée par Jean-Claude Brialy et Eric Rohmer lui-même. C’est que ce très vénérable professeur de lettres, qui cacha toute sa vie à sa mère qu’il était cinéaste, ne détestait pas faire l’acteur, comme le prouve aussi les apparitions bizarres qu’il fit dans les films de ses collègues (Brigitte et Brigitte, de Jean Luc Moullet en 1966, ou Out-One, de Jacques Rivette en 1971). On savourera aussi ce merveilleux moment d’un Rohmer déclamant Rimbaud et filmé amoureusement par Marie Rivière, l’inoubliable interprète du Rayon vert, dans un film souvenir. On ne se lassera jamais, enfin, de revoir Bois ton café, le seul clip vidéo qu’il réalisa avec Pascal Greggory et l’adorable Rosette, et qui constitue l’extrait idéal pour finir une soirée entre amis.

Rohmer, grand cinéaste, "petit public" ?

Certes, comme l’avoue Noël Herpe, le pilote émérite de ce coffret conçu, d’après ses propres dires, comme une « Pléiade », on n’a pas tout retrouvé, à commencer par ces Petites Filles modèles, moyen métrage réalisé en 1952, qui restera à jamais comme le film rêvé, refoulé et érogène de l’auteur de Pauline à la plage. Comment ce cinéaste qui passa sa vie à punir « moralement » ses héroïnes s’y serait pris pour filmer une scène de fessée réelle, c’est ce que nous ne saurons jamais. Tant pis, on se consolera avec Bérénice, une adaptation improbable d’un conte d’Edgar Poe, faite en 1954, et dans laquelle le cinéaste s’est amusé à incarner un vampire – comme si, au début de sa carrière, celui-ci avait été tenté d’être un nouveau Franju ou un nouveau Buñuel, au fond bien plus inspiré par le roman noir et le fantastique érotique que par le marivaudage qui ferait bientôt sa réputation.

Car il ne faut pas se tromper : cette œuvre qu’on dit celle d’un « petit public » eut en son temps un écho international. En atteste cette séquence d’un JT de 1972 consacrée à la réception triomphale de L’amour l’après-midi aux Etats-Unis et qui montre combien le cinéma français (et le plus français d’entre eux) était à cette époque connu, apprécié, et d’ailleurs enseigné, bien au-delà de notre pays. C’est que Rohmer représentait une France idéale, charmante, élégante, capiteuse, émancipée – une France en vacances où l’on paresse à Saint-Tropez en se moquant d’une jeune fille que l’on accuse de collectionner les amants pour la bonne raison qu’elle refuse de coucher avec vous ; ou au bord du lac d’Annecy où l’on se met en tête que toucher le genou d’une adolescente suffira à notre bonheur, quitte à faire pleurer cette dernière en lui racontant des bobards. A moins que l’on ne se prenne à rêver qu’on a un talisman autour du cou et qui permet d’attirer à soi toutes les belles femmes de Paris à qui on pourrait faire l’amour l’après-midi. En vain, bien entendu, les personnages de Rohmer étant, comme nombre d’entre nous, de pauvres diables et de pauvres diablesses qui courent après des fantasmes qu’ils ne rattrapent jamais, au risque de mettre en danger leur propre couple, ne dépassant jamais le stade du désir et de sa frustration, et finissant par se consoler en croyant voir dans leur échec ou dans leur impuissance une décision « morale ».

 

eric rohmer,aurora cornu,françoise fabian,pierre cottrell

 

Un homme moral

Moral, l’homme Rohmer le fut dans sa vie autant par catholicisme que par timidité. Et ce n’est pas là le moindre intérêt de ces bonus que de nous rapporter, qui plus est par la bouche des deux actrices qui, à notre avis, resteront comme ses deux plus beaux personnages, certaines anecdotes savoureuses qui éclairent sa personnalité autant que son œuvre.

Ainsi, Françoise Fabian, toujours somptueuse, qui raconte comment elle retrouvait Rohmer chez Lipp trois fois le mois et que la conversation durant, ils faisaient souvent la fermeture du célèbre établissement. La façon qu’il avait de la regarder en biais, évitant à tout prix le face-à-face, comme s’il ne pouvait soutenir le regard d’une femme. Le rouge écarlate qui lui vint aux joues quand celle-ci lui dit un jour qu’il avait de fort belles jambes. L’homme était en effet un sportif insigne, redoutable coureur à pied, doublé d’un non moins remarquable danseur de rock – tout cela peut-être pour sublimer l’attention forcenée qu’il avait pour les femmes et notamment pour cette future Maud dont il voulut, dans le film qui porte son nom, que sa chambre fut ornée de gravures de Léonard de Vinci, parce qu’en effet, elle était une Joconde vivante. Et à la fin de l’entretien, la Joconde a les larmes aux yeux.

Quant à Aurora Cornu, l’inoubliable romancière roumaine du Genou de Claire, choisie, comme elle l’avoue elle-même avec une franchise désarmante, pour « son accent à couper au couteau », mais aussi, on le devine, pour sa beauté irréelle et magnétique, celle-ci surpassant celles de Bardot, Deneuve et autres stars de l’époque, elle connut aussi une intense vie de café avec le maître (quoiqu’au Flore, cette fois-ci) avant de tourner avec lui et de créer ce personnage d’ »Aurora », sans égal dans sa cinématographie, sorte d’hapax féminin dans lequel il se serait lui-même retrouvé. Plus que la confidente, « Aurora » est en effet cette déesse-mère, comme il n’en filmera ni avant ni après, qui va susciter, pour ne pas dire mettre en scène, la romance des autres – autrement dit, qui va jouer le rôle du réalisateur lui-même, incarner ni plus ni moins, et selon son expression troublante, une sorte de « Rohmer femelle » et cela non seulement à l’intérieur de la fiction où c’est elle qui provoque les situations et génère les affects mais aussi sur le tournage, Rohmer lui demandant par exemple de prendre sous son aile la petite Laurence de Monaghan, vedette anonyme bien perdue au milieu de ces gens de cinéma. C’est toujours avec sa complicité qu’elle élabore ce qu’elle appelle « l’amitié touchable », Brialy et elle ne cessant en effet de se toucher amicalement (quoique…) tout au long de leurs dialogues. Il tolèrera également, et au grand dam de Pierre Cottrell, le producteur, quelques regards caméra de sa part.

« Aurora », le double féminin de Rohmer ?

Jusqu’à quel point Rohmer se projeta-t-il sur cette femme étonnante et voulut croire qu’elle était lui ou qu’il était elle ? On ne le saura jamais. Ce qui est sûr, c’est qu’à cet homme fasciné par « le phénomène féminin » autant qu’apeuré devant lui, celle-ci permit, et en toute innocence, de lui faire voir quelque chose qu’il n’avait jamais vu de sa vie et qu’il semble avoir vécu comme une sorte de dépucelage visuel – à savoir le spectacle d’une femme cousant un bouton. Captivé par ce geste anodin qu’elle fit lors d’une répétition (sans doute au moment où elle écoute sur le canapé Brialy lui raconter son « contact » réussi avec Claire) et qui semblait relever à ses yeux « de la plus haute intimité », avouant qu’il n’avait jamais pu voir sa propre femme le faire, il n’osa garder la scène. Buñuel refoulé, le plus grand couturier psychologue du cinéma français n’avait pu endurer le plan d’une femme maniant une aiguille.

 

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Le "nous" de Poutine, par Michel Segal

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On dit parfois que les gens se révèlent dans les épreuves difficiles. Il semble que ce principe se vérifie concernant l’ensemble des dirigeants des grandes puissances au travers de la crise en Ukraine. Le résultat est peu encourageant du côté occidental mais en revanche troublant du côté de la Russie. Regardez bien cette séquence, il s’agit d’un très court extrait (20 secondes) de la conférence de presse de Vladimir Poutine du 4 mars.

https://www.facebook.com/photo.php?v=537064639743799

A peu de choses près, Vladimir Poutine dit à la journaliste: "Ecoutez-moi attentivement, il faut que vous compreniez une chose. Si cette décision a été prise, c'est uniquement pour défendre le peuple ukrainien. (...) Qu'ils essayent de tirer sur des femmes et des enfants, ils nous trouveront. Ils ne nous trouveront pas en face d'eux, mais derrière".

Ce qui est intéressant dans cette vidéo est que l'on mesure parfaitement la différence de traitement de la crise d'un camp à l'autre, et que cette différence est édifiante. Le ton de Vladimir Poutine, son émotion, sa foi pourrait-on dire est palpable. Il parle de défendre les siens, pas de défendre un principe. Il y a le temps des négociations, des discussions sur le droit international, des réflexions sur les intérêts de chacun mais à cet instant, on est bien au-delà des contingences et de la comptabilité. L'argument n'est plus juridique ou politique, il est moral. Et c'est une morale plus proche de la nature que de l'intellect. C'est toute la grandeur d'un vrai chef d'état qui apparait soudain lorsque celui-ci est capable de vérité dans des circonstances exceptionnelles, lorsque soudain il parle de l'essentiel : des hommes. Président d'une des plus puissantes nations du monde, ses lèvres tremblent un peu, il est visiblement submergé par quelque chose d'ordre physique, terriblement réel et qui guide son action. On peut penser que c'est une feinte, que tout cela est mis en scène (ce qui est peut-être vrai, peu importe), mais le discours, son allure, son émotion, le regard de l'orateur, tout cela porte sur la grandeur, sur le sentiment d'un honneur, sur le sens d'une fraternité, sur le courage d'un homme d'action.

Ce courage se ressent même dans la disposition des lieux qui n'est pas anodine et qui révèle une volonté de vérité. Poutine n'est pas derrière un bureau ou un pupitre sur une estrade entouré de proches ou de gardes du corps, à une dizaine de mètres des journalistes comme les hommes politiques le sont habituellement pour se protéger d'une proximité qui les empêcherait de dissimuler leurs mensonges ou leur théâtre. Il est seul, collé aux journalistes, sans notes, à la même hauteur qu'eux. Il n'a pas la posture de celui qui vient dérouler des déclarations convenues devant des journalistes blasés et ronflants, il n'est pas là pour communiquer, il est là pour leur parler. Il peut presque les toucher. A cet égard, le gros plan de la journaliste à qui il répond est troublant. Elle écoute réellement parce qu'il lui parle réellement. On est à l'opposé de ce à quoi on est habitué du côté occidental, à l'opposé des grand-messes, du formalisme, de la mesure, de la temporisation, de ces paroles qui ne sont que des paroles dans l'autre camp, de ces paroles qui ne sont jamais animées, c'est-à-dire qui n'ont pas d'âme, parce qu'elles sont prononcées par des technocrates qui n'ont ni foi, ni idéal, ni courage, ni valeurs morales, ni convictions. Ceux-là font des mises en scène médiocres qui sentent le fard et la perruque enfarinée. Dans un camp on agit, dans l'autre on communique.

Une autre chose assez troublante est son usage du "nous" : ils "nous" trouveront, "Nous" serons derrière eux. Ce nous est beaucoup plus fort que "la Russie", ou "les Russes", ou "nos soldats", car il fait référence à une communauté unie dans laquelle on ne distingue plus les militaires des civils ou des politiques, où l'on a l'impression que chacun, y compris Poutine lui-même, pourrait prendre les armes pour protéger les siens. Là encore, il y a quelque chose de fraternel et le signe d'une très forte unité du peuple sur des valeurs communes.

Au contraire, les dirigeants de l'autre camp utilisent souvent le "je" ou bien "Les Etats-Unis", " l'Union Européenne", "l'ONU", etc. Et quand ils emploient le "nous", ils font toujours référence à leurs partenaires, mais jamais à une communauté d'hommes. Le "nous" des dirigeants occidentaux n'est jamais un "nous" fraternel, ce n’est qu’un raccourci pour désigner ses alliés politiques. Même leurs mots les plus simples sont privés d’âme.

Enfin, ce qui ajoute à cette courte séquence une dimension spectaculaire, c'est la détermination exprimée en avertissement sous la  forme d'une image saisissante. L'image est saisissante car Poutine, contrairement aux dirigeants adverses, est parfaitement capable de rendre compte de la réalité d'une bataille et des soldats en quelques mots. Il sait de quoi il parle. L'image choisie est impressionnante car elle donne toute la mesure de sa force guerrière et de son efficacité qui va immédiatement à l’essentiel: "ils ne nous trouveront pas en face d'eux, mais derrière".

Michel Segal

 

Michel Segal est un professeur de mathématique, engagé dans la cité, et qui parle russe. Il a publié :

Autopsie de l'école républicaine,Editions Autres Temps, 2008

Violences scolaires: responsables et coupables, Editions  Autres temps, 2010

Collège unique ou l'intelligence humiliée : la fin des utopies, Editions F-X de Guibert, 2011.

A LIRE AUSSI :

Gabriel Matzneff dans Le Point"Vive la Crimée russe !"

"Pourquoi il y a tant de commentaires pro-Poutine sur le Web" (Le Figaro)

21 avril, deux cent quatre-vingt-dix-huitième

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21 avril,najat vallaud-belkacem,municipales 2014

 

Sur Causeur

 

Ce qu’il y a de stupéfiant chez les socialistes, c’est qu’à chaque fois qu’ils perdent, ils donnent l’impression de tomber des nues. Ils n’en reviennent pas. Ils sont éberlués. Et toujours ils pleurnichent. Comprenez-les : eux si honnêtes, si droits, si en avance sur leur temps, comment peuvent-ils être punis de la sorte par des électeurs sans cœur et sans âme ? Alors qu’à côté, à droite, on a beau nager dans les affaires, les condamnations, les écoutes, on est quand même élu et réélu (Balkany !) – et d’ailleurs à gauche aussi, plusieurs maires  sortants sévèrement casserolés ont fait un carton au premier tour. À croire que la malhonnêteté paye !

C’est que les socialistes qui sont plein de conscience morale manquent cruellement de conscience métaphysique – autant que de pragmatisme. Ils croient que la corruption, les trafics d’influence ou les passe-droits peuvent influer sur la décision de l’électeur. Ils croient que les lois sociétales qu’ils ont fait voter sont passées dans l’opinion sous prétexte qu’elles sont passées dans la Constitution. Ils croient que l’électeur raisonne comme Edwy Plenel et fantasme comme Najat Vallaud-Belkacem. Mais l’électeur se fout d’Edwy Plenel et trouve simplement que Najat Vallaud-Belkacem est une très jolie femme. Non, ce que veut l’électeur, c’est que son petit quotidien s’améliore et que ses petites coutumes ne soient pas mises à mal. Or, ce gouvernement fait le contraire depuis deux ans. Si l’électeur pourra éventuellement lui pardonner ses échecs sociaux (parce qu’il est pragmatique et qu’il sait que la droite au pouvoir n’aurait pas fait mieux – la seule politique possible étant aujourd’hui celle qui consiste à sauver les meubles), il l’a eu plutôt mauvaise qu’on vienne le déranger dans ses préjugés.

Il en a eu un peu ras-le-bol de passer pour un raciste parce qu’il a quelques inquiétudes identitaires, pour un homophobe parce que le mariage pour tous et la théorie du genre ne l’emballent pas tant que ça, pour un sadique parce qu’il trouve que les lois que l’on prépare sont encore moins sévères que celles déjà en règle, et pour un ringard qui ne comprend rien au monde parce que Terra Nova a décrété ce que devait être ou pas la nouvelle humanité. Il en a surtout marre qu’une majorité minoritaire malmène systématiquement sa minorité majoritaire. Bref, l’électeur se rebiffe et ose un chouïa chahuter ceux qui le nient depuis si longtemps, au risque que ceux-ci tombent dans un déni encore plus grand – spectacle réjouissant dont on ne se lassera jamais, il est vrai.

 

 

Pour saluer Jean-François Mattéi I - L'ordre du monde

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POUR SALUER JEAN-FRANCOIS MATTEI

(9 mars 1941, Oran - 24 mars 2014, Marseille),

ce grand métaphysicien qui fut mon professeur à Nice,

et sur lequel j'avais commis ce texte le 21 mai 2005 lors de l'ouverture de mon blog.

 

 

"L'ordre est le premier besoin de l'âme"

Simone Weil.

 

jean-françois mattéi,l'ordre du monde,philosophie,platon,orthodoxieCe qu'il y a parfois d'amusant et de consternant avec ceux qui s'intéressent à la philosophie, c'est qu'ils croient rendre hommage à celle-ci en disant qu'elle n'est rien d'autre que de la poésie.

Il y a quelques semaines, alors que sur un autre forum, j'expliquais à mon ami Scythe que c'était se tromper du tout au tout sur Nietzsche que de le considérer seulement comme un poète, voici qu'une des plus nobles (é)lectric(i)e(nne)s de la toile se crut bon de (me ?) rétorquer sur son orgasmatique blog que lorsqu'un philosophe est poète, eh bien cela suffit, car le philosophe n'est grand que lorsqu'il outrepasse la philosophie et que c'est avoir un petit anus comme le mien que d'en douter, et que voilà zut crotte et mince, le poète n'est rien d'autre que celui qui outrepasse aussi la poésie et le philosophe qui poétise la philopoésie de la poésophie de la femme qui erre dans son corps et dans son âme dans la nuit du jour de l'homme et de la mort et du cri de la jouissance extatique de la forêt profonde qui monte vers le ciel en un spasme et elle avait toujours aimé ce genre d'hôtel et que c'est par le regard que passent les yeux et que cet homme l'attendait elle et pas une autre elle et que son désir tendu autour de son flux de fantasmes où la pisse des ombres qui se rejoignent avec la caca des effluves dans une étreinte lumineuse en un spasme dans ce bel hôtel où elle allait vivre ces jouissances de femmes que seules les femmes connaissent entre femmes car la femme n'est que l'homme de la féminité et le phallus, cet autre vagin, n'est que la fente verticale qui se distort en un spasme, car l'amour vrai n'est qu'une bouche ouverte de la nature en un spasme et que Dieu qui est une femme nous donne son foutre vespéral dans nos sexes éclairés en un spasme et que l'amour n'est qu'une femme en un spasme et de l'homme qui l'attend lui aussi dans le bel hôtel de la lumière de foutre de chier de cul de merde de poétique philosophale en un spasme. [Neuf ans après, je ne me souviens plus du tout qui était cette madame Spasme (note de mars 2014.)]

Las ! Non contente de ne pas être de la poésie, et même si elle peut fortement flirter avec elle, la philosophie se définit en premier et dernier lieu comme ce qui rend raison de chaque chose. La philosophie n'est ni sagesse, ni esprit critique, ni art de vivre, ni consolation à mourir, ni morale supérieure, ou plutôt elle est tout ceci mais de manière secondaire (car toutes les autres matières, sport compris, sont autant de sagesses et de morales), elle est avant tout principe de raison - et elle est la seule à l'être. Contrairement à ce que croient les rebelles, les puceaux et les imbéciles, on ne fait pas de philosophie pour se libérer des principes premiers de l'existence, ces fameux ARCHE (prononcé "arqué") qui marquent "ce qui commence" et "ce qui commande", on fait de la philosophie pour les trouver, pour les imposer, car c'est par eux que l'on fondera la cité et que les gens seront moins cons. La philosophie, même celle de Nietzsche, est ce qui permet de poser l'ordre du monde.

Est-ce déprimant ? Pas du tout, c'est formidable ! Jouir, ce n'est pas sentir, jouir, c'est comprendre. Alors comprenons. Partouzons dans le concept.

L'ordre du monde, selon le beau livre éponyme de Jean-François Mattéi, le plus grand métaphysicien français et que j'ai eu la chance de croiser en licence à Nice, c'est le souci philosophique par excellence, qui va de Platon à Heidegger en passant par Nietzsche et Hannah Arendt, et qui n'a rien à voir avec "le meurtre intentionnel" que voulait absolument voir en lui Roland Barthes.

Sauf que c'est lui et sa bande qui ont fini par l'emporter : contre la verticalité de l'être et les racines du ciel si chères à Platon, les modernes (tous frenchies, Deleuze, Derrida, Blanchot) ont imposé, grâce à l'époque qui ne demandait que ça, soyons honnêtes, une neutralité de l'être. En se débarrassant des arrières-mondes, ils se sont débarrassés du monde. En brouillant le ciel, la terre s'est obscurcie. Meurtre du père. Viol de la mère. Règne de l'enfant-roi. A la fois capricieux au dernier degré et culpabilisé comme aucun de ses père et mère ne l'ont été. Ne comprenant plus rien au monde sauf le pire. Hitler. Le voyant partout sauf là où il est : dans l'athéisme conséquent, le paganisme à la mode, l'instinct triomphant (et auquel toutes les pubs nous disent de se laisser aller : "écoutez-vous", "lâchez-vous", "suivez vos pulsions"), le clonage, le rationnel exclusif - persuadé qu'il est que la source du mal est toujours irrationnelle, alors que tous les totalitarismes du siècle passé ont prouvé le contraire : le mal suprême est organisé, administré, industrialisé, calculé, rationalisé. Et en revanche, incapable d'admirer la beauté du monde.

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Tel s'impose l'homme moderne, sartrien et marcusien sans le savoir, ne comprenant plus, selon le beau mot de Malraux dans Les chênes qu'on abat que "le frémissement d'une branche sur le ciel est plus important que Hitler." René Char disait aussi ce genre de choses : ce que l'on est en droit de reprocher à Hitler, c'est de nous avoir forcé à réduire notre champ de conscience, à ne plus voir que notre bien contre son mal, à nous avoir abusivement simplifié la vie. A cause du nazisme, il a fallu se faire manichéen, primaire, défensif, efficace - anti-poétique au possible. Le comble, c'est qu'après la Libération, nombre d'intellectuels et de quidams (car les connards sont autant de la Sorbonne que de la rue) se garderont bien de renouer avec la complexité de l'existence, se féliciteront même de la dualité for ever des deux camps, et se persuaderont qu'ils sont toujours en résistance, et que quiconque n'est pas d'accord avec eux est un dangereux facho. Le nazisme aura nazifié leurs vertu et nous aura donné Sartre. L'anticommuniste sera un chien, le poète un félon et la branche qui frémit dans le vent une bourgeoise.

Mais reprenons. Chêne à abattre. Etre à neutraliser. Monde à brouiller. Le credo tempestif.

Donc, neutraliser l'être - et non le nier franchement, car la négation rendrait compte "négativement" de sa présence et de sa puissance. Non, ce qu'il faut faire, c'est déjà ne pas dire non, ne pas dire oui, et s'arranger pour effacer l'être et en même temps effacer son effacement.

"Car le neutre ne nie pas ce qui est, en un simple refus qui exclut une présence au profit d'une autre présence, ce qui revient au même, entendons à l'identité ; il redouble la négation et nie... nie..., c'est-à-dire dénie la pure possibilité d'une présence (...) Le neutre brouille les cartes maîtresses de jeu du monde à l'aide d'une "opération non opérante", une opération blanche si l'on veut, (...) qui se creuse sans celle elle-même pour évacuer les derniers résidus d'identité et d'unité. (...) Dès lors, en un curieux effet de brouillage, le neutre n'est, ni plus ni moins, ni ceci ni cela, ni oui ni non, ni peut-être ni sans doute, ni chèvre ni choux, ni chair ni poisson." (p 120-121)

Raturer l'être mais sans en avoir l'air. Et ce faisant, le faire subrepticement passer du lieu à l'errance. Le glisser dans un infini-ni où il "sera" sans être. Bref, commencer à annuler l'initialité onto-théologique du principe de raison, et par conséquent, comme le dit Mattéi lui-même, mettre un terme au "destin singulier de toute pensée occidentale, laquelle de Platon à Heidegger, situe dans la Parole du Même le lieu naturel de l'être et le recueil de la vérité." (p 122). C'est le fameux "effet sophistique".

Telle que Platon l'avait composée, la symphonie de l'être se déployait selon cinq mouvements : le mouvement, le repos, le même, l'autre, l'être. Ces cinq instances étaient dans Le sophiste (le dialogue le plus important de Platon et, je crois, de toute la pensée occidentale) incarnées par cinq personnages : Théétète (mouvement), Théodore (repos), Socrate l'homonyme (même), l'Etranger (autre), Socrate (être), on pourrait dire quatre physiciens et un métaphysicien. Pourquoi ce dernier ? parce que si les quatre premiers correspondent aux quatre réalités physiques de la vie, encore faut-il leur donner la présence et le statut qui permettra de les penser, et c'est ce dernier, ce cinquième, qui donne de l'être aux quatre genres. Au mouvement, il ajoute un être du mouvement, au repos, un être du repos, au même, un être du même, à l'autre, un être de l'autre. Il est ce qui permet aux choses d'être ce qu'elles sont, d'apparaître comme ce qu'elles sont, mais sans se mélanger à elles. Il est ce qui identifie sans être "même" et ce qui distingue sans être "autre". Platon a d'ailleurs du mal à le définir précisément puisque c'est lui qui donne toutes les définitions. Aussi parlera-t-il dans son dialogue de "tiers à eux surajouté" (250b8), ou de "quelque chose d'autre qu'eux" (250c4) ou encore d' "extérieur à leur alternative" (250d3). L'être est donc cet indiscernable par lequel s'organisent les formes et se constitue la communauté des existants. L'être est puissance de communauté.

On comprend alors pourquoi il se révèle toujours comme un tiers ou un cinquième, dans les deux cas, un IMPAIR. Apparemment séduisante pour la pensée, la parité n'en est pas moins ce qui menace toujours de faire tomber dans la mise en abîme - souvent stimulante sur le plan artistique, toujours consternante sur le plan philosophique. Le miroir a beau être une fête pour l'oeil, il est la ruine de l'âme. En vérité, le pair n'est jamais rien d'autre qu'un redoublement du même, un reflet multipliable à l'infini mais qui n'est jamais qu'une répétition stérile, un clonage, un Monsieur Smith.

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Au contraire, c'est dans l'imparité que se situe le singulier, le différent et d'une certaine manière la beauté - tout le monde sait que la moitié droite du visage n'est pas exactement la même que la gauche, et que c'est dans cette dissymétrie que réside le charme d'un être. De "même", la vie n'est pas une affaire entre deux "même" ni entre deux "autres", mais bien quelque chose qui se passe entre un "même" et un "autre". C'est là le jeu sexuel - hétérosexuel de l'être.

L'impair, c'est donc ce qui empêche l'être de se confondre avec sa copie. Mais pour cela, il faut qu'il ait en lui une parcelle de non-être, une sorte de sérum de néant qui lui apprendra à reconnaître le néant et à lui résister quand il le rencontrera. Et c'est pourquoi, contre Parménide pour qui l'être était simplement ce qui est et le non-être simplement ce qui n'est pas, Platon a dû mettre du non-être dans l'être, de manière à ce que celui-ci repère celui-là sans se confondre avec lui. L'impair est ce qui permet de sortir du monisme parménidien et de distinguer enfin ce qui est de ce qui n'est pas. L'univers devient alors visible, le monde peut se mettre en ordre. Tout cela n'est pas simple - et je remercie les courageux qui viennent de lire jusqu'à là.

Précisons avec Mattéi que cet avènement de l'être s'effectue toujours comme une irruption subite, une instantanéité génératrice, on allait dire une éjaculation. Dans l'ensemble des oeuvres de Platon, Mattéi ne découvre d'ailleurs pas moins de vingt-huit occurrences de ce genre que le philosophe utilise dont, entre autres : "Soudain, d'un seul coup" (République, VIII, 553a11), "sur le champ au premier abord" (Cratyle, 396a1), "impulsion immédiate" (Lois, IX, 866e1), "mouvement soudain et forcé, rupture, arrachement" (République, VII, 515c7), "irruption, interruption" (Banquet, 212c6 et 223b2), "révélation" (Banquet, 210e4), "vision directe, regard qui met l'âme à nu" (Gorgias, 523e4), "l'instantané" (Parménide, 156c3), etc...

Bref, l'être est ce jaillissement par lequel l'homme revient à lui, sort de la caverne, accède à la connaissance, se découvre une âme et commence sa conversion à l'ontologie.

Fulgurance de la pensée, éclair de l'âme, origine de la dialectique, l'être n'en demeure pas moins "neutre" en lui-"même". Mais c'est un neutre qui n'est pas un neutralisant - et l'on commence à comprendre le glissement de sens que vont lui faire subir les modernes. Faire de l'être neutre non plus ce qui donne du sens et de la présence aux existants mais ce qui neutralise, embrouille, dissout, indifférencie. Comble d'infortune, le neutre est légion chez les sophistes français : on l'appelle dehors, désastre, inconnu, obscur, anonyme, surplus, inidentifiable, exode, désœuvrement chez Maurice Blanchot, mais aussi pharmakon, supplément, hymen, gramme, entame, espacement, différance, dissémination chez Jacques Derrida, et encore devenir flou, effet de surface, simulacre, prolifération indéfinie, occupant sans place, synthèse disjonctive, rhizome, plateau, déterritorialisation chez Gilles Deleuze.

Les modernes ou la revanche des Sith. Le langage signifie ce que l'on veut qu'il signifie, la beauté n'est plus reconnue comme telle mais comme l'affaire de chacun, le monde a cédé la place à l'univers - le plein a cédé la place au vide.

"L'homme moderne, écrit Mattéi page 161, n'a pas seulement exilé la beauté et oublié le visage d'Hélène, il a renié la terre et déserté le monde ; à l'image du dernier homme de Nietzsche, il est proprement im-monde dans son désir d'universalité vide qui oscille du "changer la vie" de Rimbaud au "changer le monde" de Marx."

Tristesse de l'immonde : la mortalité ne convient plus au mortel. L'être devient ce qui entrave l'existence. Même s'il n'en peut mais, il faut pour l'homme se révolter contre sa propre condition. Tuer Dieu le père et violer la terre-mère. L'homme moderne n'est pas même un matérialiste enchanté qui trouve refuge dans la nature nourricière. Le Christ n'a pas ressuscité, et le grand Pan est mort pour de bon. "Libéré" de son assise onto-théologique, il ne peut plus que se replier sur sa seule fonction sociale - le travail - qui n'est rien d'autre que sa structure biologique - l'instinct de survie. Au fond, Marx a gagné. La seule vie dont on a cru qu'elle était celle qui allait nous libérer du ciel et de la terre et que l'on est obligé maintenant d'accepter est la vie marxiste, la vie transindividuelle, collective, la vie de l'insecte qui ne reconnaît même plus la fleur tant il vit au ras des pâquerettes. "Nous ne sommes plus capables de comprendre, c'est-à-dire de penser et d'exprimer les choses que nous sommes cependant capables de faire."écrit Hannah Arendt dans La condition de l'homme moderne.

medium_homer_travaille.jpgVie marxiste mais non communiste, car en même temps cet insecte vit tout seul, dans son individualisme cyrénaïque, persuadé de l'innocence de ses instincts et du bien fondé de l'absence de fondement à sa vie. Fourmi à l'est, cloporte à l'ouest. Paradoxe de la modernité : nous avoir réduit au travail et faire tout pour nous libérer du travail. Arendt encore : "Nous avons devant nous la perspective d'une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire."

L'avenir de l'homme moderne se situe alors dans ce qu'elle appelle une "double retraite" ou "double fuite" : la première en direction de l'objet qui pousse l'homme à fuir la terre pour l'univers, la seconde en direction du sujet qui pousse l'homme à fuir le monde pour le moi. Et Mattéi d'expliquer :

"Le cadre du monde se disloque : la Terre-Mère est reniée au profit d'un univers étranger qui se construit sans l'homme, dans le réseau anonyme de l'écriture scientifique ; le Monde-Père est sacrifié sur l'autel d'un moi tout aussi étranger à l'homme, puisqu'il se ramène à un nœud inconscient de désirs (...) L'homme moderne n'existe plus à la mesure du monde ; il vit à la démesure de l'univers." (page 165)

Il est bien cet "être" déraciné qui a l'impression d'être heureux et donc l'est d'une certaine façon, qui ne veut surtout plus se prendre la tête dans le ciel et les pieds dans la terre, qui renonce sans complexe à la vita contemplativa qui fut des siècles le sommet de l'idéal humain, et qui enfin se laisse gaiement aller à sa longue dissolution. "Il seront heureux et ne sauront rien de leur déchéance." disait déjà Witkiewicz dans L'adieu à l'automne.

Comment nous en sortirons-nous ? Le philosophe qui s'est le plus compromis dans l'histoire et dans l'immonde sera-t-il celui qui nous fera retrouver le sens de l'histoire et l'ordre du monde ? La renaissance de l'Europe sera-t-elle heideggerienne ?

Ce qui est certain, c'est que l'auteur d' Etre et temps est le seul qui ait tenté de réhabiliter la pentade antique - l'être au centre du carré que tracent les deux couples Ciel/Terre et Divins/Mortels. En ce sens, on pourra dire d'Heidegger qu'il est notre Platon. Mais un Platon qui se serait débarrassé de la dialectique - la dialectique dont le mot d'ordre n'aura jamais été que "meurs et deviens" et qui aura passé le "temps"à l'empoisonner. Au contraire, aux yeux du "druide nazi" comme l'appelait Deleuze, il s'agit de refonder l'être à travers le seul mythe, d'atteindre par la seule pensée la naissance originelle des choses.

"La pensée ne commencera que lorsque nous aurons appris que cette chose tant magnifiée depuis des siècles, la raison, est la contradiction la plus acharnée de la pensée."écrit-il dans les Chemins qui ne mènent nulle part.

Renouer avec le matinal - tel serait notre salut.

L'Etre est donc bien sans raison (Ab-grund), ou si l'on préfère, sans raison d'être, son abîme n'est pas le néant où les choses se perdent, mais le lieu où elles viennent au monde.

"L'Anneau de l'Etre, conclut Mattéi page 202, enlace Terre et Ciel, Divins et Mortels, en un singulier quadrille autour du point d'émanation, la croisée, que Heidegger nomme "le Sacré" (das Heilige), "le Milieu" (die Mitte), ou "le Destin" (das Geschick), qui donne à l'histoire de l'être son coup d'envoi. Il obéit donc au Cinq, ce nombre périodique qui, pour les pythagoriciens et Platon, était le nombre du Tout, c'est-à-dire le chiffre du monde."

En ce sens, oui, la dame aux spasmes avait peut-être raison, la philosophie de Heidegger est celle, et peut-être la seule, qui outrepasse la philosophie puisqu'elle nous incite à passer de la raison à la pensée, du logos au muthos, de la métaphysique à une certaine forme de sacré. Homme du crépuscule et de l'éclaircie, le soupçonnable Souabe nous invite à la sérénité qui consiste, comme il le dit dans L'expérience de la penséeà "marcher vers une étoile, rien d'autre."



L'ordre du monde, Jean-François Mattéi, PUF 1989.

 

+

Un article de Jean-François Mattéi sur l'aberrant mariage gay - et qui n'est rien d'autre qu'un premier aboutissement de cette neutralisation de l'être.

Une belle conférence de Jean-François Mattéi sur l'innocence du devenir donnée en septembre 2010.

Un bouleversant discours de Jean-François Mattéi fait le 5 juillet 2012 à Perpignan, merveilleux hommage rendu aux victimes des massacres du 5 juillet 1962 à Oran et plus généralement à toutes les victimes Pieds-Noirs et Harkis de la guerre d'Algérie. 

Car JFM était aussi un grand Pied Noir.

Pour saluer Jean-François Mattéi I - L'ordre du monde

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jean-françois mattéi,l'ordre du monde,philosophie,platon,orthodoxie

 

POUR SALUER JEAN-FRANCOIS MATTEI

(9 mars 1941, Oran - 24 mars 2014, Marseille),

ce grand métaphysicien qui fut mon professeur à Nice,

et sur lequel j'avais commis ce texte le 21 mai 2005 lors de l'ouverture de mon blog.

 

 

"L'ordre est le premier besoin de l'âme"

Simone Weil.

 

jean-françois mattéi,l'ordre du monde,philosophie,platon,orthodoxieCe qu'il y a parfois d'amusant et de consternant avec ceux qui s'intéressent à la philosophie, c'est qu'ils croient rendre hommage à celle-ci en disant qu'elle n'est rien d'autre que de la poésie.

Il y a quelques semaines, alors que sur un autre forum, j'expliquais à mon ami Scythe que c'était se tromper du tout au tout sur Nietzsche que de le considérer seulement comme un poète, voici qu'une des plus nobles (é)lectric(i)e(nne)s de la toile se crut bon de (me ?) rétorquer sur son orgasmatique blog que lorsqu'un philosophe est poète, eh bien cela suffit, car le philosophe n'est grand que lorsqu'il outrepasse la philosophie et que c'est avoir un petit anus comme le mien que d'en douter, et que voilà zut crotte et mince, le poète n'est rien d'autre que celui qui outrepasse aussi la poésie et le philosophe qui poétise la philopoésie de la poésophie de la femme qui erre dans son corps et dans son âme dans la nuit du jour de l'homme et de la mort et du cri de la jouissance extatique de la forêt profonde qui monte vers le ciel en un spasme et elle avait toujours aimé ce genre d'hôtel et que c'est par le regard que passent les yeux et que cet homme l'attendait elle et pas une autre elle et que son désir tendu autour de son flux de fantasmes où la pisse des ombres qui se rejoignent avec la caca des effluves dans une étreinte lumineuse en un spasme dans ce bel hôtel où elle allait vivre ces jouissances de femmes que seules les femmes connaissent entre femmes car la femme n'est que l'homme de la féminité et le phallus, cet autre vagin, n'est que la fente verticale qui se distort en un spasme, car l'amour vrai n'est qu'une bouche ouverte de la nature en un spasme et que Dieu qui est une femme nous donne son foutre vespéral dans nos sexes éclairés en un spasme et que l'amour n'est qu'une femme en un spasme et de l'homme qui l'attend lui aussi dans le bel hôtel de la lumière de foutre de chier de cul de merde de poétique philosophale en un spasme. [Neuf ans après, je ne me souviens plus du tout qui était cette madame Spasme (note de mars 2014.)]

Las ! Non contente de ne pas être de la poésie, et même si elle peut fortement flirter avec elle, la philosophie se définit en premier et dernier lieu comme ce qui rend raison de chaque chose. La philosophie n'est ni sagesse, ni esprit critique, ni art de vivre, ni consolation à mourir, ni morale supérieure, ou plutôt elle est tout ceci mais de manière secondaire (car toutes les autres matières, sport compris, sont autant de sagesses et de morales), elle est avant tout principe de raison - et elle est la seule à l'être. Contrairement à ce que croient les rebelles, les puceaux et les imbéciles, on ne fait pas de philosophie pour se libérer des principes premiers de l'existence, ces fameux ARCHE (prononcé "arqué") qui marquent "ce qui commence" et "ce qui commande", on fait de la philosophie pour les trouver, pour les imposer, car c'est par eux que l'on fondera la cité et que les gens seront moins cons. La philosophie, même celle de Nietzsche, est ce qui permet de poser l'ordre du monde.

Est-ce déprimant ? Pas du tout, c'est formidable ! Jouir, ce n'est pas sentir, jouir, c'est comprendre. Alors comprenons. Partouzons dans le concept.

L'ordre du monde, selon le beau livre éponyme de Jean-François Mattéi, le plus grand métaphysicien français et que j'ai eu la chance de croiser en licence à Nice, c'est le souci philosophique par excellence, qui va de Platon à Heidegger en passant par Nietzsche et Hannah Arendt, et qui n'a rien à voir avec "le meurtre intentionnel" que voulait absolument voir en lui Roland Barthes.

Sauf que c'est lui et sa bande qui ont fini par l'emporter : contre la verticalité de l'être et les racines du ciel si chères à Platon, les modernes (tous frenchies, Deleuze, Derrida, Blanchot) ont imposé, grâce à l'époque qui ne demandait que ça, soyons honnêtes, une neutralité de l'être. En se débarrassant des arrières-mondes, ils se sont débarrassés du monde. En brouillant le ciel, la terre s'est obscurcie. Meurtre du père. Viol de la mère. Règne de l'enfant-roi. A la fois capricieux au dernier degré et culpabilisé comme aucun de ses père et mère ne l'ont été. Ne comprenant plus rien au monde sauf le pire. Hitler. Le voyant partout sauf là où il est : dans l'athéisme conséquent, le paganisme à la mode, l'instinct triomphant (et auquel toutes les pubs nous disent de se laisser aller : "écoutez-vous", "lâchez-vous", "suivez vos pulsions"), le clonage, le rationnel exclusif - persuadé qu'il est que la source du mal est toujours irrationnelle, alors que tous les totalitarismes du siècle passé ont prouvé le contraire : le mal suprême est organisé, administré, industrialisé, calculé, rationalisé. Et en revanche, incapable d'admirer la beauté du monde.

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Tel s'impose l'homme moderne, sartrien et marcusien sans le savoir, ne comprenant plus, selon le beau mot de Malraux dans Les chênes qu'on abat que "le frémissement d'une branche sur le ciel est plus important que Hitler." René Char disait aussi ce genre de choses : ce que l'on est en droit de reprocher à Hitler, c'est de nous avoir forcé à réduire notre champ de conscience, à ne plus voir que notre bien contre son mal, à nous avoir abusivement simplifié la vie. A cause du nazisme, il a fallu se faire manichéen, primaire, défensif, efficace - anti-poétique au possible. Le comble, c'est qu'après la Libération, nombre d'intellectuels et de quidams (car les connards sont autant de la Sorbonne que de la rue) se garderont bien de renouer avec la complexité de l'existence, se féliciteront même de la dualité for ever des deux camps, et se persuaderont qu'ils sont toujours en résistance, et que quiconque n'est pas d'accord avec eux est un dangereux facho. Le nazisme aura nazifié leurs vertu et nous aura donné Sartre. L'anticommuniste sera un chien, le poète un félon et la branche qui frémit dans le vent une bourgeoise.

Mais reprenons. Chêne à abattre. Etre à neutraliser. Monde à brouiller. Le credo tempestif.

Donc, neutraliser l'être - et non le nier franchement, car la négation rendrait compte "négativement" de sa présence et de sa puissance. Non, ce qu'il faut faire, c'est déjà ne pas dire non, ne pas dire oui, et s'arranger pour effacer l'être et en même temps effacer son effacement.

"Car le neutre ne nie pas ce qui est, en un simple refus qui exclut une présence au profit d'une autre présence, ce qui revient au même, entendons à l'identité ; il redouble la négation et nie... nie..., c'est-à-dire dénie la pure possibilité d'une présence (...) Le neutre brouille les cartes maîtresses de jeu du monde à l'aide d'une "opération non opérante", une opération blanche si l'on veut, (...) qui se creuse sans celle elle-même pour évacuer les derniers résidus d'identité et d'unité. (...) Dès lors, en un curieux effet de brouillage, le neutre n'est, ni plus ni moins, ni ceci ni cela, ni oui ni non, ni peut-être ni sans doute, ni chèvre ni choux, ni chair ni poisson." (p 120-121)

Raturer l'être mais sans en avoir l'air. Et ce faisant, le faire subrepticement passer du lieu à l'errance. Le glisser dans un infini-ni où il "sera" sans être. Bref, commencer à annuler l'initialité onto-théologique du principe de raison, et par conséquent, comme le dit Mattéi lui-même, mettre un terme au "destin singulier de toute pensée occidentale, laquelle de Platon à Heidegger, situe dans la Parole du Même le lieu naturel de l'être et le recueil de la vérité." (p 122). C'est le fameux "effet sophistique".

Telle que Platon l'avait composée, la symphonie de l'être se déployait selon cinq mouvements : le mouvement, le repos, le même, l'autre, l'être. Ces cinq instances étaient dans Le sophiste (le dialogue le plus important de Platon et, je crois, de toute la pensée occidentale) incarnées par cinq personnages : Théétète (mouvement), Théodore (repos), Socrate l'homonyme (même), l'Etranger (autre), Socrate (être), on pourrait dire quatre physiciens et un métaphysicien. Pourquoi ce dernier ? parce que si les quatre premiers correspondent aux quatre réalités physiques de la vie, encore faut-il leur donner la présence et le statut qui permettra de les penser, et c'est ce dernier, ce cinquième, qui donne de l'être aux quatre genres. Au mouvement, il ajoute un être du mouvement, au repos, un être du repos, au même, un être du même, à l'autre, un être de l'autre. Il est ce qui permet aux choses d'être ce qu'elles sont, d'apparaître comme ce qu'elles sont, mais sans se mélanger à elles. Il est ce qui identifie sans être "même" et ce qui distingue sans être "autre". Platon a d'ailleurs du mal à le définir précisément puisque c'est lui qui donne toutes les définitions. Aussi parlera-t-il dans son dialogue de "tiers à eux surajouté" (250b8), ou de "quelque chose d'autre qu'eux" (250c4) ou encore d' "extérieur à leur alternative" (250d3). L'être est donc cet indiscernable par lequel s'organisent les formes et se constitue la communauté des existants. L'être est puissance de communauté.

On comprend alors pourquoi il se révèle toujours comme un tiers ou un cinquième, dans les deux cas, un IMPAIR. Apparemment séduisante pour la pensée, la parité n'en est pas moins ce qui menace toujours de faire tomber dans la mise en abîme - souvent stimulante sur le plan artistique, toujours consternante sur le plan philosophique. Le miroir a beau être une fête pour l'oeil, il est la ruine de l'âme. En vérité, le pair n'est jamais rien d'autre qu'un redoublement du même, un reflet multipliable à l'infini mais qui n'est jamais qu'une répétition stérile, un clonage, un Monsieur Smith.

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Au contraire, c'est dans l'imparité que se situe le singulier, le différent et d'une certaine manière la beauté - tout le monde sait que la moitié droite du visage n'est pas exactement la même que la gauche, et que c'est dans cette dissymétrie que réside le charme d'un être. De "même", la vie n'est pas une affaire entre deux "même" ni entre deux "autres", mais bien quelque chose qui se passe entre un "même" et un "autre". C'est là le jeu sexuel - hétérosexuel de l'être.

L'impair, c'est donc ce qui empêche l'être de se confondre avec sa copie. Mais pour cela, il faut qu'il ait en lui une parcelle de non-être, une sorte de sérum de néant qui lui apprendra à reconnaître le néant et à lui résister quand il le rencontrera. Et c'est pourquoi, contre Parménide pour qui l'être était simplement ce qui est et le non-être simplement ce qui n'est pas, Platon a dû mettre du non-être dans l'être, de manière à ce que celui-ci repère celui-là sans se confondre avec lui. L'impair est ce qui permet de sortir du monisme parménidien et de distinguer enfin ce qui est de ce qui n'est pas. L'univers devient alors visible, le monde peut se mettre en ordre. Tout cela n'est pas simple - et je remercie les courageux qui viennent de lire jusqu'à là.

Précisons avec Mattéi que cet avènement de l'être s'effectue toujours comme une irruption subite, une instantanéité génératrice, on allait dire une éjaculation. Dans l'ensemble des oeuvres de Platon, Mattéi ne découvre d'ailleurs pas moins de vingt-huit occurrences de ce genre que le philosophe utilise dont, entre autres : "Soudain, d'un seul coup" (République, VIII, 553a11), "sur le champ au premier abord" (Cratyle, 396a1), "impulsion immédiate" (Lois, IX, 866e1), "mouvement soudain et forcé, rupture, arrachement" (République, VII, 515c7), "irruption, interruption" (Banquet, 212c6 et 223b2), "révélation" (Banquet, 210e4), "vision directe, regard qui met l'âme à nu" (Gorgias, 523e4), "l'instantané" (Parménide, 156c3), etc...

Bref, l'être est ce jaillissement par lequel l'homme revient à lui, sort de la caverne, accède à la connaissance, se découvre une âme et commence sa conversion à l'ontologie.

Fulgurance de la pensée, éclair de l'âme, origine de la dialectique, l'être n'en demeure pas moins "neutre" en lui-"même". Mais c'est un neutre qui n'est pas un neutralisant - et l'on commence à comprendre le glissement de sens que vont lui faire subir les modernes. Faire de l'être neutre non plus ce qui donne du sens et de la présence aux existants mais ce qui neutralise, embrouille, dissout, indifférencie. Comble d'infortune, le neutre est légion chez les sophistes français : on l'appelle dehors, désastre, inconnu, obscur, anonyme, surplus, inidentifiable, exode, désœuvrement chez Maurice Blanchot, mais aussi pharmakon, supplément, hymen, gramme, entame, espacement, différance, dissémination chez Jacques Derrida, et encore devenir flou, effet de surface, simulacre, prolifération indéfinie, occupant sans place, synthèse disjonctive, rhizome, plateau, déterritorialisation chez Gilles Deleuze.

Les modernes ou la revanche des Sith. Le langage signifie ce que l'on veut qu'il signifie, la beauté n'est plus reconnue comme telle mais comme l'affaire de chacun, le monde a cédé la place à l'univers - le plein a cédé la place au vide.

"L'homme moderne, écrit Mattéi page 161, n'a pas seulement exilé la beauté et oublié le visage d'Hélène, il a renié la terre et déserté le monde ; à l'image du dernier homme de Nietzsche, il est proprement im-monde dans son désir d'universalité vide qui oscille du "changer la vie" de Rimbaud au "changer le monde" de Marx."

Tristesse de l'immonde : la mortalité ne convient plus au mortel. L'être devient ce qui entrave l'existence. Même s'il n'en peut mais, il faut pour l'homme se révolter contre sa propre condition. Tuer Dieu le père et violer la terre-mère. L'homme moderne n'est pas même un matérialiste enchanté qui trouve refuge dans la nature nourricière. Le Christ n'a pas ressuscité, et le grand Pan est mort pour de bon. "Libéré" de son assise onto-théologique, il ne peut plus que se replier sur sa seule fonction sociale - le travail - qui n'est rien d'autre que sa structure biologique - l'instinct de survie. Au fond, Marx a gagné. La seule vie dont on a cru qu'elle était celle qui allait nous libérer du ciel et de la terre et que l'on est obligé maintenant d'accepter est la vie marxiste, la vie transindividuelle, collective, la vie de l'insecte qui ne reconnaît même plus la fleur tant il vit au ras des pâquerettes. "Nous ne sommes plus capables de comprendre, c'est-à-dire de penser et d'exprimer les choses que nous sommes cependant capables de faire."écrit Hannah Arendt dans La condition de l'homme moderne.

medium_homer_travaille.jpgVie marxiste mais non communiste, car en même temps cet insecte vit tout seul, dans son individualisme cyrénaïque, persuadé de l'innocence de ses instincts et du bien fondé de l'absence de fondement à sa vie. Fourmi à l'est, cloporte à l'ouest. Paradoxe de la modernité : nous avoir réduit au travail et faire tout pour nous libérer du travail. Arendt encore : "Nous avons devant nous la perspective d'une société de travailleurs sans travail, c'est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire."

L'avenir de l'homme moderne se situe alors dans ce qu'elle appelle une "double retraite" ou "double fuite" : la première en direction de l'objet qui pousse l'homme à fuir la terre pour l'univers, la seconde en direction du sujet qui pousse l'homme à fuir le monde pour le moi. Et Mattéi d'expliquer :

"Le cadre du monde se disloque : la Terre-Mère est reniée au profit d'un univers étranger qui se construit sans l'homme, dans le réseau anonyme de l'écriture scientifique ; le Monde-Père est sacrifié sur l'autel d'un moi tout aussi étranger à l'homme, puisqu'il se ramène à un nœud inconscient de désirs (...) L'homme moderne n'existe plus à la mesure du monde ; il vit à la démesure de l'univers." (page 165)

Il est bien cet "être" déraciné qui a l'impression d'être heureux et donc l'est d'une certaine façon, qui ne veut surtout plus se prendre la tête dans le ciel et les pieds dans la terre, qui renonce sans complexe à la vita contemplativa qui fut des siècles le sommet de l'idéal humain, et qui enfin se laisse gaiement aller à sa longue dissolution. "Il seront heureux et ne sauront rien de leur déchéance." disait déjà Witkiewicz dans L'adieu à l'automne.

Comment nous en sortirons-nous ? Le philosophe qui s'est le plus compromis dans l'histoire et dans l'immonde sera-t-il celui qui nous fera retrouver le sens de l'histoire et l'ordre du monde ? La renaissance de l'Europe sera-t-elle heideggerienne ?

Ce qui est certain, c'est que l'auteur d' Etre et temps est le seul qui ait tenté de réhabiliter la pentade antique - l'être au centre du carré que tracent les deux couples Ciel/Terre et Divins/Mortels. En ce sens, on pourra dire d'Heidegger qu'il est notre Platon. Mais un Platon qui se serait débarrassé de la dialectique - la dialectique dont le mot d'ordre n'aura jamais été que "meurs et deviens" et qui aura passé le "temps"à l'empoisonner. Au contraire, aux yeux du "druide nazi" comme l'appelait Deleuze, il s'agit de refonder l'être à travers le seul mythe, d'atteindre par la seule pensée la naissance originelle des choses.

"La pensée ne commencera que lorsque nous aurons appris que cette chose tant magnifiée depuis des siècles, la raison, est la contradiction la plus acharnée de la pensée."écrit-il dans les Chemins qui ne mènent nulle part.

Renouer avec le matinal - tel serait notre salut.

L'Etre est donc bien sans raison (Ab-grund), ou si l'on préfère, sans raison d'être, son abîme n'est pas le néant où les choses se perdent, mais le lieu où elles viennent au monde.

"L'Anneau de l'Etre, conclut Mattéi page 202, enlace Terre et Ciel, Divins et Mortels, en un singulier quadrille autour du point d'émanation, la croisée, que Heidegger nomme "le Sacré" (das Heilige), "le Milieu" (die Mitte), ou "le Destin" (das Geschick), qui donne à l'histoire de l'être son coup d'envoi. Il obéit donc au Cinq, ce nombre périodique qui, pour les pythagoriciens et Platon, était le nombre du Tout, c'est-à-dire le chiffre du monde."

En ce sens, oui, la dame aux spasmes avait peut-être raison, la philosophie de Heidegger est celle, et peut-être la seule, qui outrepasse la philosophie puisqu'elle nous incite à passer de la raison à la pensée, du logos au muthos, de la métaphysique à une certaine forme de sacré. Homme du crépuscule et de l'éclaircie, le soupçonnable Souabe nous invite à la sérénité qui consiste, comme il le dit dans L'expérience de la penséeà "marcher vers une étoile, rien d'autre."



L'ordre du monde, Jean-François Mattéi, PUF 1989.

 

+

Un article de Jean-François Mattéi sur l'aberrant mariage gay - et qui n'est rien d'autre qu'un premier aboutissement de cette neutralisation de l'être.

Une belle conférence de Jean-François Mattéi sur l'innocence du devenir donnée en septembre 2010.

Un bouleversant discours de Jean-François Mattéi fait le 5 juillet 2012 à Perpignan, merveilleux hommage rendu aux victimes des massacres du 5 juillet 1962 à Oran et plus généralement à toutes les victimes Pieds-Noirs et Harkis de la guerre d'Algérie. 

Car JFM était aussi un grand Pied Noir.

Pour saluer Jean-François Mattéi II - De l'indignation

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jean-françois mattéi,philosophie,boronali,modernité

 

POUR SALUER JEAN-FRANCOIS MATTEI

II

(9 mars 1941, Oran - 24 mars 2014, Marseille),

ce second texte écrit sur lui 2005.

(Note à ceux qui croient que je me suis "radicalisé" : on remarquera que je suis toujours sur la même ligne.)

 

 

 Le problème de notre monde, disait Chesterton, c’est qu’il n’a pas le cœur à la bonne place. On le dit cynique et individualiste. Il est au contraire plein de sollicitude vis-à-vis de la misère et des souffrants, mais cette sollicitude est à côté de la plaque. En vérité, nous sommes dans un monde qui a substitué les idées justes et les sentiments généreux aux idées généreuses et aux sentiments justes. Nous sommes dans un monde de plus en plus humanitaire et de moins en moins humain. Un monde chrétien, en quelque sorte, plein d’amour pour tous, mais qui ne veut plus entendre parler de croix, de péché - et par là-même de pardon. « Le monde moderne n’est pas méchant, écrivait encore l’auteur d’Orthodoxie, à certains égards il est beaucoup trop bon. Il est rempli de vertus farouches et gaspillées ». L’indignation est l’un de ces gaspillages.

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La vérité sortant d'un puits pour châtier l'humanité, par Léon Jean Gérôme

 

Némésis ou l’indignation philosophique.

Pour le philosophe, deux modes nous font accéder au monde : l’étonnement qui nous ouvre à l’être, l’indignation qui nous ouvre à l’autre.

Le premier nous fait prendre conscience que le monde était là avant nouset que la sagesse consiste à y adhérer sans réserves, le second provoque notre âme en nous obligeant à des situations qui, nous le sentons bien, n’ont pas de légitimité « mondaine » et au contraire blesse et révèle ce qu’il y a de plus intime en nous - tel le procès de Socrate par lequel tout commence. Le juste accusé d’injustice, voilà ce qui indigne Platon et qui va l’inciter à repenser l’ordre du monde. Déjà, dans le ciel, la déesse de la justice, la Némésis, veillait à ce que chacun reçoive sa portion et vengeait la cité de ceux qui la déséquilibraient. C’est cette vengeance divine qui inspirera la justice humaine. Comme toujours chez Platon, le logos en appelle au mythe pour se légitimer. Et c’est tout le problème de l’homme moderne qui n'en appelle qu'à lui-même pour se légitimer et qui risque alors l’autarcie.

L’homme de bien devra donc à la fois affirmer le monde tel qu’il est et dans le même temps intervenir dans les situations qui lui paraissent injustes parce que précisément elles auraient pu ne pas être ou mieux auraient pu être autres. Le mal, c’est ce dont le monde se serait passé. La difficulté, nous le verrons, est alors de combattre celui-ci sans pour autant en accuser celui-là. Ce n’est pas parce qu’il y a des injustices et des cruautés que le monde est injuste et cruel. Notre devoir d'homme et de prendre garde à ce que notre indignation éthique ne déborde pas sur notre béatitude ontologique. Adhérer à la vie malgré le mal, telle est la clef de la sagesse humaine. Aussi difficile que de s’aimer les uns les autres.

L’autre problème se situe dans le fait que nous autres modernes avons posé la dignité de l’homme comme ce qu’il y a de plus haut tout en niant allègrement tout ce qui définit cette hauteur. Dieu est mort, la transcendance ne signifie plus rien, les valeurs sont relatives, et la vérité est un point de vue. Pauvres de nous qui avons rendu caduque tout ce qui pouvait nous servir à légitimer la dignité humaine, qui voulons une dignité sans prix dans un monde sans valeurs, et qui remplaçons les grands principes par les pétitions de principes : l’homme est digne parce que la dignité est humaine – et réciproquement. Comme tout ce qui se fonde « de soi par soi », ce raisonnement se dissout aussitôt énoncé. Autant dire que la raison nous vient de la raison. Sans Némésis, la dignité dont nous faisons si grand cas, est désormais introuvable. Et nous-mêmes sommes perdus en nous-mêmes - c'est-à-dire dans la seule technique du soi par soi, l'ipséité triomphante et dont la schizophrénie, fille de l'ipséité, nous menace. Il est temps que la vérité nous reprenne en main.

 

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 Dado -1958 -"Massacre des Innocents"  - Huile sur toile 194 X 259 cm

 

Ivan Karamazov ou l’indignité divine.

Plus féroces que les Thénardiers mais non fictifs et bien réels, les Djounkovski. Accusés de battre leurs enfants avec un fouet pour dresser les chevaux et les faire coucher dans une bauge à cochons, ils furent quand même acquittés en juillet 1877. Comme d’ailleurs le père Kroneberg, accusé l’année précédente d’avoir sauvagement fouetté sa fillette avec neuf baguette de sorbier tout un quart d’heure et que le tribunal de Saint Petersbourg ne condamna à rien, félicitant presque ce dernier pour l’excellence de son éducation. Quant à la mère du procès de Karkov, en mars 1879, elle obligeait sa fille à manger ses propres excréments après lui en avoir barbouillé la figure. De ces trois faits divers terribles et banals (voir l’actualité récente), Dostoïevski tirera son thème obsessionnel de la souffrance des enfants qui accuse la miséricorde divine. On se rappelle la plainte d’Aliocha à son frère Ivan Karamazov :

« Vois-tu d’ici ce petit être, ne comprenant pas ce qui lui arrive, au froid dans l’obscurité, frapper de ses petits poings, sa poitrine haletante et verser d’innocentes larmes, en appelant « le bon dieu » à son secours. »

[Bien entendu, le « bon dieu » qui a laissé « libres » les hommes, n’interviendra pas. Et si la petite fille en grandissant a le malheur de le maudire, là, par contre, il interviendra, et l’enverra en enfer. Tant pis si à la souffrance temporelle des enfants s’ajoute la souffrance éternelle des damnés – qui sont souvent d’anciens enfants martyrs, Dieu n’appréciant pas du tout que l’on doute de sa miséricorde censée racheter nos souffrances.] [Le genre de connerie adolescente que j'écrivais encore à l'époque, n'ayant pas encore été châtié par la vérité et l'amour. Note de 2014.]

Toute la création vaut-elle le supplice d’une fillette ? Telle rugit la révolte d’Ivan.  Nous serions dans un monde païen qu’au moins nous pourrions haïr les dieux en paix, sans culpabiliser, car ni Zeus, ni Apollon, ni Arès n’ont jamais dit qu’ils nous aimaient et voulaient notre bien. Alors que le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, lui le répète tous les deux versets, voire à chaque désastre humain – et par là-même nous empêche de le haïr sainement, ajoutant la névrose à notre rage. Ce n’est donc pas tant la souffrance des enfants qui indigne Ivan que cette souffrance sur fonds d’amour divin.

L’ennemi, ce n’est plus le mal, c’est Dieu lui-même – autrement dit, la vie. Le problème quand on commence à s’en prendre à la vie, c’est qu’on oublie ceux à qui la vie s’en prend. La haine de Dieu finit par l’emporter sur la compassion envers la fillette. L’indignation d’Ivan n’est donc plus celle qui nous ouvre à l’autre, mais sa face obscure[1], qui nous ferme à l’être, et qui loin de nous inciter à punir les coupables et à soigner les victimes, nous ramène à faire un procès sans fin à l’auteur de la vie, sinon à la saccager à notre tour. Tu m’as fait mal, je vais donc te faire mal, et puisque Tu as laissé torturer cet enfant, je vais de ce pas en torturer un autre, dix autres pour prouver aux hommes que Tu n’es que le Salaud qui ose laisser faire tout ça. Tragédie de l’indignation métaphysique : à force de se révolter contre Dieu, on finit par devenir l’agent du Diable. Derrière Ivan Karamazov qui pleure la souffrance des enfants perce Stavroguine, le violeur d’enfants qui ne s’indigne plus de rien.

Le frère est devenu un démon. L'indignité du mal est devenue l'indignité de Dieu. Je l'ai longtemps pensé. En ce sens, j'étais retombé en idolâtrie - car le dieu indigne, le dieu méchant et par dessus tout le dieu père fouettard est la plus persistante des idoles. J'en suis sorti, enfin, je crois. [note de 2014]

 

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Staline, "napoléonien", en visite au goulag. Avec Iejov, vers 1937.

 

Le communisme ou l'indignité historique [2].


Donc, c’est lorsque l’indignation devient générale, métaphysique, transhistorique, dialectique qu’elle devient, comme une certaine pitié, dangereuse. Pour qu’elle soit efficace, l’indignation se doit d’être singulière. S’indigner de la misère du monde n’a jamais servi le monde – et au contraire a peut-être accentué sa misère. C’est un ou plusieurs cas particuliers d’injustice qui avaient ému Voltaire et Zola et les avaient incités à prendre la plume au nom de la vérité. Il s’agissait de réhabiliter ou de défendre des individus ayant réellement souffert l’iniquité : Calas et le chevalier de La Barre pour l'auteur de Candide, Dreyfus pour celui des Rougon-Macquart

Au contraire, c’est l’ensemble des conditions d’existence de l’humanité qui indigne et met en branle le jeune Marx. L’ennemi, ce n’est plus Dieu qui du reste n’existe pas, mais l’histoire qui depuis ses débuts enferme l’humanité dans une lutte des classes sans fin. Il faut donc libérer l’humanité de l’histoire. Le problème, c’est que c’est l’humanité qui fait l’histoire, autrement dit qui est responsable de sa propre aliénation – et nous pouvons le dire, de sa propre indignité.

Dans le marxisme, l’histoire est à la fois le plaignant, l’accusé, le tribunal, et à la fin le bourreau. Comment dès lors penser (et libérer) l’humanité hors des modes de productions économiques qui l’ont aliénée ? Comment, surtout, penser « le nouvel homme » ? Très difficile de le faire, sinon impossible puisqu’il n’y a évidemment pas dans le marxisme, immanence matérialiste oblige, de « modèle éternel de l’homme » - l’homme marxiste n’étant alors ni individu, ni citoyen, mais bien ce « transindividuel » improbable, ce « collectif » malgré lui, ou comme le dit Mattéi, ce « générique ».

Comment penser l'homme, donc ? Eh bien, c’est très simple, en en changeant. Puisque l’homme actuel ne convient pas à l’idéal, il faut inventer un nouvel homme. Et se débarrasser de l’ancien.

Et Jean-François Mattéi de se lancer dans une courageuse comparaison entre nazisme et communisme qui n’indignera que ceux (à vrai dire, presque tout le monde) qui pensent encore que le communisme était « une belle idée », et que s’il convient de condamner ses effets nocifs, il faut au moins sauver « ses intentions ». En gros : non à Staline, mais oui à Lénine, et amen à Marx. Voilà ce que pensent encore un bon nombre d'intellectuels de gauche. Faites le test autour de vous, vous verrez...

Or, de la race à la classe, du naturalisme dégénéré à l'historicisme aberrant, de l’obsession génétique sélective à l’obsession socialiste égalitaire, nazisme et communisme s’imposent comme deux pathologies du national et de l’universel, toutes deux athées et matérialistes, et qui, pour le philosophe orthodoxe, ne sont rien d’autre que deux pathologies du concept. La barbarie, c’est en effet l’homme réduit à un seul concept. Celui que l'on a pensé dès le XVIII ème siècle.

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J'en connais qui l'avaient en poster dans leur chambre à 16 ans. Sinon, il paraît que les gauchistes n'aiment pas cette reproduction.

 

« Le système du concept, tel qu’il a été préparé par les Lumières, révèle son vrai visage dès qu’il a atteint les limites ultimes de son pouvoir absolu : le système des camps. »

Du concept unique de l'homme égalitaire au camp, en passant par la terreur, il n'y a qu'un pas.

« Quand la Nature et l’Histoire viennent occuper un ciel vide de dieux, l’abstraction du Singulier et de l’Universel érigée en instance absolue par la conscience produit nécessairement l’opération négative de la Terreur absolue. »

Encore aujourd’hui, cette indignité du communisme ne passe pas dans les esprits. S'il y a une reductio ad Hitlerum, il n'y a pas, et sans doute il n'y aura jamais de reductio ad Stalinum. « Ce n’est pas la même chose, répète-t-on à satiété, le nazisme, c’est le mal au service du mal, alors que le communisme, c’est le mal au service du bien ; vous pouvez condamner le goulag ou le laogaï, vous ne pouvez condamnez l’idéal égalitariste. »  A cela, il faut répondre de quelle nature est cette égalité dont on parle. Est-ce une égalité en droit qui est du reste appliquée dans les démocraties et qui nous vient du christianisme ? Ou est-ce une égalité plus générale qui concernerait tous les désirs, toutes les singularités de l’être humain et qui conduirait à l’univocité ? Ce que veulent profondément les communistes, ce n’est pas que tous les hommes soient égaux, c’est qu’il n’y ait plus qu’un seul homme qui n’ait plus qu’un seul désir, qu’une seule fonction, qu’une seule identité, qu’une seule matricule.

Comme Hitler a  rêvé d’un « homme inégalitaire » (l’aryen), Lénine, Staline, Mao et Castro ont rêvé d’un « homme égalitaire » et ce faisant ont trompé égalitairement des millions d’hommes, en en tuant une majeure partie. Au moins le nazisme ne mentait pas. Le communisme, c’est quatre-vingt millions de morts plus le triple en esprits. Mais on a beau le répéter sur tous les tons, la vérité criminogène du communisme ne passe pas et à cause de ce

« sophisme totalitaire [qui] consiste  à changer sans cesse de plan de référence lorsque l'on envisage l'articulation de l'idée communiste, dans sa légitimité théorique, avec l'effectuation de la réalité socialiste, dans ses applications pratiques. » 

On ne sauve pas le nazisme, on a toujours tendance à sauver le communisme.

- Alors vous niez que le nazisme soit le mal à l’état pur ?

- Jamais de la vie ! Mais je rajoute que le communisme est le mal à l’état impur, et qu’il est indigne de ne s’indigner que du premier.

- Mais on s'indigne du stalinisme, voyons !

- Ah bon, vous vous indignez du communisme ?

- Du stalinisme, oui.

- Mais du communisme, de l'idéal communiste ?

- Ah non, ce n'est pas la même chose.

- Ah bon, vous ne croyez pas que le goulag est au Manifeste du Parti communiste ce que la chambre à gaz est à Mein Kampf ?

- Alors, ça, certainement pas !

- CQFD.

 

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Le vieux gavant qui va nous sortir son poème d'Apollinaire

 

Attak ou l’indignité du temps.

« Ce sont les intermittences du cœur qui donnent son prix à l’intermittence des indignations. On ne saurait vivre dans une révolte permanente qui, refusant systématiquement tout ce qui advient, mettrait finalement le temps lui-même au banc des accusés »,écrit Mattéi, page 161.

Et les révolutionnaires de Juillet 1830, rappelle le philosophe niçois citant Walter Benjamin, de tirer sur plusieurs horloges des tours de Paris. Après Dieu et l’Histoire, c’est au tour du Temps d’être déclaré coupable par les professionnels de l’indignation. Le Temps qui nous use, nous fait souffrir, nous oublie et ose continuer sans nous. Une fois de plus, l’on s’indigne non pas d’une injustice particulière mais bien de l’ordre des choses.

Ainsi des altermondialistes qui, de par leur autodésignation, annoncent la couleur : c’est le monde qui est coupable. Se réclamant à tort de l’économiste libéral Tobin qui, s’il fut bien l’inspirateur de la fameuse taxe, n’a jamais voulu remettre en question le libre-échange et la mondialisation, voilà nos nouveaux émeutiers prêts à changer un monde qui fait le bonheur de ceux qui y sont et l’espoir de ceux qui n’y sont pas encore.

« Les altermondialistes occultent en effet le fait essentiel que la mondialisation n’est rien d’autre que la face économique de la socialisation (…) ce qui revient à dire que la généralisation du mode économique dominant, le système libéral, n’est actualisable que sous l’effet de la généralisation du mode existentiel dominant, le système social. »

Qu’importe qu’on leur fasse remarquer mille et mille fois que c’est le socialisme qui a échoué partout et que c’est le libéralisme qui est vraiment social, contrairement à Descartes, ils refuseront toujours de changer l’ordre de leurs désirs plutôt que l’ordre du monde. Et puisque le monde n’est pas d’accord avec eux, il faut le forcer – le saigner. De Robespierre à Che Guevara, on reconnaît un révolutionnaire à ce que l’assassinat fait partie de son plan. « Par pitié, par amour pour l’humanité, soyez inhumains » hurlaient les Communards.

C’est dans ce passage furtif du particulier au général, de la souffrance personnelle en malheur collectif, de la culpabilité individuelle à la culpabilité nationale, que l’indignation devient idéologique. De grands penseurs sont tombés dans le panneau. Ainsi Jankélévitch pour qui le mal ne fut pas tant le nazisme en soi que l’Allemagne en général, et pas simplement celle des années trente, mais celle de toute son histoire, de toute sa culture - qui commence avec les gravures de Dürer, continue avec Bach, Beethoven, Schubert et se termine avec Hitler. Et de fait, Jankélévitch n’écoutera plus jamais de sa vie une note de ces compositeurs, se persuadant que chacune d’entre elles contenait en germe toutes les exactions du Troisième Reich. La perversité de ce raisonnement (et même si l’on peut psychologiquement comprendre Jankélévitch), c’est qu’il tend, à un certain moment, à rendre coupable tout le monde sauf les coupables. Toute l’Allemagne était nazie, sauf les nazis.

Plutôt que Jankélévitch, c’est Primo Lévi qu’il faut suivre quand il dit que lui a « toujours refusé de formuler un jugement global sur l’homme. Même sur les nazis. Pour moi, le seul procès qu’on puisse instruire, et avec toutes les précautions d’usage, c’est celui des individus. » Confondre le mal avec le monde, voilà l’immonde. Faire de l’indignation une promotion de sa bonne conscience, voilà ce qu’il nous faut éviter. Tant de gens qui se planquent derrière leurs indignations complaisantes ou qui prennent leur ressentiment pour de l'indignation. Car en effet, le premier indigné, c'est le dernier homme. 

 

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Boronali ou l’indignité du sens.

On connaît l’anecdote : en 1875, dans le célèbre cabaret montmartrois du Lapin agile, quatre joyeux lurons font peindre un tableau à l’âne Lolo en lui attachant un pinceau à la queue qu’il trempe dans différents pots de couleurs et qu’il agite sur une toile vierge. L’œuvre, intitulée « Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique » et signée Boronali (que l’on présente comme un peintre futuriste, né à Gènes et figure de proue d’une nouvelle tendance artistique : « l’excessivisme »), est exposée au Salon des Indépendants sans que personne ne s’en émeuve. Elle passe même inaperçue lors du vernissage. Les quatre farceurs ne tardent pas à prévenir la presse de leur canular qui évidemment s’en empare, crée son scandale bon enfant et permet au Salon de gagner en bénéfice ce qu’il perd en compétence – et illustrant ce que sera bientôt le phénomène de l’art contemporain.  

En effet, le plus drôle dans cette histoire est que ce qui est passé à l’époque pour une grosse farce de potaches passerait aujourd’hui pour une « performance » d’un artiste underground - et l’on parlerait de « donkey art » comme on parle d’ « elephant art», cette nouvelle école picturale très sérieuse développée en Thaïlande et qui a permis l’établissement d’un musée éléphantesque, le fameux « Maesa Elephant Camp » dans lequel on peut admirer, entre autres, les énormes chefs-d’œuvres des pachydermes Khongkan et Wanpen, les deux artistes les plus côtés du marché.

D’un autre âge les définitions de l’œuvre d’art comme « promesse de bonheur » à la Stendhal ou comme mode d’expression de la vérité à la Heidegger (encore qu’il y aura toujours de bonnes gens qui pourront soutenir que ces peintures d’éléphants leur procurent du bonheur et expriment « à leur façon » la vérité !). Qu’allons-nous nous emmerder avec nos visions élitistes (je veux dire « classiques ») qui ne parlent plus à personne ? De nos jours, la vérité s’est multipliée, l’erreur s’est unifiée, le monde s’est émietté, les dieux sont morts, et les hommes ne croient plus qu'en eux. L’art qui était chargé jusque là de rendre la splendeur de l’être et d’édifier l’humanité est devenu le lieu du nihilisme le plus déchaîné. Le goût est au dégoûtant, à l’abject, l’excrémentiel. Et il ne s’agit pas tant de peindre la merde (qui après tout peut-être un sujet comme un autre), mais de présenter pour de bon des étrons tous frais dans une exposition - avant de les vendre en boîte très chers comme Piero Manzoni et sa succulente série de « Merda d’artista ».

L’essentiel est d’outrepasser la seule règle qui puisse décider qu’un objet soit artistique ou non (et qui n’a rien à voir avec ce qui est décent ou supportable), à savoir que la nature ne se représente pas par la nature. Un cadavre de Goya n’a en effet rien à voir avec un cadavre sorti de la morgue. Un homme qui vomit dans le lavabo peut être un sujet sublime pour un peintre génial (Bacon) mais un homme qui s’expose en train de vomir tous les jours à quatorze heures quinze dans telle ou telle biennale prouve surtout qu’il a des intestins solides. Lorsque la manifestation artistique se confond avec sa matière physique, sans la moindre distance ou le moindre effort de déréalisation, ou plus simplement lorsque la représentation laisse la place à la présentation, nous ne sommes plus dans l’art mais dans la barbarie – la barbarie du littéral, comme disait Adorno. "Shoot", comme aurait dit Chris Burden en 1971.

L’ennemi de l’art, aujourd’hui, ce ne sont donc plus les clercs ou les censeurs, mais les artistes eux-mêmes. « L’effondrement de l’art, note Mattéi, tient moins à l’utilisation mercantile des œuvres (…) qu’à la destruction volontaire de l’œuvre par ceux qui ont pour charge de la créer. » Le sens, c’est ce qu’il faut annihiler à tous prix – en se faisant de la tune tout de même. Et comme faire des horreurs peut encore avoir un sens « négatif », il faut renoncer absolument à tout impact sensible de l’œuvre. Revoilà le concept ! L’important, ce n’est plus l’œuvre, c’est le chemin qui y mène.« L’art contemporain devient insurrectionnel en mettant en scène sa propre représentation. » L’acte de peindre devient le seul sujet de la peinture. Cette manie déborde largement les milieux de la peinture et tend à devenir le credo de toute la critique littéraire, cinématographique, etc. Combien de fois entendons-nous ou lisons-nous sous la plume d’un critique que ce film est avant tout un « grand film sur le cinéma » ou que ce livre est surtout « un grand livre sur la littérature »   ? En vérité, un artiste qui ne parle que d’art prouve surtout qu’il est bien incapable d’affronter le monde, tel Joseph Beuys, concepteur de la « sculpture sociale » qui veut que chacun soit son artiste, et qui, entre autres élucubrations, fit un jour une conférence sur l’art devant une salle vide, « performance » organisée et voulue comme telle.

 

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Aux bons amis

 

Indignité du ressentiment.

Des artistes qui cherchent et ne trouvent rien (au contraire de Picasso qui déclarait superbement « je ne cherche pas, je trouve »), des révolutionnaires qui s’en prennent au monde plutôt qu’au mal, des idéologues à qui l’humanité ne convient pas car elle déborde le cadre de leur « idéal », des nihilistes qui rejettent Dieu à cause de la souffrance des enfants mais qui ne font rien pour ces enfants, des juges qui ne veulent juger que d’eux-mêmes et qui mettent à mort la transcendance (qui seule permet le jugement), telles sont les figures de l’homme de la fausse indignation - soit l’homme du ressentiment. Faire semblant de souffrir pour les autres, se réjouir secrètement de tous les maux qui permettent d’accuser la vie, glorifier sa propre (in)suffisance, voilà donc comment fonctionne celui qui, avant toutes choses, ne supporte pas que l’on se défende réellement contre ce qui nous menace. Car l’homme du ressentiment ne veut surtout pas que quelque chose s’arrange et puisse discréditer son indignation – comme ces humanitaires qui seraient bien malheureux si le monde ne l’était plus.

L’homme du ressentiment a besoin du mal pour se sentir utile - tel Tobias Mindernickel, ce personnage d’une nouvelle de Thomas Mann, qui n’est heureux que lorsqu’il console son chien, et qui, pour ce faire, le bat, le fait gémir, le console, le rebat, le refait gémir, le reconsole, et à la fin, le tue. 

 

De l’indignation, Jean-François Mattéi, La Table Ronde, collection Contretemps, 288 pages, 20 euros.

 

 

(Cet article est paru une toute première fois dans Le journal de la culture, n°15, de juillet-août 2005)




[1]C’est sciemment que nous utilisons la célèbre formule de Star Wars. La mauvaise indignation qui conduit du bien au mal est évidemment celle qui va persuader Anakin Skywalker de devenir Dark Vador – et nous ne craignons pas d’affirmer que le succès planétaire de la saga de Georges Lucas s’explique aussi par l’usage qu’il a fait de cette idée simple et universelle. Tout le monde a un jour douté du bien fondé de l’existence et s’est demandé s’il ne fallait pas plutôt se faire Sith que Jedi.

[2]Certes Mattéi intitule son chapitre « Alfred Dreyfus ou l’indignation politique » mais il passe rapidement de la bonne indignation dreyfusarde à la mauvaise indignation marxo-léniniste, celle qui au nom de l’humanité la met en péril..

[3]Et l’injustice particulière tend à ne plus retenir l’attention. Rappelons-nous de Sénécal dans L’éducation sentimentale de Flaubert, le socialiste révolutionnaire qui passe son temps à discourir de libération ouvrière tout en se conduisant avec ses employés comme aucun « patron » n’oserait le faire – et qui d’ailleurs n’en a pas honte, expliquant que c’est la masse et non l’individu qui compte. Plus on croit aimer l’humanité, moins on aime son prochain.

[4]Loin de nous l’idée de nier la valeur de ces grandes œuvres réflexives que sont Les Ménines de Velázquez ou L’atelier du peintre de Vermeer, la Recherche de Proust, ou le 8 ½ de Fellini et qui n’ont rien à voir avec la tendance tautologique à tout va de la critique contemporaine.

 

ADDENDUM DU 02/04/14 : Notes sur la conférence de JF Mattéià propos de "l'innocence du devenir"


[Les crochets sont de moi.]

La philosophie arrive après la musique.
Pythagore a inventé le mot philosophe et la gamme naturelle (do ré mi fa sol la si.)
Le devenir est une machine à supprimer le temps - et peut-être à supprimer l'homme.
Le devenir, ce n'est pas le temps.
Le futur, notion compacte.
Il y a des peuples qui n'ont pas d'histoire. Ou pas encore.
L'être humain ne s'aperçoit pas qu'il devient autre chose - l'enfant ne s'aperçoit pas qu'il devient un adulte. [Pas sûr].
Le devenir est une notion humaine, existentielle. Le devenir comme tension vers l'avenir.
Le devenir accusé - d'où le besoin d'innocenter le devenir. Il est accusé parce que le devenir est un changement, et le changement est toujours un risque, celui de perdre les acquis, ou de mourir.
L'être se tient en main. Est là. Alors que le devenir devient toujours autre chose ou fait que tout devienne autre chose. L'être est rassurant, il possède identité et plénitude. "Qu'est-ce qui va m'arriver si je change ? si je deviens quelque chose que je ne veux pas ?" Devenir malade = tomber malade (occurrence judéo-chrétienne, tomber, chuter.) Le devenir implique la fin des choses, le néant. L'être va-t-il devenir néant ? Le néant va-t-il aspirer l'être ?
Le devenir comme fin de l'être, de l'homme, de l'univers ?
Benjamin Button. Mythe de Platon dans le Politique, mythe de Chronos, du temps qui s'inverse.
Pourtant, le devenir est innocent comme un enfant qui joue (Héraklite).
L'aïon : l'espace de l'existence dans lequel l'homme se trouve, l'intervalle dans lequel je suis entre ma naissance et ma mort.
Mais si le devenir est innocent, quid du mal ? Que faire des ratés du devenir ?
Même en physique, il y a d'abord du statique avant qu'il y ait du dynamique.
Le principe d'identité est encore plus vrai en physique (et en mathématique : tout triangle, etc) qu'en philosophie. Au début, il y a toujours socle, quelque chose qui résiste, qui stabilise. Héraklite et Nietzsche refuseront ce socle.
Le bonobo ! (24'35").
L'être humain cherche la responsabilité du mal dans le monde. C'est pourquoi les media insistent sur le négatif. Les journaux informent du négatif - parce que le négatif est l'information. L'information est toujours celle du négatif. On n'annonce pas que les trains arrivent à l'heure mais que les trains déraillent. Celui qui ne voit pas le négatif nous irrite parce qu'il nous empêche de nous plaindre (de jouir !) mais aussi parce qu'il nie allègrement l'accident, le négatif, le mal. [C'est un niais agressif qui insiste atrocement sur le bien : - Ces parents viennent de perdre leur enfant. - Oui, mais il leur en reste combien ? - Trois. - Eh bien, pourquoi être en deuil ? Sur quatre, ils n'ont en perdu qu'un, ils devraient se réjouir. En bonne logique, rien de fâcheux ne leur est arrivé.]
Le bon sauvage - Diderot, et non Rousseau.
Qu'est-ce qui se passe quand l'être humain croit à l'innocence du devenir ?
Il n'y a plus de Dieu, de juge, d'instance transcendantale (Deleuze). Il n'y a que du jeu et du hasard. Mais quid du mal ?
L'avenir, pour le christianisme, c'est le salut.
Sans salut ou consort, le devenir ne devient que du devenir. Du devenir de devenir. Soit du néant. [Ou de la technique : de la volonté de puissance qui tourne en rond, capitalisme, technologie, genre, etc.]
Sans finalité, il n'y a plus d'injustice. Sans finalité, l'inégalité entre les hommes et les femmes n'est plus injuste. [Les féministes ont besoin de Dieu ou d'une instance morale autoritaire - soit d'une loi, et la loi, c'est le père - pour légitimer leur combat !] Le seul devenir innocent se fout de la justice et de la morale. L'innocence du devenir annule le jugement. Mais si l'on ne peut juger, alors le mal n'en est plus.
Si le devenir est totalement innocent, le nazisme est un jeu comme un autre.
Chez Nietzsche, le devenir revient toujours. Tout tourne. Tout revient, tout devient. Sans Dieu.... ni matière ! Il n'y a plus de réel. [Quid du sens de la terre ?] Il n'y a plus de formes, plus de métamorphoses mais que des métaphores. Si tout est innocent, alors le nazisme n'est qu'une métaphore.
Solution camusienne : on fait comme si. L'existence n'a aucun sens, mais on accepte. Il faut admettre Sisyphe heureux.
Et si on n'est pas heureux, si on se révolte, on se tue.
L'innocence du devenir, c'est le suicide.


Vingt Walsh

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raoul walsh,james cagney,l'enfer est à lui,errol flynn,aventures en birmanie

Le cinéma macmahonien, c'était cette conception hautaine, radicale, littéraire, "dandy" si l'on aime, "snob" si l'on n'aime pas, de l'esthétique cinématographique où l'on se donnait le droit de lire les films à travers Nietzsche, Péguy, Valéry, Gobineau, où se faire traiter de "fasciste"était une marque de coquetterie, surtout quand on s'appelait François d'Orcival ou Alain de Benoist que Michel Marmin rencontra à l'époque grâce à son premier livre sur Wash, paru chez Seghers en 1970, et qui devinrent des amis fidèles - et cela même si l'on adulait Losey, cinéaste de gauche s'il en est, autant que Walsh, Preminger et Lang (le fameux "carré d'as"). Contre la critique intello des Cahiers du cinéma n'ayant de goût que pour les grands européens prise de tête, Présence du cinéma ne jurait que par le cinéma américain, celui qui célèbre"les noces tumultueuses entre l'homme et le monde", les valeurs primitives dont dépend la survie éternelle, l'Amérique mythique enfin, et dont Marmin dit qu'elle représentait pour lui, quand il était jeune et innocent,"le bouclier de l'Occident" tandis qu'Israël en était "l'épée" (et notamment grâce à "ce formidable film de désinformation historique" que fut l'Exodus de Preminger). Plus qu'en la politique des auteurs, on croyait au grand style et à la civilisation - et on allait jusqu'à dire, par exemple à propos des films de Henry King, que ceux-là étaient de grands films parce qu'ils étaient d'abord des films américains avant d'être des films de Henry King. Le grand auteur était celui qui s'effaçait derrière son oeuvre même si son oeuvre glorifiait l'individualisme. Si Ford faisait dans l'utopie civique et humaniste, d'ailleurs sublime, bouleversante et toute aussi "américaine", Walsh ferait dans l'épopée surhumaine, où l'individu ne suit qu'une éthique souveraine et franche, la sienne - avec une possibilité de rachat social à la fin (La rivière d'argent) ou de châtiment exemplaire (Barbe-Noire). Pour ces hussards de la cinéphilie, le cinéma était, selon le mot de Michel Mourlet (attribué faussement à André Bazin par Godard dans Le Mépris) : "un regard qui se substitue au nôtre pour nous donner un monde accordé à nos désirs" - nos désirs traditionnels bien entendu, ceux qui ont constitué l'essence de l'humanité et qui ont relié les hommes et les femmes les uns aux autres depuis le début. "Quand j'approchais empiriquement, résigné, quelques lois universelles, seule ma mère importait, va jusqu'à dire Marmin (comme le personnage de Cagney dans L'enfer est à lui, tiens !). Je crois, en effet, que les hommes ne pourront se sauver et vivre ensemble que s'ils cherchent et ressaisissent le fil qui les relie, les uns et les autres, aux sources de leur génie et de leur singularité, rejetant les squelettes proposés par les professeurs et s'arrachant à la glu montante de la société moderne".
Implacables macmahoniens.

 

 

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(Cliquer sur les images pour voir la bande-annonce ou un extrait du film.)

 

Barbe-Noire le pirate (Blackbeard the Pirate), Raoul Walsh, 1952 - Hé, hé ! Ho, ho ! Hu, hu ! Au bout de son douzième ricanement, il comment à nous les brouter menu, ce pirate, incarné par Robert Newton. Le truculent Barbe-Noire. Le débordant Barbe-Noire. L'ébouriffant Barbe-Noire. L'exaspérant Barbe-Noire surtout, le super gonflant Barbe-Noire, tellement matamore et grotesque que l'on est content qu'il finisse enterré vivant, sa seule tête dépassant hors du sable et attendant que la marée le submerge. Hors cette scène d'anthologie, force est de constater qu'il commence moins bien que mon cycle Ford, ce cycle Walsh. De ce dernier, je me rappelle de films vus dans mon adolescence (à la Dernière Séance et autre Cinéma de Minuit) et qui m'avaient tous plus ou moins déçus. Mal foutus, incohérents, souvent répétitifs sur le plan dramatique (Les aventures de Capitaine Wiatt, putain ! Pascal Zamor, tu es amateur, je crois ?), ultra-vides sur le plan psycho-métaphysique et par dessus-tout laissant toujours à désirer sur le plan de l'action pure. Vous savez, ce genre de film où ça s'agite beaucoup sans que cela satisfasse vraiment : faux raccords à la con, gens qui font semblant de se battre, coups d'épée ou de poing qui n'en sont pas, regard dans le vide des personnages mais qui se veut très "concerné" (mais bordel, on peut voir un instant ce qu'ils voient de si terrible ??!), découpage arbitraire (et pourquoi le gars qu'est mort il n'est pas mort ?). En même temps, une énergie bouillonne qui ne va pas sans charme. Un cinéma foutraque, féroce et bon enfant.
Dans ce Barbe-Noire réalisé en 1952, on retient le premier plan du film, le vaisseau presque fantôme qui entre au port dans la nuit bleutée, la séquence d'abordage finale pas si mal (mais statique et qui sent sa maquette, Pascaaaal....), la mort du gros con. Mais alors pour ce qui est de la romance entre le beau et la belle. On s'en fout, me direz-vous.

Non, ce qui m'intéresse vraiment là-dedans, c'est la mémoire imaginaire que ce genre de film produit.... même si on ne les a pas vus. Au fond, je n'ai dû voir dans ma vie que deux films de pirates (celui-ci hier soir, et peut-être un autre dans le temps et que j'ai oublié jusqu'au titre - la seule chose dont je me souviens, c'était d'une flibustière qui fouettait un type qui plus tard devenait son amant, et certainement pour la raison dite) - et pourtant ce Barbe-Noire jamais vu correspondait exactement au film de pirates tel que je me l'imaginais. ll y a donc un bien un impact "culturel" dans l'inconscient fait à partir d'images qu'on n'a pas concrètement vues mais dont on sait qu'elles existent. En gros, il suffit d'avoir vu ou même entendu parler une fois dans sa vie d'une affiche d'un film de pirate pour savoir "en droit", c'est-à-dire "en imagination" (et le droit, c'est le domaine de l'imagination, disait Giraudoux), ce qu'est globalement un film de pirates. Il s'agit de savoir que ce genre existe pour le voir idéellement. Comme un film porno ou une nativité. 

 

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La femme en cage (Hitting a New High), Raoul Walsh, 1937 - La Femme en cage (Hitting a New High), réalisé en 1937, par Raoul Walsh, à qui je vais quand même donner une chance, est assez déjanté, très drôle par moment (la scène du lion dans l'appartement qui vaut celle de Chaplin dans Le Cirque), véritablement respectueux du genre opéra (les vocalises, quoique très belles, durent des plombes !! ce qui dans le Hollywood des années 30 n'est pas le plus évident) et donne l'impression que Walsh serait un cinéaste du loufoque et du brindezingue autant que de la grande aventure. Pour devenir soprano à l'opéra, une chanteuse de cabaret (Lily Pons, diva de l'époque et qui chanta la Marseillaise à l'opéra Garnier le jour de la libération de Paris) se fait passer auprès d'un impresario un peu idiot (Edward Everett Norton), et grâce à la complicité du secrétaire de celui-ci (Jack Oakie, le Benito Napoleoni du Dictateur de Chaplin), pour une "femme-oiseau" perdue en Afrique. Les deux compères partent alors en Afrique dans le but de la "capturer" et de la ramener à New York où elle fera sensation. Des quiproquo assez lourdingues se suivent mais l'extravagance du truc finit par l'emporter et on se dit qu'il y a là quelque chose qui nous avait quand même déjà plu dans Barbe-Noire : une certaine folie, ici douce, mais qui ne demande qu'à déborder.

 

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Aventures en Birmanie (Objective, Burma !), Raoul Walsh, 1945 - D'autres que moi l'ont dit mais c'est vrai que ce film contient Apocalypse Now, Il faut sauver le soldat Ryan, La Ligne rouge et même Fear and desire qui en semble une mauvaise paraphrase (la patrouille perdue, le labyrinthe, le type qui devient fou, etc.) Aucun film de guerre qui, au fond, ne s'y retrouve et qui fait qu'on risque de ne pas en voir l'extraordinaire nouveauté (1945) la première fois qu'on le découvre. Peu importe qu'il soit ultra pro-américain et qu'il traite les "japs" comme on traitait encore les indiens à cette époque-là, soient comme des ennemis méchants (mais pas bêtes) à abattre. Après tout, la guerre n'était pas finie et la propagande est un nerf artistique comme un autre (la preuve, Henry V de Shakespeare qui était tout aussi univoquement patriotico-héroïque). Même pour un con d'antimilitariste, impossible de résister à cette incroyable mise en scène à la fois nerveuse et méticuleuse, qui rend les scènes de guerre aussi intenses que lisibles, qui sait passer sans faillir de la nature oppressante (les plans de ciel à la Ford sont rarissimes) aux visages oppressés (et celui d'Errol Flynn en premier lieu, acteur bien plus concerné que je ne pensais et que je redécouvre), qui se fout d'être chiadée du moment qu'elle va de l'avant, montre tout ce qu'elle doit montrer, emporte l'adhésion à chaque plan (ma scène préférée : les soldats qui se préparent à sauter en parachute dans l'avion et qui n'en mènent pas large), bref, fait son boulot. De la pure image mouvement - et mon premier véritable Walsh. Quel dommage que Deleuze ne le cite pas une seule fois dans ses deux ouvrages ! 

 

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L'enfer est à lui (White Heat), Raoul Walsh, 1940 -  "Cody Jarret" - avant Scarface et Joe Pesci, avant même Liberty Valance, voici le plus infréquentable des malfrats, le plus terrifiants des caïds, le kador des gangsters, pur démon sorti de l'enfer, à l'énergie ravageuse, imprévisible, sauvage, et pourtant inféodé à sa maman (incarnée par l'étonnante Margaret Wycherly qui vient du muet) qui ne cesse de lui dire sans doute depuis qu'il est nourrisson : "toujours plus haut, mon fils, toujours plus haut !" et qui fait que même dans les flammes qui finiront pas le prendre, il rira de joie, hurlant : "j'y suis, maman, toujours plus haut. J'y suis !". La relation incestueuse que les hors-la-loi ont avec leur mère ou leur soeur (Scarface). La folie meurtrière comme infantilisme réalisé. L'innocence monstrueuse de la pure énergie qui s'affirme dans le monde comme le spermatozoïde victorieux qui massacre tout sur son passage, encouragé par l'ovule. A Steven Spielberg qui lui disait que Jack Nicholson en faisait peut-être un peu trop dans Shining, Stanley Kubrick lui demandait : "mais dis-moi, Steve, quels sont tes acteurs préférés du vieil Hollywood ?" Ce dernier de les citer presque tous. Et Stanley, chafouin : "dans toute ta liste, tu n'as pas cité.... James Cagney."
Archi-chef-d'oeuvre à part ça.
 

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Les implacables (The Tall Men), Raoul Walsh, 1955 - Raoul Walsh aime la respiration des femmes. Dans L'enfer est à lui, le premier plan de Virginia Mayo la représentait en train de dormir... et de ronfler. Dans The Tall Men (Les implacables, 1955), Jane Russel, ivre morte, s'évanouit dans son corset. Se rendant compte qu'elle est en train d'y étouffer, Clark Gable lui arrache celui-ci et l'on voit, l'on entend la brune respirer de nouveau - sa poitrine et son dos se gonflant et se regonflant pour le plus grand bonheur du spectateur qui souffle avec elle. Oppression et respiration - les deux signes du cinéma walshien ? C'est à voir.
Magnifique western cinémascope ("on dirait que le que scope a été inventé pour lui", dira Tavernier), ces Implacables n'ont qu'un seul problème : leur titre mensonger. On s' attendait à des situations super violentes menées par des personnages ultra durs, un peu à la Sam Peckinpah ou à la Sergio Léone, et on se retrouve avec une romance langoureuse, parfois verbeuse, d'une femme (sublime Russel et ses longs bras, ses longues jambes) qui hésite entre deux hommes (le baroudeur Gable qui "voit petit" et résiste à l'appât du gain, et le nanti quoique très classieux et très bon tireur Robert Ryan qui veut s'acheter la moitié du Montana). Peu de scènes d'actions pour ce film sérieux (quoi qu'écrit par Clay Fisher, l'auteur des Tex Avery de la MGM !) qui mise tout sur la complication des sentiments, les conflits d'argent (à la lettre, un western "économique") et les scènes de bétail filmées à la Eisenstein. Le seul élément tragique et violent est introduit par le frère (Cameron Mitchell), jeunot blessé et arrogant et qui, parce qu'il est le personnage de trop entre les deux hommes et la femme, finit torturé et tué par les indiens. Pas de pitié pour ceux qui ne trouvent pas leur place fraternelle ou sociale. Il est vrai que pour Walsh le cynique, la civilisation commence et finit par la pendaison (première réplique du film) et le salut de l'homme consiste à se retirer dans un coin perdu avec femme et bocage. Pas de collectivité transcendante ni de référence biblique et encore moins de réconciliation nationale chez lui comme chez Ford. L'existence est sauvage, solitaire, implacable. On comprend que son auteur préféré, et qu'il connaissait sur le bout des doigts, fut Shakespeare. 
 

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Le voleur de Bagdad (The Thief of Bagdad), Raoul Walsh, 1924 - Dans ce décor gigantesque et écrasant, un homme ne cesse de bondir, courir, lever les bras, voler (sur un tapis volant), se battre contre les plus vilains monstres, et toujours avec ce sourire ravageur - car le héros se doit d'être heureux, optimiste, toujours en avant sur la situation. C'est Douglas Fairbanks bien entendu, l'acteur-auteur flamboyant du Voleur de Bagdad de 1924, le plus grand film d'aventures de cette époque et dont Walsh n'assura, aurait-on envie de dire, "que" la mise en scène, tant le projet semble être d'abord celui de l'acteur-athlète. Si l'expressionnisme était un combat entre la ténèbre et la lumière, celui mené dans ce film se déroule entre le décor et le vivant - et c'est là qu'intervient le génie de Walsh : faire bouger la matière, donner du mouvement à tout, au tout. A force de s'agiter dans tous les sens, Fairbanks contamine l'univers et bientôt ce sont les cartons pâtes qui deviennent vivants. Tout ce qui trouble l'inanimé est bon à prendre, à commencer par mes chères surimpressions, mon effet spécial préféré qui double le réel tout en le montrant et tout en faisant qu'on s'en fout qu'il le montre (voir le truc et en être encore plus heureux - magie du cinéma), mais aussi les doubles-expositions, et ce qu'on appelle le matte-painting (en gros, l'écran bleu, l'espace vide destiné à y être rempli). Comme l'écrit Jean Douchet "Peu à peu, comme les murailles de Jéricho, le décor cède. Il s'anime à son tour, vole dans les airs, plonge dans la mer, se métamorphose magiquement. Le vibrion s'en empare et le soumet à nos désirs, à notre plaisir d'enfants." Et c'est l'Orient rêvé autant par les occidentaux que par les orientaux eux-mêmes, Gérôme, Nerval et Flaubert d'un côté, les Mille et une nuits de l'autre. Défilées (et dénominations) de féérie : Vallée du Feu, Deuxième Lune, Caverne des Arbres Enchantés, Cristal Magique (le plus beau moment du film, au ralenti), Demeure du Cheval Ailé, Citadelle de la Lune, Pomme Magique, Cape d'Invisibilité, Tapis Volant. On pense à Harry Potter, au Seigneur des Anneaux, à Matrix et à La Flûte enchantée. Sans oublier l'inévitable femme qui dort sous son voile et qui pour Walsh est encore une occasion de filmer la respiration. 

 

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La piste des géants (The big trail), Raoul Walsh, 1930 - Il y a des bons acteurs qui ne sont pas des grands acteurs comme Laurence Olivier et il y a des grands acteurs qui ne sont pas des bons acteurs comme John Wayne. A le voir évoluer dans cette cette Piste des géants, le premier film dont il est la vedette, et premier film parlant de son metteur en scène, on est pris entre la perplexité et le rire nerveux. C'est lui le futur shérif de Rio Bravo ? Ce grand dadais qui a une démarche bizarre, des gestes approximatifs, un débit monocorde, et qui du reste retournera aux séries B ou Z après ce film et devra attendre qu'un certain John Ford lui accorde une seconde chance en 1939 avec La chevauchée fantastique et fasse de lui la plus grande star de Hollywood ? (en fait, la 13 ème selon l'American Film Institute*). Sans doute ne correspondait-il pas au cinéma walshien qui demande des acteurs, c'est curieux de le dire à propos de John Wayne, moins "intellectuels" que lui, plus physiques (Douglas Fairbanks), déterminés (James Cagney), séducteurs (Clark Gable) ou les trois à la fois (Errol Flynn). Wayne, c'est un héros assez lent dans le fond, crépusculaire, contemplatif, un homme tranquille qui ne rechigne jamais à l'action mais qui n'est pas dans le mouvement pur et encore moins la frénésie comme les trois cités. Pas étonnant qu'il s'arrange pour disparaître à deux reprises de ce Convoi des braves version Walsh (à moins que Le Convoi des braves ne soit The Big Trail version Ford) dont la véritable star est moins l'individu que la caravane aux prises avec les éléments déchaînés, la dure nature, et, dans la scène la plus célèbre du film, la falaise abrupte que l'on descend à la verticale en attachant avec des cordes chariots, boeufs et hommes. Aucun recueillement devant la création à la Ford chez Walsh comme aucun humanisme particulier. Une image chargée, jamais élégiaque, où ça bouge dans tous les coins mais qui n'en est pas moins étouffante (comme chez Griffith, tiens), où tout est âpre, violent, spectaculaire - même si La piste des géants semble être un de ses rares films qui croit à la collectivité, à fondation d'un monde, à la naissance d'une nation. Comme le dit le très mac-mahonien Michel Marmin (la cinéphilie de droite a existé et j'en suis tout chose !) : "The Big trail est un grand poème d'énergie nationale, un grand poème de fondation où fleurit cette volonté de construire, d'avancer, de défricher, de vaincre l'obstacle, chronique rigoureuse aussi d'une nation qui naît et grandit dans l'épreuve".

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L'entraîneuse fatale (Manpower), Raoul Walsh, 1941 - Le début est éblouissant. Plans d'une centrale électrique, éclair qui déchire le ciel dans la nuit, poteau électrique qui explose, salle d'opération où la lumière vacille pendant qu'un chirurgien opère, autre poteau qui s'effondre dans la mer, informations qui circulent à tout allure entre les hommes, téléphone, interphone, posts, prévenir Hank McHenry (merveilleux Edward G. Robinson) et ses hommes, sortes de pompiers des lignes hautes tensions. A chaque intervention, ils prennent des risques fous. Tout de suite, donc, le combat de la matière avec elle-même, des éléments déchaînés contre la civilisation, du feu et de la pluie contre les hommes de bonne volonté. Car ce sont de bien courageux et héroïques ouvriers, ces gars-là, amicaux, bagarreurs, complices - et filmés dans leur confrérie comme Cassavetes le fera plus tard avec les travailleurs d' Une femme sous influence. A cette histoire de héros anonymes s'invite une histoire de femme et qui est moins sous influence qu'elle met les hommes sous influence - Fay, entraîneuse de cabaret, sort de prison. Elle n'a pas froid aux yeux et ne vit que pour séduire. Evidemment, Hank, moche, maladroit et sans doute impuissant, en tous cas handicapé depuis son dernier accident de travail, tombe amoureux d'elle - et moi aussi (être enfin sensible à Marlène Dietrich, quel bonheur !). Elle le prévient que la réciproque n'est pas vraie. Il lui répond qu'il aura "assez d'amour pour d'eux". Ils se marient, sous l'oeil méfiant de Johnny Marshall (excellent George Raft dans le rôle du pote idéal) et dont Fay tombe évidemment amoureuse depuis qu'elle l'a vu tabassé tout un bar. Tout est ultra sexuel dans ce film archi-sentimental et dont on ne racontera pas la fin tragique et immorale (et donc cathartique pour le spectateur qui aime que les forces vives se retrouvent - mais ça y est, putain, j'ai cafté.) C'est un film sur le travail, le danger, l'amour, l'amitié, la pulsion, la nature sauvage, la sublimation, le sacrifice, la mort, et à chaque plan, on a tout cela à chaque fois (y compris du Tex Avery - ou des scènes que Tex Avery parodiera) et va à une vitesse folle. Non, c'est prodigieux, bouleversant, excitant. Et quand je pense que je snobais ce cinéaste génial...
Admirez-moi donc ce début en cliquant sur l'image.

 

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La Blonde Framboise (The strawberry Blonde), Raoul Walsh, 1941 - Comme le disait la bande-annonce de l'époque, c'est la "Cagney's romance". On pourrait dire tout autant le "Two lovers" de Raoul Walsh sur mode burlesque. A la fin du XIX ème siècle, un petit dentiste bagarreur qui perd toujours dans la vie (James Cagney épatant) est amoureux de la "blonde vénitienne" fatale (Rita Hayworth avant qu'elle ne devienne Rita Hayworth), mais celle-ci épouse l'ami traitre du dentiste (Jack Carson) qui passe sa vie à tourner en bourrique ce dernier et l'envoie même en prison cinq ans pour des escroqueries qu'il a lui même commis. Entre temps, celui-ci aura épousé par dépit une féministe en avance sur son temps (Olivia de Havilland - "Mélanie Wilkes" pour l'éternité) mais qui à force de sagesse et d'amour aura fini par le rendre heureux. A la fin, le dentiste se vengera (gentiment) de son ancien rival et pourra se battre victorieusement contre une bande d'étudiants chahuteurs - l'amour conjugal ayant finalement été plus fort et plus régénérant que l'amour passionnel. Au delà de cet aspect étonnamment "moral" (d'autant plus étonnant qu'il provoque l'enthousiasme du spectateur), cet incunable de l'auteur de L'enfer est à lui, qu'on a dit bien à tort "datée", est un grand film sur le changement d'époque : les nouvelles relations entre hommes et femmes (Murielle, c'est pour toi), l'apparition progressive de l'anesthésie dentaire ("pensez à l'époque où la morphine n'existait pas", avait l'habitude de rappeler George Steiner à ses élèves), de l'automobile (en un plan unique surprenant), et même la découverte des spaghettis bolognaises !!! Comédie ethnologique s'il en est, cette Blonde Framboise donne la part belle aux femmes qui sont là pour civiliser les hommes, eux-mêmes assimilés dès les premiers plans du film à des animaux sans cesse en conflit (la chien contre la chat, puis un peu plus tard le plan du lion en cage), et leur apprendre, plus qu'à aimer, à se faire aimer.

 

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Victime du destin (The lawless breed), 1952, Raoul Walsh -Un peu terne, ce western "d'aventures" qui aurait pu tout autant être un thriller qu'un drame psychologique urbain. Il y a bien des duels au pistolet et des poursuites en cheval (et même une course genre tiercé), des saloons et des jeux de cartes, l'ambiance "western" n'y est pas tant que ça comme si Walsh ne faisait qu'en utiliser le décor pour y raconter son histoire tragique du gentil bandit accablé par le sort (Rock Hudson, que j'avais complètement oublié !), et tout cela à cause d'une robe de mariée qui allait lui assurer le bonheur. Force est de constater qu'il n'atteint pas l'évidence métaphysique d'un Ford dans sa description des rapports entre l'individu, Dieu, le mal, etc. Tout y est un rien simplet, explicatif, redondant - le personnage passant son temps à rappeler qu'il n'a jamais tué que par légitime défense. Il est vrai que c'est un film Universal à la limite de la série B, aux couleurs pas si chatoyantes que ça, sans humour, et qui semble freiner l'enthousiasme du metteur en scène - sauf dans les scènes, d'ailleurs très subtiles, avec la très pulpeuse Mary Castle. Mais c'est finalement cette gravité surprenante qui fait la vertu et la conviction de ce petit film, très efficace dans ce qu'il dit : l'homme qui a tous les talents (chance au jeu, en amour, au combat) mais qui est sans cesse puni de les avoir, sans doute à cause de son père fouettard qui a fait de lui un rebelle, et qui après mille fuites (et seize ans de prison quand même) retrouvera la paix et le bonheur dans sa ferme isolée du monde auprès de sa femme et de son fils, ce dernier qui lui aussi a failli devenir, et à cause de son père, victime du destin. 

 

 

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La rivière d'argent (Silver river), Raoul Walsh, 1848 - C'est le western balzacien de son auteur, et un de ses films les plus étonnants. Parce qu'il a cru faire un acte de bravoure en brûlant un million de dollars qui allait tomber aux mains des sudistes, un capitaine nordiste (Errol Flynn, l'acteur le plus introjectif du monde) se fait renvoyé de l'armée. Dépité, il jure de n'obéir désormais qu'à ses propres lois et devient un capitaliste avisé et sans scrupules, mais avec quel panache mon Dieu, n'hésitant pas à se débarrasser d'un rival encombrant pour lui prendre sa femme (Ann Sheridan, vraiment pas intéressante), et cela malgré les exhortations de son avocat (excellent Thomas Mitchell, "le père de Scarlett"). Ayant finalement tout perdu, il décide, sans doute pour conserver l'amour de sa femme, de ne se consacrer plus qu'aux ouvriers - ce qui de toutes façons ravit le spectateur comme tout ce que fait ce formidable Michael McComb depuis le début. Rarement un film ne sera en effet allé autant dans le sens du poil du spectateur avec sa célébration tout azimut de l'individualisme triomphant et de tous ses affects flatteurs : le héros désavoué par la collectivité et qui se venge d'abord de celle-ci en la ridiculisant (scène de distribution de billets aux hommes dans le dos des officiers - rien de plus jouissif au cinéma que la justice immédiate et illégale, ce que j'appelle "la morale Dumbledore"), l'homme supérieur qui fait fortune grâce à son courage et à son intelligence et dont l'énergie amorale fait dangereusement envie, enfin le cynique quasi criminel qui devient en bout de course chevaleresque et avec une vitesse existentielle que n'aurait pas dénié le Goetz de Le Diable et le bon Dieu, la pièce de Sartre. Vitesse psychologique et dramatique, donc, que l'on ne manquera pas de trouver improbable dans la vraie vie mais qui n'en exprime pas moins la vitesse économique, industrielle, financière du capitalisme en action ou en mouvement, que finalement seul un as de l'image action ou de l'image mouvement pouvait filmer avec une telle dextérité. Et si à cela on ajoute les deux fabuleuses scènes d'action qui enchâssent le film, la poursuite en chariot que McComb met en feu et la bagarre de rueavec gestion admirable des mouvements de foule, on aboutit à un chef-d'oeuvre qui s'appelle La Rivière d'argent. 

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La Blonde et le shérif (The Sheriff of Fractured Jaw), Raoul Walsh, 1958 -  On a tout dit de cette pauvre Jayne Mansfield, sous Marylin Monroe, écervelée totale, ultra-mauvaise actrice, starlette de navets glamour, et qui est morte à la Albert Camus. N'empêche que lorsque l'on a quinze ans, elle se révélait une étourdissante machine à fantasmes, et que plusieurs décennies plus tard, notre propre machine nerveuse, solitaire et post-adolescente, peut toujours se nourrir d'elle, de sa poitrine intensément existentielle, de son bassin schopenhaurien qui suscite le vouloir-vivre et de ses lèvres lucréciennes qui redonnent goût à la nature des choses. D'ailleurs, est-elle si mauvaise que ça ? Dans ce western rigolo de Raoul Walsh, La Blonde et le Shérif (1958), elle assure merveilleusement dans son rôle de tenancière de saloon autoritaire et chaleureuse qui apprend à un britannique (Kenneth Moore), et avec toutes les métaphores adéquates, à se servir d'un révolver, et sait user de l'écho des falaises quand elle chante sa chanson suave. Derrière sa niaiserie apparente, le film séduit par sa bonne humeur clicheteuse (mais qui a influencé bon nombre de Lucky Luke, à commencer par Le Pied Tendre), son humanisme naïf (la réconciliation des indiens et de l'homme blanc, tout de même) et sa savoureuse description du choc des civilisations européenne et américaine. La meilleure scène est bien sûr celle de la cabane des paysans "affreux, sales et méchants" où l'anglais tente de vendre ses armes à un mari taiseux qui mange sa soupe pendant que sa femme parle à sa place ("Luc, il parle pas quand il bouffe", "Luc, il peut écouter quand il bouffe", "Luc, il a fini de bouffer"). A la fin, Jayne vient sauver l'anglais et l'on se dit qu'elle est si belle, si bonne, si tout qu'on aurait envie de lire le livre de Simon Liberati, "Jayne Mansfield, 1967", Prix Fémina 2011. Et si quelqu'un retrouve cette photo d'époque où l'on voyait Jayne signer en cuissarde un autographe à un ado de 15 ans, par pitié, que l'on me l'envoie.

 

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La femme à abattre (The Enforcer), Raoul Walsh, 1951 - Un début ébouriffant : pour ne pas avoir à témoigner contre son chef, Mendoza, à qui il prête des pouvoirs quasi surnaturels façon Keyzer Sösse, un pauvre truand préfère s'évader par la fenêtre façon Tintin en Amérique et se tue. Une fin époustouflante : dans les rues de New York, une femme est filée par deux tueurs qui veulent l'abattre et par le procureur qui veut la sauver. Entre les deux, un milieu (au deux sens du terme) de pure terreur, celle de ce chef de gang qui a monté une organisation de tueurs (et dont un plan séquence les montre leur gueule patibulaire les uns après les autres façon Scorsese). Dans ce chef-d'oeuvre du polar noir, qui rappelle certaines ambiances de James Ellroy, tout est violence, panique, désespoir - mais aussi espoir, courage, force positive, celle de Bogart, évidemment, qui n'a jamais été aussi dur et aussi... rassurant.
"Le découpage de The Enforcer, partiellement construit en flashes-back, est prodigieux,écrit ce grand Mac-Mahonien de Michel Marmin, : rapidité, ellipses, action constante et essentielle, aucun plan inutile, aucun ralentissement. Au coeur de cette action brutale et d'une extrême précision dramatique, l'épopée purement intérieure, est gravée dans les traits mêmes du héros, dans la moindre expression du jeu ramassé de Bogart : tenson sans cesse contenue, économie savante du geste, rapidité et intelligence du regard, sagesse et lucidité incrustées dans le dessin profond des rides, impassibilité du visage où la rage et la colère éclatent rarement, et seulement dans le sourire, le terrible sourire de Bogart".
Sans conteste, au firmament de son auteur.

 

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Les fantastiques années vingt (The roaring twenties), Raoul Walsh, 1939 - Dans les tranchées. Un soldat saute dans un trou et tombe sur un autre soldat en train de rouler sa cigarette. Le second : - Te gène pas, hein ! Le premier : - Pourquoi ? J'ai oublié de frapper ?
Plus tard, ils se retrouveront, s'associeront dans le trafic d'alcool. Mais à la fin de la prohibition, le premier tombera dans la misère alors que le second deviendra un criminel florissant. Afin de protéger la femme qu'il aime mais qui lui aura préféré un autre, le premier liquidera le second mais sera abattu par ses hommes. Il mourra dans les bras de l'autre femme, celle qui l'aime depuis le début. Au policier qui lui demande qui il était, elle répond en larmes : "Il s'appelait Eddy Bartlett et c'était un caïd".
Caïd malgré lui, Eddy aurait voulu, après la guerre, devenir un honnête homme. Mais comme le militaire héroïque de La rivière d'argent incarné par Errol Flynn, le monde normal l'aura trahi, humilié, rejeté. Il sera devenu un gangster selon une logique que n'aurait pas renié Rousseau. L'homme nait bon mais la société le rend méchant - la revanche individuelle en plus : non-reconnu comme tel par la société, le héros devient un salaud, c'est-à-dire un vengeur. Le pire, c'est qu'on trouve toujours plus vengeur ou plus salaud que soi, particulièrement dans le "milieu". Et si Eddy demande toujours à ses hommes de ne pas utiliser leurs armes, George, son associé, ne se gène pas pour tirer sur ses adversaires - comme il avait tiré dans les tranchées sur un "môme" une seconde avant la déclaration de la fin de la guerre. Sa mort à lui sera ignominieuse - la grande spécialité de Bogey à l'époque. Celle de Cagney quasi miséricordieuse. Terrifiant dans L'enfer est à lui, l'acteur est ici bouleversant dans son rôle de malfrat en qui la violence monte progressivement et à laquelle il tente de résister. Les fantastiques années vingt est une pure histoire d'économie, soit une pire histoire de violence. Ce que montre le très balzacien Walsh, c'est que la guerre contre le système devient toujours une guerre des gangs. Les loups finissent toujours par s'entretuer selon une sorte de justice divine. Scorsese, Coppola et Léone sauront s'en souvenir. A part ça, film génial. 

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Capitaine sans peur (Capitaine Horatio Hornblower), Raoul Walsh, 1951 - Le film typique de La Dernière séance. Un beau truc héroïque qui va outrancièrement dans le sens du spectateur avec son héros antonyme qu'a l'air de jamais souffrir même quand il est plein de sang et plein de souci, son méchant insupportable basané qui menace de torturer tout le monde et qui périt vite fait bien fait sous une poutre, son héroïne anti-gender, l'aristocrate au grand coeur qui joue les infirmières sur les bateaux, ses combats navals (navaux ?) un peu statiques, son finale ultra deus ex machina où ceux qui ne servent à rien sont liquidés en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Le film lui-même est bancal, mais on s'en fout, tant la première partie est quand même très forte, très historique, très réaliste (un galion contre un autre galion) alors que la seconde est un peu plus faible quoiqu'assez délirante. Walsh n'a pas peur de faire dans la série B invraisemblable (un galion contre des tas de galions) mais qui ne sert qu'à faire passer le temps, histoire de réunir l'homme et la femme. Hornblower (Gregory Peck, le genre d'acteur dont on se demande toujours s'il en est un - pas étonnant qu'il fût l'ami de Chirac) est marié. Qu'à cela ne tienne, quand il revient chez lui après une mission de neuf mois, sa femme est morte en accouchant de leur fils. Quant à Lady Barbara (Virginie Mayo, le genre d'actrice etc...), elle est aussi mariée à un sale connard mais dont le scénario se débarrasse en une réplique ("il a été tué au combat", génial.) Bref, un film qui joue sur les acquis, les attentes et les récompenses du spectateur lambda, et même si Marmin le compare au Typhon de Conrad (ce qui fera plaisir à Pascal Zamor), et qui se voit en VF emmitouflé dans sa couverture quand on est grippé et qu'on ne veut pas se prendre la tête avec Pierre Boyer sur Tomboy. Parce que, je veux pas dire, mais sur la théorie du genre, Raoul, Greg et Virginia, ils sont bien d’accord avec moi !!!

 

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O.H.M.S (You are in the army now), Raoul Walsh, 1937 - Petit film hyper nerveux (mais, dit Dominique Rabourdin en bonus, Walsh était à l'aise comme tout dans les petites productions plus que dans les grandes), qui commence comme un film noir digne des plus grands (la nuit, New York, les violences), continue dans la comédie militaire anglaise avec des relents de mélo et s'achève dans le drame héroïque et sacrificiel, "O.H.M.S" (distribué aussi sous le titre "Au service de sa majesté"), pourrait être le manifeste de son auteur. Action serrée et brutale, fluidité narrative (on passe d'un genre et d'un affect à l'autre), vitesse dramatique et psychologique (parfait pour une histoire de fausse identité), un film qui ne fait qu'aller en avant, pur image mouvement qui se fout des réalités, le cinéma n'étant là que pour fournir des images qui s'accordent à nos désirs, "au service de sa majesté le spectateur", et selon la conception macmahonienne. Le seul bémol réel réside dans son acteur, Wallace Ford, sorte de sous James Cagney, un peu fadasse, un peu chochotte. Anna Lee n'est pas non plus très bandante même si elle a une réplique à la Mae West.
Pas trouvé d'extrait ni de BA.

 

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La fille du désert (Colorado Territory), Raoul Walsh, 1949 - De ce sublime western noir, Michel Marmin a admirablement parlé. Et comme on ne peut dire mieux, je lui laisse la parole :
"Quel admirable couple que celui formé par Virginia Mayo et Joel McCrea dans Colorado Territory [La fille du désert, 1949], ce couple soudé par le destin qui les conduit implacablement vers la mort, comme une montée rectiligne et sans faille vers la grâce (...) et qui rappelle impérieusement Les amants de Kandahar de Gobineau :
« Moshèn se jeta sur Djemylèh, la soutint, l'embrassa, leurs lèvres s'unirent. Ils souriaient tous deux et tombèrent tous deux ; car une nouvelle décharge vint frapper le jeune homme et leurs âmes ravies s'envolèrent ensemble. » (...)
Le village espagnol abandonné, fantastique, délabré, véritable cité engloutie dans les sables, la montagne sauvage et sans couleur, les grandioses roches nues et escarpées, les canyons aux immenses falaises lisses : un décor lunaire, minéral, chaotique, qui envahit lentement l'écran et se referme sur les héros, doué d'une sorte de pouvoir magique, maléfique comme certains lieux maudits des légendes celtiques :
« On ne fréquente pas impunément ces lieux où les individus les plus sélectionnés de la race humaine donnaient rendez-vous à la la divinité. » (André Fraigneau). (...)
Colorado Territory, c'est le contraire de l'exécrable Bonnie and Clyde, d'Arthur Penn, cette hypocrite apologie de vermines hystériques dont la fin abjecte ressemble à celle des cancrelats que l'on écrase sous le talon. Un art populaire vrai n'est jamais un art vulgaire, et d'un limon plébéien, Raoul Walsh fait naître des princes. Ce que j'admire le plus dans Colorado Territory, c'est le naturel souverain, la sérénité de Joel McCrea et de Virginia Mayo, la distinction et la puissance de leur amour jamais dominé par la tragédie, leur immense tendresse contenue dans des gestes rares et des sourires dignes de ceux des anges des cathédrales, leur absence voulue de crispation et de colère - leur contentement, peut-être leur bonheur. Il n'y a pas de geste plus émouvant que celui d'un garçon et d'une fille se prenant la main. Un baiser peut-être le symbole d'un achèvement. Le serrement de main de Joel McCrea et de Virginia Mayo à l'instant de leur mort ne peut être qu'un symbole de début, celui de leur transfiguration.
« Soif du Créateur, flèche et désir du Surhumain : dis-moi, mon frère, est-ce là ta volonté du mariage ? Je sanctifie une telle volonté et un tel mariage. » (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra.)"

 

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Bungalow pour femmes (The revolt of Mamie Stower), Raoul Walsh, 1956 - Plus beau que Rita Hayworth qui se retournait vers la caméra avec un large sourire dans son premier plan de Gilda, Jane Russel qui se retourne vers la caméra en faisant la gueule au tout début de Bungalow. D'emblée, le ton est donné : à l'image de son héroïne, le film sera aussi flamboyant que déplaisant, aussi sexy qu'anti-romantique, donnant l'impression qu'il va creuser la passion alors qu'il ne va s'intéresse qu'à la pulsion - et celle de l'argent avant tout, c'est-à-dire de la survie. Couleurs fortes jusqu'à l'âpreté, longs plans étouffants, montage durement elliptique qui tue le temps des sentiments, tout est là pour faire de cette histoire qu'on aurait cru d'amour (point de vue l'homme, le plutôt fade Richard Egan) une histoire de volonté sociale et vénale (point de vue de la femme, Jane Russel, donc, femme forte, blessée, obligée de sacrifier ses sentiments pour survivre, ce qui fait d'ailleurs qu'on lui pardonne), et selon une logique naturaliste qu'on croirait tirée de Maupassant, l'un des auteurs préférés de Walsh et dont ce film était, paraît-il, le préféré... de Fassbinder. Ce cinéaste qu'on considère si souvent des grands espaces et des luttes entre l'homme et les éléments connaissait aussi la part basse, c'est-à-dire économique, de l'homme - c'est là d'ailleurs sa vraie différence avec Ford chez qui même dans la misère la plus noire (Raisins de la colère, Qu'elle était verte ma vallée), la vénalité ou l'avidité (La rivière d'argent) ne sont jamais la solution, ni même la tentation. Pour autant, la femme vénale et avide n'est pas suivie par le réalisateur (et donc par le spectateur) comme une salope. Film féministe s'il en est, Mamie Stower montre en fait l'énergie d'une femme révoltée qui cherche avant tout son indépendance, quitte à renoncer à un homme qui l'aimait mais qui, il est filmé ainsi (Richard Egan n'étant pas Clark Gable qui avait été pressenti au début), n'était pas à la hauteur.

(Addendum : C'est un film peu flatteur (malgré Jane) qui met sur des fausses pistes : les couleurs annoncent du glamour lyrique et on a une histoire naturaliste assez dure - et peut-être pas assez au vu de nos expériences "modernes" de spectateur. Mais le film contient des surprises : le personnage qui bat les femmes, ou le type qui revient en running gag acheter des tickets et se précipiter dans la chambre d'une des prostituées pour jouer et perdre aux cartes avec elle. En fait, c'est un film dont Lars von Trier devrait faire un remake !)

 

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Le monde lui appartient (The world in his arms), Raoul Walsh, 1952 - Ca, c'est du grand Walsh. Melvillien et nietzschéen, rocambolesque et réaliste, glamour et lyrique, avec Gregory Peck, qui sourit quand il se bagarre et n'a jamais mal quand on le fouette au knout, Anne Blyth qui a mal à sa place et qui fait tout ce que l'on attend d'une héroïne de film d'aventure de ce genre, c'est-à-dire rien, au fond l'anti Jane Russel (Bungalow pour femmes), l'anti Virginia Mayo (Colorado territory) et même l'anti Jayne Mansfield (La blonde et le shériff), mais on s'en fout parce que le vrai amour de Peck, dans ce film de corsaires fous, ce n'est pas elle, mais bien "le Portugais" incarné avec prodige par Anthony Quinn qui dira un jour à Bertrand Tavernier que Walsh lui avait donné, lors du tournage, le meilleur conseil, en guise de direction d'acteur, de sa carrière : "il me manque l'ail, donne-moi l'ail". Et Quinn jouera "l'ail", jouera le personnage qui a bouffé de l'ail, qui en sue, mais qui déborde d'énergie ravageuse, de joie conquérante, d'innocence roublarde (même quand il perd au bras de fer, il éclate de rire et n'en tient pas compte) et dont l'amitié consiste à se battre avec son ami (un peu comme dans les films de Ford) et à faire la plus fabuleuse course de navires sur l'océan avec et contre lui, quitte à s'embrocher les voiliers. Parce que dans le monde de Walsh, c'est dans l'héroïsme que se fait la fraternité, le coup de poing l'amitié, la rivalité la virilité. Le rapport de force doit être chaleureux ou n'être pas (ou sinon, il devient un rapport de mort, ce qui arrive aussi puisque le monde est tragique). Et Noël Simsolo a bien raison de dire dans le bonus du DVD que "ce genre d'amitié brutale où l'on se bat avant de se réconcilier parle aux gosses [bien plus que Tous à poils, Tomboy et toutes ces conneries post-modernes]". Et s'il y a "un mystère Walsh", comme le remarque encore ce grand maître de Simsolo, celui-ci réside dans le souci de l'équilibre des forces et son esthétique de l'effleurement où l'on avance, on recule, on revient, on tourne autour - et comme l'illustre cette déjà citée course de navires. Tel le boxeur qu'il a été, Walsh (et Simsolo aussi) sait que l'art de la force est un art du contact et de l'esquive - et qui n'a rien à voir avec la bagarre de rue, où l'on frappe pour tuer. Il s'agit moins de se battre que de danser et de voler - et même quand le spectateur enfant est heureux comme tout de voir le méchant, plein de de morgue et d'injustice s'en prendre une par Gregory et s'effondrer comme une merde. Voilà le monde qu'on voudrait.

The man I love - Raoul Walsh, 1947, par Murielle Joudet. Très bientôt.

 

PISTES A SUIVRE :

http://www.lexpress.fr/informations/la-legende-du-mac-mahon_630872.html

 

The man I love, par Murielle Joudet

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Spiders from Walsh


  (sur The Man I Love, de Raoul Walsh, 1947)


Après High Sierra et They drive by night, The Man I Love est la troisième et dernière collaboration d'Ida Lupino avec Raoul Walsh. Elle y joue une chanteuse de nightclub qui, ayant le mal du pays (« homesickness »), décide de partir le jour de Noël rendre visite à son frère et ses sœurs à Los Angeles. Elle finit par s'y établir, trouve un travail dans le nightclub d'un propriétaire qui la drague, s'occupe des siens et tombe amoureuse d'un ancien pianiste, San Thomas.

The Man I Love est un mélodrame urbain et pauvre, enveloppé dans la forme vigoureuse, fougueuse du réalisme Warner. La Warner était spécialisée dans la production de film vite tourné, au style journalistique, documentaire, privilégiant les plans en extérieur - on pense aux films noirs avec James Cagney, Edward G. Robinson et les films pré-codes Hays. De fait, The Man I Love se cale sur ce rythme urbain, donne à entendre le pouls d'une ville pendant la période des fêtes.

Le film s'ouvre sur de larges plans de New-York qui peu à peu se resserrent sur la façade d'un nightclub. Deux hommes  pensant le club ouvert tentent d'y entrer mais un autre leur signale qu'il s'agit d'un bœuf privé, « a private party for crazy people » - ce sera le programme du film. Et lorsque nous sommes autorisés à y entrer, nous découvrons Lupino noyée autour de ses musiciens chantant  « The Man I Love » avec cette langueur mélancolique propre aux chanteuses de nightclub. On comprendra plus tard que ce qui lui donne cet air si douloureux ce n'est pas tant la chanson que le fait qu'elle n'ait pas vu depuis longtemps les siens, « i'm homesick » dit-elle – un même regard exprime à la fois le mal du pays et la langueur d'amour. On remarquera que le film est baigné par un épais brouillard, brouillard de la ville et de la fumée de cigarette, brouillard de l'homesickness qui travaille au corps tous les personnages, chacun ayant le mal de son pays à lui, qu'il soit une femme ou un mari perdus, une famille éloignée, un amour qu'on attend. Le film semble ainsi répondre à une question : où se loge l'amour dans les grandes villes où, à première vue il semble être refoulé, absent ? Il se trouve dans les foyers, les nightclubs, les chambres d'hôtel, dans ces lieux protégés que sont les chansons, tous ces endroits secrets, scellés, dans lesquels le film nous invite à pénétrer.

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The Man I love donne le sentiment d'être une esquisse achevée dont toute la beauté se logerait dans la rapidité de son trait, dans cette légèreté dérisoire de papier journal dont les lignes imprimées nous délivreraient le grave secret des cœurs d'une poignée de personnages, d'une ville entière. C'est l'efficacité démocratique d'une chanson portée par une chanteuse qui offre sa voix au chagrin des autres, sa langueur de surface à ce qui ont envie d'être langoureux. C’est cette même efficacité démocratique qui permet à Walsh cette extrême circulation entre les personnages. Chez lui, ce n'est pas une astuce de scénario qui daigne octroyer sa scène à chaque personne, c'est davantage un mouvement immanent au film, motivé par l'héroïne qui s'occupe des autres avant de revenir à ses occupations – déjà Lupino est metteuse en scène à l’intérieur du film. Ce qui confère au film cet aspect organique, naturel, loin du film choral découpé en tranches égales artificiellement liées entre elles par une petite soudure scénaristique, ce souci trop souvent lourd et volontariste du second rôle, cette épaisseur de surface qui est l'intérêt qu'on octroie à un rouage. Ici ces allers et venues ont le naturel de la vie, où l'intérêt que l'on se porte à soi influe et reflue à la surface, où l'on s'éclipse du premier plan pour jouer son rôle de sœur, d'employée, d'amie – le centre du film se déplaçant en fonction de qui on aime et de qui on soigne, créant au final une sorte de réseau d'amour. The Man I Love se calque sur l'anonymat des métropoles urbaines, ces métropoles dont nous sommes  les éternels personnages anonymes et intermittents, comme Lupino l'est ici.

C'est cette douce modestie affairée de city girl que Lupino charrie dans son jeu, trop occupée pour avoir le temps de tenir son premier rôle, permettant au centre de se redistribuer sans cesse jusqu'à se dissoudre pour lui préférer l'aspect d'une toile d'araignée – on pense à la façon dont Minnelli arrive à faire rapidement exister des groupes de personnages en déduisant un portrait d'une série de relations, comme on recoupe des témoignages pour se faire une idée sur une personne.

L'indépendance de Lupino a quelque chose de très réaliste : elle n'a rien d'une vamp, le film étant trop pragmatique pour lui laisser le temps de l'être. L'amour de cinéma est habituellement le fait d'une élite amoureuse où les questions pragmatiques, si elles étaient traitées, risqueraient de parasiter l'avancée de l'histoire. Au contraire ici, c'est la nécessité qui fait avancer l'histoire, la nécessité de gagner sa vie ou de s'occuper de ses enfants - comme c'était déjà le cas du magnifique « Une femme dangereuse » (They drive by night) qui filmait le monde des routiers. De fait, dans la série B non cantonnée à un genre (on peut penser aux comédies et drames sociaux de Gregory la Cava), le réalisme est de mise et il devient naturel que le film, dans son mouvement, emporte avec lui une image du monde. Lupino est une femme qui s'en sort, qu'on voit au travail, qui s'achète d'extravagantes robes du soir (touchantes sur le corps si gracile de l’actrice), et des chapeaux qu'elle n'arrête pas de trouver finalement ridicules  – comme une femme qui persiste à porter des tenues qui ne lui vont pas, et qui sont d'ailleurs davantage des tenues de travail que de soirées.

Autre question que pose le film : quand trouve-t-on le temps d'aimer ? Là encore, on fait l'amour quand l'agenda le permet. Urbanité oblige, le couple s'aime dans les marges, bousculé par les autres intrigues. C'est que la vitesse est le mot d'ordre, l'idée de Walsh est de filmer un amour interstitielle, qui se cherche une place au lieu de prendre toute la place. Ici le trait vite esquissé prévaut sur le développement : tout le monde sait qu'on trace plus facilement une ligne droite d'un seul coup que par petites touches successives. « The Man I Love » fonctionne sur cette économie du geste : on fait le tour d'une question au détour d'un regard, d'une réplique, d'une cigarette allumée – innombrables petites entailles hollywoodiennes.

Lupino apprend alors que l'homme qui lui plaît est San Thomas, le compositeur de « The Man I Love », cette chanson qu'elle chantait en ouverture. La très belle idée est de faire de cette chanson le motif d'une contamination (contamination qui est, on l'a bien vu, le grand motif du film : on contamine par l'atmosphère, par le brouillard ici omniprésent, par la langueur chantée ou sentie du homesickness). C'est par et à travers elle queLupino aime San, comme si, bien avant de se connaître, il lui avait transmis les termes de leur relation, les mots à travers lesquels elle allait l'aimer ; comme si leur complicité avait été scellée bien avant qu'ils ne se rencontrent.

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Les films de Walsh ont cette inexorabilité où tout se tient et se boucle au bout d'une heure et demi alors que tout ne cessait de se ramifier jusqu'au dernier moment. On ne compte pas les micro-scènes qui posent en passant la vie d'un personnage, d'un second, d'un troisième ou d’un quatrième rôle. C'est que par-dessus les personnages centraux la rumeur urbaine insiste toujours, reflue sans cesse à la surface comme si on ne voulait jamais laisser reposer une pâte mais qu'on la remuait sans cesse, faisant du fond une potentielle surface, et inversement. Qui peut prétendre à être le héros d'une ville, d'un film-ville ?

Walsh tient ici à cette égalité narrative (« tous les personnages naissent et demeurent  libres et égaux en droits »). On chercherait en vain le crime qui ferait de The Man I Love un film noir, un dénouement qui justifierait tout ce qui précède, ou un personnage qui se révélerait être clé. C'est très rare d'arriver à faire sentir que ce sont les personnages qui sont libres et non pas le scénario – là encore on pourra détourner la formule kantienne : « Traite toujours ton personnage comme une fin et jamais seulement comme un moyen ». Par sa façon de ne pas jouer une histoire contre une autre ou au-dessus d'une autre, The Man I Love, film-chanson,nous montre que l'amour suppose non pas l'élévation hors-monde de quelques amoureux privilégiés mais la démocratie des cœurs. Il y a de la place pour une une femme qui aime et attend un homme qui ne l'aime pas – ceux qui sont aimés n'ont pas pris l'habitude de chanter.

Murielle Joudet

 

A lire de la même plume : Frontière chinoise, de John Ford

Les damnés font de la place.

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A Juliette C...., déterritorialisée d'élite.

 

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Ce texte n'est qu'une prise de notes brute prise il y a quelque temps en réécoutant l'extraordinaire cours de Gilles Deleuze sur Leibniz, "âme et damnation", que l'on trouve en  CD dans la collection "A voix haute", chez Gallimard, et qui fut pour moi une révélation absolue. Toute ma vie, j'ai attendu qu'on m'explique comment on pouvait concilier les idées de liberté et de damnation. Comment, surtout, on pouvait me rendre la possibilité de l'enfer acceptable. Comment le Dieu d'amour pouvait tolérer la damnation éternelle. Pour la lisibilité de l'ensemble, j'ai clarifié certains passages mais laissé les redondances et les phrases plus ou moins dictées par Deleuze - l'idée étant que "moi aussi" j'aurais pu être à ce cours magistral. Les entre-crochets sont des digressions personnelles, ce qui arrive toujours quand on écoute quelqu'un - puisque la pensée donne à penser et que j'ai un sacré esprit d'analogie.

 

Qu’est-ce que ça veut dire « le tissu de l’âme ? »

Un fourmillement de petites inclinations. Celles-ci ploient, plient l’âme dans tous les sens. Les petites perceptions, les petites inclinations. Multiplicité de petites tendances = tissu de l’âme.

L’inquiétude de l’âme, dont parle Locke, c’est ce fourmillement. On ne cesse de fourmiller. Par de petits ressorts. L’âme se plie dans tous les sens. On peut aussi appeler cette inquiétude de l’âme un prurit. Prurit de l'âme.

La taverne.

Vais-je faire cours ou vais-je aller à la taverne ? Poids A ou poids B ? Il faut voir si c’est égal. Or, jamais rien n’est égal dans mon âme. L’âme n’est pas une balance neutre qui enregistre tel poids. Ca balance déjà dans l’âme. Il y a toujours un poids plus fort. Il faut que j'en prenne conscience.

Qu’est-ce que j’entends au loin ? Le choc des verres, la conversation des bons amis, les cliquetis de la brasserie. Je pourrais les rejoindre au lieu de me faire chier sur mon blog.

Au niveau des petites perceptions, perception et imaginaire se confondent. Pas au niveau des grandes.

Ambiance de l’alcool, du zinc, de l’imaginaire, des compagnons de débauche. Toutes les inclinations sont là et me disent "viens". Mais l'ambiance du travail aussi me dit "vient". Bruit du papier, de la plume, du cliquetis des touches de l'ordinateur. Alors, que vais-je faire ?

 

 

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Gian Lorenzo Bernini, dit Le Bernin, La Bienheureuse Louise Albertoni (1675)

 

La délibération.

Mon âme est ployée dans tous les sens. Délibérer, c’est de quel côté je vais ployer / plier mon âme. De quel côté je vais produire, avec toutes les petites inclinations, une inclinaison remarquable ? Une perception distinguée ? Avec tous les petits plis qui tordent mon âme à chaque instant, et qui constituent mon inquiétude, comment vais-je faire le pli décisif ? Quelle est l’action qui va remplir mon âme suivant son amplitude ? Le balancier comme amplitude de l’âme.

« Entre temps, la balance a changé ». La délibération est le résultat de ce balancement. C’est la durée qui fait changer les motifs. Les motifs sont là, s’entremêlent, et ensuite un d'entre eux apparaît plus fort, plus singulier, plus distingué.

Ce sont des inflexions.

Etre libre, c’est être incliné sans être nécessité. C'est "choisir" son inclination.

Lorsque je délibère et que finalement je choisis A, je ne reviens pas du tout au A de départ, ce n’est pas le même A. Le A a changé.

L’acte libre, ce sera celui qui effectue l’amplitude de mon âme au moment où je le fais. L'acte libre, il faudra s'en souvenir, se fait toujours au présent.

L’acte libre.

Intégrer les petites perceptions demande du temps. Il faut du temps pour être libre. La liberté arrive toujours à la fin [comme le salut]. Tout prend du temps pour Leibniz, même la transmission de la lumière. Temps électrique, temps psychique, temps « libre ».

Est-ce que je peux attendre ? Quand je vais à la taverne, je n’attends plus. Quand j'attends d'y aller, je suis déjà plus libre. [La liberté commence dans la suspension - l'époché. La liberté est épochale avant tout.]

Toutes les actions ne relèvent pas de la liberté. LA LIBERTE, C’EST POUR CERTAINS ACTES.  La plupart des actes sont là pour calmer l’inquiétude : se lever, prendre sa douche, son café, sa cigarette, son journal. L’acte libre, c’est celui qui remplit l’amplitude de l’âme à tel moment. On n’est pas libre tout le temps. Donc, attendons, attendons. Attendons que le monde change et fasse que je me décide à intervenir en lui. C’est ce changement qui me fera décider. Quand je reviendrais au motif de départ, ce ne sera plus le même motif. Ce sera le motif d'un autre point de vue - d'un point de vue qui me convient et dans lequel je vais pouvoir agir. L’acte libre exprime toute l’amplitude de l’âme à ce moment de la durée. L'acte libre  exprime le moi.

L’acte parfait.

L’acte libre exprime le moi, il est l’acte parfait ou achevé. Le livre. Le mariage. L’enfant voulu. L’entéléchie. Il est l’acte permanent, dit Aristote, par opposition à l’acte successif. Ce n’est pas l’acte une fois fait, au passé.

L’acte parfait est celui qui exprime l’âme dans toute son amplitude, le "vrai" moi. Acte au présent qui engage tout l’être. L’acte vrai est celui en train de se faire. [Mais a-t-il un rapport avec l'acte intransitif genre : « j’écris », « je voyage », « j’aime », « je crois »  ??? La liberté est-elle intransitive ? La question que j'aurais posée.]

Liberté dans l'acte, soit inclusion du temps dans l'âme. Avant l’inclusion, la fermeture par la monade de ses prédicats. L’inclusion, condition du présent vivant, non du passé mort. L’inclusion, c’est la liberté. L’inclusion, c’est la condition de l’acte en train de se faire, non le résultat de l’acte passé. César qui franchit le Rubicond. L’acte libre est celui qui se fait en se faisant [et qu'on ne peut pas prévoir comme dans Minority report] + [Encore une tautologie. La vérité est toujours tautologique. Elle se plie mais elle reste identique à elle-même.]

 

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Philippe de Champaigne, Cardinal Richelieu, 1640 [et je prends Richelieu que n'aurait certes pas pris Deleuze comme "exemple" de plis, parce que j'aime mettre l'Arché en plis - mais dans ce cas-là, peut-être aurais-je pu prendre Mazarin à la place, plieur politique en chef, mais non, Richelieu, c'est mieux.]

 

L’acte présent.

Il faut que son propre mouvement ait une unité. Il faut une unité du mouvement en train de se faire. Qu’est-ce qui donne de l’unité au mouvement ? Mais l’âme bien sûr. L’âme, unité du mouvement. Pas le corps qui est relatif. Le corps relativise ce que l’âme singularise. [L'âme veut mourir, le corps dit "nous verrons"].

L’acte parfait est celui qui reçoit de l’âme l’unité du mouvement en train de se faire. L’acte inclus dans l’âme. L’acte libre, c’est celui qui reçoit de l’âme, au présent, l’unité d’un mouvement en train de se faire. Donc, les actes libres sont rares. On est libre de temps en temps. Quand on l'a décidé ici ou là.

La question de la liberté.

La plupart de nos actes n'ont pas d’âme, ni d’amplitude. Marcher, aller dans la rue, à la taverne, c'est pas très amplitude. A un certain moment, il faut de l’âme, de l’amplitude. Impossible d’en avoir tout le temps car trop épuisant. La plupart du temps, on se contente tous d’une petite amplitude, ce qui n’est déjà pas si mal. C'est le début de la liberté. Etre libre, c’est avoir de l’âme, même la plus minime. Je me sacrifie, grande amplitude. Je vais acheter Causeur, petite amplitude. Je vais déconner sur Facebook, damnation - mais je discute avec Sophie B., amplitude relevée.

Amplitude // adéquation // inclusion // liberté.

La théorie du temps.

La plus difficile chez Leibniz. Je ne sais pas si j'ai très bien compris. 

 

 

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 François de Nomé - Les Enfers, 1622

 

Les damnés sont-ils libres ?

Respecter la théologie, cette science logique. Logique de Dieu. Pas de logique sans paradoxe. La théologie fournissait les paradoxes à  la logique : Trinité, Transsubstantiation, Résurrection. Paradoxes dangereux qui faisaient parfois finir au bûcher quand on les paradoxait trop ou du mauvais côté. [Attention aux mauvais plis. Le mauvais pli, comme le mauvais paradoxe, c'est le mal. Le mauvais paradoxe, c'est le paradoxe sans orthodoxie derrière, c'est le paradoxe gratuit, paralogique, idéologique, c'est le paradoxe du demi-habile.]

Croire en Dieu, c’est croire aux paradoxes.

On ne croit pas seulement en Dieu. On croit à l’ambiance de Dieu. Tout ce qui avec Dieu, comme l'unité et le corps. La logique paradoxale de Dieu.

Peut-on lever une damnation par la prière ? Des théologiens l'ont pensé. Et il y a encore ces monastères où des moines prient pour le salut des damnés. 

La damnation est-elle éternelle ?

En vérité, les damnés sont aussi libres que les bienheureux. Dans la Théodicée, et aussi dans « Profession de foi du philosophe », Belaval, Vrin. Livre essentiel.

On pourrait croire que le damné paie pour un acte abominable. En fait, non. La damnation est au présent, le damné se damne au présent. En ce sens, il est libre, et même plus libre que n'importe qui. Et s'il n'est pas bienheureux, c'est un malheureux jouissant. On va y venir.

Le baroque : la mort en mouvement.

L’âme comme unité du mouvement en train de se faire. Voilà le baroque. Le mouvement saisi du point de vue de l’unité qui le définit en train de se faire. Saisi sur le vif. Le mouvement en train de se faire, fusse la mort. Peinture de la mort. Unité de la mort en mouvement, de la mort en train de se faire. Le squelette arrive après la mort. La mort concerne la chair. Le texte de Quevedo Y Villegas.

Vous êtes tous les morts de vous-mêmes. On meurt en vivant. Naître, c’est commencer de mourir. Vivre, c’est mourir lentement. Vous n’attendez pas la mort, vous l’accompagnez perpétuellement. La mort comme mouvement en train de se faire.

« Vous ne connaissez pas la mort - c'est la mort qui parle et qui dit : vous savez, vous me représentez comme un squelette, vous n'êtes pas raisonnables, je ne suis pas un squelette dit-elle ! (…) Ce que vous appelez mourir c'est achever de vivre, et ce que vous appelez naître c'est commencer à mourir, comme aussi ce que vous appelez vivre c'est mourir en vivant. Et les os, c'est ce que la mort laisse de vous-autres et ce qui reste dans la sépulture [c'est le une fois fait]. Si vous comprenez bien cela chacun de vous aurait, tous les jours, un miroir de la mort en soi-même, et vous verriez aussi en même temps que toutes vos maisons sont pleines de morts. Qu’il y a autant de morts que de personnes, et que vous n'attendez pas la mort, mais vous l'accompagnez perpétuellement. »

(Intégrale là)

 

 

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Judas pendu, Chapiteau de la cathédrale d'Autun.

 

Judas.

Le damné ne paye pas pour un acte qu’il a fait. Il paye pour son propre présent.

Adam ne peut être damné.

Si Judas est damné, c’est à cause de la disposition dans laquelle il est mort, à savoir la haine contre Dieu dont il a brûlé en mourant. Le damné, c’est celui dont l’âme est remplie par la haine de Dieu au présent– et qui, au fond, en est ravi. Cette haine de Dieu est son amplitude, minime mais réelle, et n’est pas au passé. Elle continue. Le damné est celui qui est mort en haïssant Dieu et qui continue à le faire « après » sa mort.  Le quartier, département, petite région de la monade damnée est la haine de Dieu. Le damné est celui qui exprime clairement la haine de Dieu. Son seul prédicat, c’est la haine de Dieu. Il a tout perdu, sauf ça : la haine de Dieu [qui est une sorte de raison. Le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison, dit Chesterton. La haine de Dieu comme seule raison qui lui reste.]. Sa seule clarté est dans sa haine de Dieu. La haine de Dieu remplit l’amplitude de l’âme. L’amplitude la plus étroite mais la plus claire, la plus singulière, et qui ne cesse de se refaire à chaque instant. Il est dans la joie de la haine de Dieu. Il faut concevoir les damnés jouissants.

[Vision classique de Judas, qui n'a rien à voir avec la "moderne", bernanosienne, ou kazantzákisienne, qui fait de Judas un héros incompris qui n'a vendu Jésus que sur ordre de celui-ci, et qui ne peut donc être damné.]

Le plaisir du damné.

Il est infect parce ce qu’il se plaint. Il fait semblant d’avoir mal, qu’on lui a fait du tort, qu'il croule sous les misères, etc. Mais en douce, il rigole. Il se complait dans la haine de Dieu et en jouit à mort. Il préfère souffrir le feu plutôt que renoncer à sa haine jouissive de Dieu. Joie de l’acte libre : « je hais Dieu ». Le damné ne croit pas à ses plaintes. Le damné tient à sa damnation comme à la prunelle de ses yeux. « Le damné n’est pas éternellement damné, mais il est toujours damnable et se damne à chaque instant. » Il est dans la joie haineuse. Son amplitude est remplie par l’affect de la haine.

En fait, à chaque instant, il pourrait tout à fait se « dédamner ». Il suffirait que son âme, au damné, cesse de vomir Dieu. Bref, que son amplitude d’âme s’élargisse, pour qu’il n’ait plus cette haine de Dieu en lui. Mais non, il n’y tient pas, car il tient trop à sa jouissance haineuse. Il renouvelle sa haine à chaque instant, car c’est ce qui donne le plus de plaisir et d’amplitude à son âme. PAREIL POUR TOUTES LES HAINES, la haine de Dieu étant le monogramme de toutes les haines. Voyez les méchants qui souffrent autour de vous. Plus ils souffrent, plus ils sont méchants, et réciproquement. Et il y a toujours une petite part de méchanceté dans la souffrance. On aime tous souffrir. On aime tous se damner, même à notre petit niveau.

 

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Enfer, par Giovanni da Modena, 1415

 

La chanson de Belzébuth.

« Le venin s’insinue dans les membres et aussitôt la rage se déchaine dans tout le corps, etc…. »

Pour s’en sortir, il faudrait un peu ouvrir son âme… à autre chose qui est toujours amour de Dieu [car tout ce qui n'est pas haine est amour]. L’ermite qui arrive avec la grâce de Dieu va le demander à Belzébuth, mais  Belzébuth ne veut surtout pas abjurer sa haine. Non, non, tous les supplices plutôt que renoncer à la haine de Dieu. Le damné, c’est l’homme du ressentiment, qui tient à son ressentiment comme à la prunelle de ses yeux. Encore une fois, voyez autour de vous, et voyez en vous.

Nietzsche.

Le ressentiment, c’est la haine vengeresse qui se donne une mauvaise joie. Se venger de Dieu, des autres, du monde, de tout. Et l’homme du ressentiment n’est pas l’homme du passé. Il est lié à la trace présente, il ne cesse de gratter cette trace au présent que le passé a laissé en lui. La plus petite amplitude pour le maximum de haine.

Bergson.

Liberté de Leibniz // liberté de Bergson.

Qu’est-ce qu’un acte libre au présent ? La plupart des contempteurs de la liberté disent des choses grotesques. La liberté, c’est le motif + la durée. La vérité est que le moi se modifie en fonction de la durée des motifs. C’est le résultat d’un processus dynamique d’états dans le moi. Rien à voir avec la liberté existentielle de Sartre.

(Episode des cachets pour la gorge.)

Les déterministes ne peuvent rien devant l’acte au présent – ils ne peuvent que revenir au passé et y voir des « causes » du présent. Or, à supposer qu’on connaisse tous les antécédents d’un acte, on ne peut pas prédire l’acte. Les antécédents de l’acte ne suffisent pas à déterminer l’acte. Personne ne peut penser l’acte avant qu’il ne se fasse - encore une fois, Minority report. Mais Dieu qui sait tout d’avance, comment ça marche ? Qu’est-ce que ça veut dire « savoir tout d’avance » ? Est-ce que cela implique que savoir les antécédents va avec le déterminisme de l’acte ? Dieu, qui sait tout, est-il capable de prévoir cet acte ? Pour un problème, c'en est un.

Whitehead.

La vérité est que Dieu passe par toutes les étapes des monades. Chaque monade est le résultat d’une vue de Dieu. Il y a un passage de Dieu dans chaque monade. A mettre en rapport avec le passage de la nature de Whitehead. Dieu passe dans chaque monade et dans tous ses états. Chaque monade inclut ce passage.

Dieu n'est pas moi, mais passe en moi // le royaume des cieux est en vous, mais pas vous. 

Dieu est éternel, ça signifie quoi ?

Dieu passe par tous les états de la monade. Donc, il coïncide avec chaque monade. Il fait l’acte de la monade en même temps qu’elle fait cet acte. Donc, Dieu ne devance pas l’acte mais l’accompagne. C'est cet accompagnement qui est éternel. Dieu m'accompagne éternelle. Il me suit comme mon ombre. A moi d'être humble et de regarder par terre, et de le voir. L'ombre, c'est que je vois par terre mais qui est illuminée du ciel (Chabrerie.)

Devancer n’a, de toutes façons, aucun sens - même pour Dieu. Dieu accompagne le présent de l’acte en train de se faire. Dieu accompagne la monade (comme l’ombre accompagne ma silhouette – et mon ombre, c’est le Christ !) Le monde ne commence jamais plus tôt ou plus tard pour Dieu. Le monde commence au moment où il se fait. L’éternité ne devance pas, elle passe. L’éternité passe dans tous les états, dans toutes les monades. Dieu coïncide avec moi à tout moment. Dieu est là à tout instant. Dieu ne me devance pas. Dieu fait l’acte en même temps que moi (ou me voit le faire si je fais mal ?)

La liberté est donc un présent en acte ou un acte au présent.

La liberté, unité du mouvement en train de se faire.

L'éternité, c'est l'accompagnement de Dieu pour toutes les monades.

L'éternité, présent perpétuel.

 

 

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La Chabrerie, Château l'Evêque.

 

La moralité comme progrès.

Mais si la liberté est sauvée, comment va-t-on sauver la morale ?

La morale n’est plus adéquation avec la nature mais progrès de la raison (en ce sens, Leibniz est très XVIIIème, pré-kantien).

Le meilleur des mondes possibles, c’est la suite la plus parfaite possible. Au sens musical.

Je progresse si mon âme augmente son amplitude – mon département, ma région éclairée, mon quartier. Je peux augmenter mon quartier - c'est là mon entière liberté : non pas être autre, mais être moi en mieux. Quoique ma région éclairée varie en fonction de mon âge, ma santé, ma forme, ma bonne ou mauvaise humeur. Il s’agit moins de l’étendre que de l’approfondir – en développer la puissance, « la porter à sa distinction », comme on dit au XVIIème.

Il faut que je trouve en moi ce qui se distingue... en moi. Quelle est la meilleure partie de moi-même ?

Augmenter l’amplitude de mon âme  =  donner un sens à la tendance au meilleur. Pourquoi vaut-il mieux travailler qu’aller à la taverne ? Parce que l’amplitude que donne la taverne est moindre par rapport à l’amplitude d’aller au travail. La tendance au meilleur, voilà la seule morale. Mais c'est une tendance personnelle. Par exemple, pour mon père, mieux vaut que je fasse des mathématiques plutôt que de la philosophie (sa morale à lui) alors que moi, je sais qu'il vaut mieux que je fasse de la philosophie plutôt que des mathématiques (ma morale à moi, mon amplitude.) Distinguer et affirmer mes amplitudes. Progression de l’âme.

Le truc, c’est que nos progrès s’entrechoquent. Parce que du fait que nous sommes dans le même monde, si je progresse ici, si je prends de l’amplitude là, j’en prends à mon voisin, et s'il en prend lui aussi, il m'en prend un peu à moi, et ainsi de suite. Il y a redistribution des progrès et des régressions.

Mais comment s’en sortir si l’on se bouffe chacun l’un l’autre ?

Qu'est-ce que c'est que cette lutte atroce pour l’existence morale et réelle ? Qu'est-ce que cette vie pourrie dans laquelle Dieu nous a mise où il faut tuer l'autre pour pouvoir exister ?

Non, il y a autre chose. 

 

Je pré-existe à moi-même depuis le début du monde.

Les monades sont soumises à l’ordre du temps.

D’abord, il y a ma naissance civile (au sens juridique), soit le moment où je suis devenu créature réelle et raisonnable.

Mais mon âme est là depuis le début du monde, comme mon corps était là, infiniment replié dans la semence d’Adam. Mon âme existait en tant qu’âme sensitive et animale. Mon corps comme pli du Premier Homme. Ensuite, la création s’est dépliée, et je suis arrivé coucou me voilà. Et au fond, ma raison y a été déjà établie – préétablie. Mon âme, mon corps, et ma raison étaient scellés dans la semence d’Adam. L’histoire du monde n’est qu’un gigantesque dépliement, dépliement infinie. Le dernier né est déjà dans le premier né.

« La cause de Dieu défendue par la conciliation de sa justice avec ses autres perfections » & 82. Si j’existe depuis le début du monde dans la semence du monde, et avec une âme animale, la raison ne préexiste pas. Et pourtant…. Si. La raison est pré-établie sous la forme d’acte scellé « portant effet ultérieurement. » Bref, je pré-existe à moi-même depuis le début du monde, comme âme sensitive et animale mais aussi comme raison. Mais qu’est-ce qui distingue ces âmes destinées à devenir des humains à celles destinées à devenir des animaux ? Qu’est-ce qui distingue l’âme animale humaine et l’âme animale animale ??? Eh bien, simplement : cet acte scellé « portant effet ultérieurement ». Les âmes scellées seront élevées le moment venu.

Mais qu’est-ce que cet acte scellé ? Une lumière destinée à s’allumer plus tard. La raison comme lumière. Sinon, la monade est entièrement noire. Ma naissance est le moment de mon élévation à l’étage supérieur. Le moment où la lumière s’allume dans la monade noire.

Je dormais dans la semence de mes ancêtres, dans la nuit noire d’avant ma naissance. Je nais, mon âme devient raisonnable, la lumière s’annule. Et quand je meurs, j’involue à nouveau. Je redescends d’un étage, je redeviens âme sensitive et animale, je me replie….. MAIS comment Dieu va-t-il faire pour me retrouver si je retourne entièrement à ma nuit noire ?  Par le nouvel acte scellé que j’emporte avec moi et qui n’est autre que mon acte de décès – c’est-à-dire ma dernière pensée raisonnable.

L’acte de décès, c’est ma dernière pensée raisonnable, et c’est pour cela qu’elle est capitale, car d’elle va dépendre mon éternité. Et si la dernière pensée d'un tel est  « je hais Dieu »  (ou Tartempion, papa, maman, trucmuche), il est mal parti. [Donc, on peut damner quelqu’un en l’envoyant à Dieu dans la haine // Hamlet et le roi : le tuer dans le péché, non dans la confession. Mais alors, on peut envoyer quelqu'un en enfer sciemment ? Il s'agirait de l'énerver, de lui faire commettre le pire péché et de le tuer à ce moment-là. Le truc, c'est que l'on risque soi-même de se retrouver en enfer plus que lui, sans "circonstances atténuantes."]

 

 

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La résurrection.

Après le décès, toutes les âmes raisonnables repassent à l’étage du dessus, leurs corps se re-déplient en corps glorieux, subtil, ou infâme, et elles sont jugées. Et les damnés sont ceux qui se réveillent comme ils sont morts – en haïssant Dieu ou Trucmuche. Chacun se réveille selon sa dernière amplitude, et chacun est rétribué selon son dû.

[Et qu'en est-il du suicidé, mon Dieu, qui est mort... en se haïssant, lui ???]

Donc, chacun son dû. Et cela change tout. Car les damnés font de la place. Dès lors, mes progrès ne sont plus là pour faire régresser les autres. La vie n’est plus une lutte pour la vie, contre les autres (ce qui serait abominable, un monde capitaliste sans pitié où chacun ne pourrait exister qu'en prenant la propriété des autres). Non, mes progrès ne se font plus au détriment des autres. Et grâce à qui ? GRACE AUX DAMNES !!!

En fait, c’est parce qu’il y a des damnés que les bienheureux peuvent cohabiter sans se marcher dessus. L’amplitude du monde est ainsi respectée. Quand je fais du bien, je ne prends pas ce bien à un autre, non, je le prends grâce à celui qui fait du mal. On peut tous progresser grâce aux damnés. Parce que les damnés réduisent leur amplitude de leur âme au maximum, ils réduisent leur département à rien, sauf à la haine de Dieu -  et c’est cette réduction d’amplitude qui permet d’élargir la nôtre. Ils renoncent à leur propre amplitude au crédit des nôtres.

Et c’est là, leur vraie punition. Ils servent à l’amélioration des autres, non pas en donnant un exemple négatif effrayant et édifiant – mais parce qu’ils fonctionnent comme une entropie négative. Ils déchargent dans le monde des quantités de progrès possible, utilisables pour d’autres. Ils déchargent des quantités de clarté auxquelles ils renoncent volontairement, par pure haine, et qui leur revenaient de droit. Les damnés ont renoncé à leurs propres droits. Personne ne prend rien à personne, tout le monde trouve son quartier et peut même l’élargir grâce aux damnés qui ont rétrécit le leur. On a plus de place parce qu’ils se sont exclus de la leur. On a plus de possibilité de s’aimer parce qu’ils ont renoncé à leurs quantités d’amour, et c’est nous qui les récupérons.

Bref, la punition du mal est qu’il sert le bien, à son corps défendant, son corps étroit, minable, haineux.

Les damnés se sont retirés volontairement de la progression de l’humanité et de fait ont permis aux autres d’user de leurs propres trésors. Le damné est celui qui abandonne son trésor au bienheureux. Et croyant faire le mal, il fait le bien -  ou plutôt il fait que d’autres peuvent faire le bien à sa place. D’où le rôle « physique » des damnés. D'où le rôle entropique du diable – non pas punir le monde, mais le rendre plus clair et meilleur.

[Les damnés nous servent, mais il ne faut pas en abuser.

Mettre le diable à notre service (ou au service de Dieu) contre lui.

Jouer un bon tour au diable.

Faire souffrir le diable.

Devenir Merlin.]

 

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Un bon site sur Deleuze : http://www.scoop.it/t/gilles-deleuze

 

 

De quelle droite suis-je le nom ?

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 Sur Causeur

 

 

On ne s’arrache ni à l’histoire ni à son sexe

 

 

 

droite gauche baudelaire

 

 

Je suis de droite car je crois à l’unité, à la clarté et au préjugé. L’esprit critique me hérisse, le constructivisme me débecte, la prétention à être un adulte face à Dieu me donne des envies de bûcher. Par tempérament (et quand on est de droite, on est plus sensible au tempérament qu’à la raison), je préfère la table ronde à la table rase, l’abnégation à la révolte, l’ordre injuste au désordre encore plus injuste. J’accepte volontiers le devenir des choses et des êtres mais à la condition sine qua non que l’on n’abolisse jamais l’être. Je suis de droite parce que je pars de l’être et non du devoir ou du vouloir-être. Le seul vouloir qui vaille est le vouloir-vivre. Dieu nous l’a donné en même temps qu’il nous a donné la possibilité de le maîtriser. Dans l’Ancien Testament, Dieu nous donne la vie (avec la cruauté et le plaisir qui vont avec), dans le Nouveau, il nous donne l’amour (avec le pardon, la consolation et le salut qui vont avec). Je suis de droite parce que je préfère le moi à la collectivité mais que je ne prends pas la collectivité pour  moi.

Je suis de droite parce rien ne me paraît plus abjecte que l’ipséité, cette volonté prométhéenne de se construire de soi-même par soi-même– c’est-à-dire à partir de rien. Je suis de droite parce que je raisonne toujours à partir du déjà-là, du passé, de l’inné. Je suis de droite parce que je suis empiriste plus qu’idéaliste. Je peux adhérer au progrès, quoique de manière conjoncturelle, mais je refuse cette croyance contemporaine qui consiste à vouloir liquider le négatif. Le négatif, c’est ce qui permet de vivre et de penser – et accessoirement d’être heureux. Le bonheur consiste à accepter les limites du réel. Et si l’imagination est, comme l’orgasme, un don de Dieu, il ne faut pas prendre son slip pour une tasse à café comme aurait dit Pierre Dac. Dans mon système de valeurs, Prométhée mérite qu’on lui arrache son foie tous les jours et Ulysse est admirable de vouloir rentrer chez lui (et d’y massacrer tous les prétendants étrangers.) Et cela n’est en rien incompatible avec la réconciliation goethéenne de Dieu et du diable – sous condition évidemment que le diable fasse allégeance à Dieu comme la gauche devrait faire allégeance à la droite.

Car, encore une fois, la pensée de droite (ou « réactionnaire », ou « classique », ou « orthodoxe », comme on voudra) ne consiste pas à opposer les dogmes de la vraie religion à la raison, comme s’acharne à le faire la pensée de gauche, mais bien à les accorder. Je suis de droite bonaldienne parce ce que je crois qu’il y a un accord de toute éternité entre les dogmes de la religion et ceux de la raison – et une analogie en toutes choses, intelligibles, sensibles et organiques. Je suis de droite cratylienne car je ne crois pas au métalangage : les mots sont les choses, signifient les choses et non pas ce qu’on veut qu’elles signifient, comme le dit Humpty Dumpty dans Alice, et cité par ce sophiste classieux de Deleuze. Je suis de droite maistrienne parce que la révolution, autre que chrétienne, me semble le mal absolu. Je suis de droite libérale mais libéral modéré et ordonné, façon Pompidou, avec un bon frein colbertiste. Je suis de droite parce que je préfère la lumière des siècles au Siècle des Lumières. Je suis de droite parce que je considère que vont ensemble les Riches heures du duc de Berry, L’Angélus de Millet et L’Origine du monde de Courbet -  soient le soleil, le clocher et ces « moiteurs éternelles » dont parlait Muray. Je suis de droite solaire parce que la photosynthèse me semble être le premier et le dernier mot de la politique réelle, sinon de la vie. La seule politique qui vaille est celle qui entérine la coutume, coupe les branches mortes s’il y en a, nourrit et éclaire les vivantes.

La seule science qui vaille, d’ailleurs plus vitaliste que mécaniste, plus biologique que moléculaire, est celle qui s’agenouille d’abord et avant tout devant la rose sans pourquoi. La seule attitude morale qui vaille est celle qui consiste à ne pas  s’arracher de son histoire par volontarisme dégénéré.  On ne s’arrache pas à l’histoire pas plus que l’on ne s’arrache à son sexe. L’enracinement et la différence sexuelle sont les deux mamelles de la vraie humanité, car contrairement à ce que dit la théorie du genre, ma bête noire, autant que les handicapés qui prétendent qu’elle n’existe pas, on est homme et femme avant d’être être humain. On est de la terre, et de sa terre, avant d’être du monde ou de la planète mars.

Même si évidemment, les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus, contrairement aux schtroumpfs anorexiques qui viennent de Pandora. « Ciel et terre », « Soleil et lune », « or et argent », « jour et nuit », « yang et ying », « air et terre », « feu et eau », « divinités célestes ou lumineuses et divinités chtoniennes ou nocturnes », « cru et cuit », « chasse et cueillette », « viande et végétal », « droite et gauche », « carré et rond »,  « ligne droite et ligne courbe », « saillant et creux », « dur et souple »,  « intensité et durée », «forme et matière », « transmission et incarnation », « abstrait et concret », « conceptuel et charnel », « activité et passivité », « public et privé », « politique et économie »,  « orientation spatiale et orientation temporelle », « présent comme rappel du passé et présent comme promesse du futur », « culture et nature », « objectivité et subjectivité », « raison et émotion », « pouvoir et puissance », « théorie et pratique », « domination et médiation »,  « conflit et dialogue », « autorité et conciliation », « classicisme et romantisme », « dispersion et sélection », « institution et coutume », « action et parole », « relation aux objets et relation aux êtres », extérieur et intérieur », « extension et concentration », «  transcendance et immanence », « faire devenir et laisser être », « lois et mœurs », « maîtrise et communication », « continu et discontinu », « unité et multiplicité », etc, etc,  sont autant de façons, et comme le rappelle Alain de Benoist, de dire « HOMME ET FEMME » (sinon « mort et vie », ça, c’est de moi.)

Les complications et les inversions existent et elles sont (presque) toutes bandantes. Il faut les reconnaître, les assumer,  les aimer, les vivre, mais ne surtout pas les institutionnaliser. Si la théorie du genre n’était qu’une esthétique, j’en serais avec joie. Le problème est qu’elle se veut une éthique – donc, lance-flammes. On peut dire d’un homme qu’il est féminin et d’une femme qu’elle est masculine à la condition qu’on reconnaisse que « féminin » vient de femme et que « masculin » vient d’homme. Parce que le corps est notre destin, le sol notre salut, la liberté la possibilité accordée par Dieu de comprendre notre nécessité. On ne dit pas « je pense » comme Descartes mais « ça pense en moi » comme Schopenhauer, Nietzsche, Lacan ou Deleuze. Quoiqu’il faut bien se garder de penser avec ce dernier, esprit aussi brillant que boiteux, cette aberration totale que fut « le corps sans organes ». Le corps sans organes, ça n’existe pas. C’est une contradiction comme une roue carrée ou deux plus deux qui feraient cinq. Sur ce point, Deleuze trahit odieusement Nietzsche et son sens de la terre, et en a pour quelques siècles de purgatoire. Je suis de droite parce que je suis plein d’indulgence pour les boiteux mais plein de férocité pour les esprits boiteux. Je suis de droite enfin parce que je ne suis pas idéologique et parce qu’il n’y a pas d’idéologie de droite.

Celui qui ne like pas ce statut est désormais mon ennemi.

 

La chanson des exclus

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trisomiques
 

 Sur tak

 

 

Ça commence par un portrait de femme, une belle femme, Eléonore, qui a « un teint d’opale », « des lèvres pulpeuses », « des yeux effilés en amande qu’une pointe d’espièglerie vient éclairer à tout instant » et que sa famille traite comme une fée. Comme d’autres personnages de cet essai1écrit comme un roman d’amour, Eléonore est une jeune fille trisomique – soit une miraculée, puisqu’en France 96 % des fœtus trisomiques ne voient pas le jour selon un dispositif médical, institutionnel et « moral » qui incite toutes les mères qui en attendent un à avorter, parce que comme le dit Jean-Didier Vincent, le neurobiologiste le plus en vue de sa corporation, invité récurrent des plateaux de télévision, académicien et tout et tout, les trisomiques « sont quand même un poison dans la famille »2.

Sans compter le « il sera malheureux plus tard, tu sais… » ni le « vous faites l’erreur de votre vie, Madame » répétés ad nauseam aux mères qui tiennent « quand même » à mettre au monde leur « fœtus incorrect » et que l’on culpabilise… de ne pas avorter.

« Différence » pour tous. Sauf pour les trisomiques

Pour autant, et Bruno Deniel-Laurent clarifie de suite sa position, son livre n’est pas une façon détournée de remettre en question la loi Veil. Mais simplement de s’interroger sur une société qui met tout en œuvre pour liquider ses imparfaits et fait en sorte qu’il n’y aura bientôt plus aucun trisomique dans nos parcs, nos bibliothèques et nos musées. « Pas un centime public n’est accordé à la recherche thérapeutique, mais des fortunes sont dépensées pour affiner la chasse aux mauvais profils chromosomiques : en France, priorité est donnée à la traque. » Triste paradoxe d’une République « fraternelle » qui ne cesse de glorifier la « différence » alors qu’elle veut abattre l’altérité.

Il est vrai que ceux qu’on appelait à l’époque de Victor Hugo les « mongoliens »3 n’ont jamais eu de chance avec la science – et c’est toute la vertu de ce petit opuscule de nous rappeler que du racisme scientifique du XIXe siècle à l’eugénisme d’Etat qui règne aujourd’hui dans le nôtre, en passant par le programme « Aktion T4″ mis en place par Hitler et qui était destiné à gazer – quoique sans douleur, on est humain – les handicapés mentaux, et, plus étonnant, par le féminisme radical d’une Clémence Royer (1830-1902), darwinienne conséquente bien décidée à exterminer faibles et débiles [4], il y a un lien que ceux qui organisent cette « éradication charitable » ne veulent évidemment pas dévoiler.

Comme avec la théorie du genre et autre aberrations faustiennes, dès qu’un dispositif fâcheux est mis en place dans une société, toutes les instances qui en sont responsables dénient de manière formidable celui-ci.

Comme le dit lui-même Deniel-Laurent, « si la politique d’eugénisme actif du Troisième Reich est si mal connue en France, c’est peut-être parce que l’appareillage théorique qui la justifiait est puissamment ancré dans la pensée occidentale contemporaine. Le racisme biologique n’est plus à la mode, nous croulons depuis un demi-siècle sous la reductio ad Hitlerum et l’heure est à la célébration spectaculaire de l’antifascisme mais le déni d’humanité du fœtus handicapé est plus que jamais affirmé ».

Médecins nazis malgré nous, aurait dit Molière. Peu de différence, au fond, entre le surhomme de hier et le transhumain d’aujourd’hui.

Transhumain contre trisomique.

C’est que le transhumanisme est le spectre qui hante notre monde. A l’heure du cybersex, « l’homme augmenté » n’est plus un fantasme de science-fictionneux. L’obsession générale est d’en finir une bonne fois pour toutes avec les limites. Limites du corps, du sexe, du chromosome. « Affirmant leur volonté d’abolir nos “tristes” limites biologiques (la maladie, le handicap, la laideur, la vieillesse, la mort), les transhumanistes réclament ainsi le droit inaliénable et illimité de chaque être humain à pouvoir faire de son corps le terrain d’expérimentations nouvelles, en l’augmentant au moyen de technologies nanorobotiques, de manipulations génétiques, de modifications biochimiques. »

L’hybris techniciste, tellement bien vu par Heidegger, devrait nous arranger le coup. Et « »l’éthique » utilitaro-libérale anglo-saxonne, inspirée de John Stuart Mill, et mélangée à la sauce française derrido-deleuzienne (déconstruction et déterritorialisation étant en effet les deux matrices du dispositif), devrait nous enrober tout ça dans un beau plan sociétal acceptable par tous. On comprend dès lors que pour le transhumain, le trisomique soit l’ennemi absolu – celui qui limite les choses, le désir, le travail. Il coûte cher en plus, le gogol !

Non, la seule chose que l’on puisse faire pour lui, si malheureusement il n’a pas été avorté à cause d’une mère aliénée à un credo d’un autre âge, c’est développer au maximum ce nouveau droit underground relatif au « préjudice d’être né », et telle que la célèbre affaire Perruche, en 1989, l’avait pour la première fois suscité en France. En clair, si demain, il y a encore des trisomiques, il faudra qu’ils aient le droit de condamner leur mère, ou le médecin « irresponsable » qui a conseillé celle-ci de ne pas avorter, à leur verser une indemnité pour les avoir mis au monde. Cette jurisprudence pourrait alors s’étendre pour le plus grand bonheur de la nouvelle transhumanité. « La hiérarchisation des fœtus va donc devenir chaque jour plus subtile et, qui sait, ce seront sans doute demain les malentendants, les hémophiles, les sclérosés, les becs-de-lièvre ou les diabétiques que l’on décidera d’écraser dans les utérus. »

Il ne faudrait pourtant pas croire qu’Eloge des phénomènes n’est qu’un pamphlet érudit dans lequel on s’en prend à la France des imbéciles au nom des idiots. Comme son titre l’indique, il s’agit avant tout d’une apologie magnifique, humaine, et risquons le mot, chrétienne, des créatures les plus singulières de Dieu, à laquelle s’ajoute un plaidoyer pour « le plus merveilleux des attributs féminins »,à savoir « la capacité d’amour inconditionnée de la mère », amour tellement mis à mal par les eugénistes. C’est enfin un livre qui se lit comme une ode à la singularité, la vraie, comme une prière faite aux innocents, les vrais, ou comme une « chanson des exclus » pour reprendre le titre d’un poème composé par Nathalie Nechtschein. Car oui, les trisomiques peuvent aussi écrire des poèmes…

 

Éloge des phénomènes - Trisomie : Un eugénisme d'État
 


  1. Bruno Deniel-Laurent, Éloge des phénomènes. Trisomie : un eugénisme d’État Max Milo Éditions, 2014.
  2. Et dont on peut entendre la très franche déclaration ici ainsi que la réponse bouleversante d’Éléonore Laloux.
  3. Et pour la raison que leur malformation physique rappelait le physique des Mongols de Mongolie – vive le Progrès !
  4. Clémence Royer (1830 – 1902), une sorte de Caroline Fourest de l’époque, philosophe féministe intégriste, « militante infatigable de  la libre pensée, ennemie acharnée des religions révélées, cofondatrice du Droit humain (la première obédience maçonnique mixte) » et aussi « eugéniste conséquente et raciste patentée », ayant traduit L’origine des espèces de Darwin et qu’elle avait préfacé ainsi : « La loi d’élection naturelle appliquée à l’humanité fait voir avec surprise, avec douleur, combien jusqu’ici ont été fausses nos lois politiques et civiles, de même que notre morale religieuse. Il suffit d’en faire ressortir ici l’un de moindres vices : c’est l’exagération de cette pitié, de cette charité, de cette fraternité, où notre ère chrétienne a toujours cherché l’idéal de la vertu sociale ; c’est l’exagération du dévouement lui-même, quand il consiste à sacrifier toujours et en tout ce qui est fort à ce qui est faible, les bons aux mauvais, les êtres bien doués d’esprit et de corps aux êtres vicieux et malingres. Que résulte-t-il de cette protection exclusive et inintelligente accordée aux faibles, aux infirmes, aux incurables, aux méchants eux-mêmes, à tous les disgraciés de la nature ? Combien n’existe-t-il pas de ces êtres incapables de vivre par eux-mêmes, qui pèsent de tout leur poids sur des bras valides, et qui dans la société où ils languissent, à charge à eux-mêmes et aux autres, prennent à eux seuls plus de place au soleil que trois individus bien constitués ! Mieux encore ! Pendant que tous les soins, tous les dévouements de l’amour et de la pitié sont considérés comme dus à ces représentants déchus ou dégénérés de l’espèce, rien au contraire ne tend à aider la force naissante, à la développer, à la multiplier. A-t-on jamais bien sérieusement songé à cela ? » Adolf y songera très sérieusement, lui.

 

A LIRE ABSOLUMENT SUR LE MEME SUJET  : La guirlande d'Eléonore, par Sarah Vajda

 

 

Mécanique du genre

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 Sur TAK

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John Money, père pédophile fondateur de la nouvelle humanité asexuelle et dont on peut voir la jolie histoire ici (en anglais.)

 

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Norrie May-Welby, première représentante mondiale du "troisième sexe" (cf sa carte d'identité "no specified", plus bas)

 

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Thomas Lobel (désormais "Tammy") entre ses deux mamans d'amour.

 

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Tomboy, film d'amour fétiche des précédentes - avec un petit garçon, une petite fille d'amour trognonne.

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Naître père, docu d'amour de Delphine Lanson avec deux papas de coeur (et deux mamans d'ultra amour, celle qui a fécondé et celle qui a porté.)

 

 

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 Individu sans amour de l'ancien monde qu'il s'agit de rééduquer en lui montrant les dits films d'amour et de coeur.

 

 

A tous les genres de révisionnistes

 

« Il est très difficile à un homme de défendre ce dont il est totalement convaincu,écrivait Chesterton, alors qu’il lui est relativement plus facile de défendre ce dont il n’est que partiellement convaincu. » Est-ce la raison pour laquelle il est tellement difficile de combattre la théorie du genre auprès de ceux qui la défendent et dont la rhétorique première est d’abord de ne jamais la nommer telle quelle et d’échapper ainsi à toutes les critiques qu’on pourrait lui faire ? S’il faut lire le dernier essai d’Alain de Benoist, Les démons du bien, c’est d’abord parce qu’il démontre comment cette théorie, déjà devenue une pratique, s’est imposée à peu près partout, institutions, écoles, discours officiels, tout en faisant croire que, comme le diable, elle n’existe pas.

 

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A Egalia, l'école d'amour de l'égalité, on ne discrimine personne sauf les sexes !

 

Atomisme, mon ami

Dans ce nouvel ordre moral, panoptique et transparent qu’est notre post-monde, seul les experts ont droit de cité. Pour penser, il ne faut plus se référer, comme autrefois, au bon sens ou au préjugé, au conte de fée ou à la théorie des climats, aux dogmes de la religion ou à ceux de la raison, qui du reste allaient ensemble, mais au spécialiste. « La spécialisation,écrit Marcel Gauchet, cité par Alain de Benoist, nous entraîne dans un étrange univers du semblant où l’on pense sans penser. L’expertise rend le monde incompréhensible au nom de son déchiffrement. L’intelligibilité des choses s’engloutit dans un amoncellement de connaissances inutilisables. » L’expert, celui qui complique le réel pour mieux cacher sa complexité et le faire échapper à la saisie des autres. Parce que les vrais gens pour qui un chat est un chat, on sait ce que c’est.

Et comme le langage résiste, alors on s’en prend à lui, espérant que si certains mots disparaissent (comme le merveilleux « mademoiselle » jugé, hélas, trop sexiste, mais aussi « père » et « mère » qu’on a remplacé, pour ne vexer personne, par « parent un » et « parent deux »), les mauvaises choses qu’ils dispensent disparaîtront d’elles-mêmes – à commencer par l’enracinement et la différence sexuelle.

L’appartenance terrienne ou biologique est en effet le mal absolu qu’il faut combattre à mort – et selon cet impératif catégorique que l’amont doit céder en tout point à l’aval. Seule l’émancipation absolue de l’individu constitue en effet, « en aval », la dignité de la nouvelle humanité. Le passé est ringard. L’ombilical fasciste. La terre menteuse. Qu’importe d’où l’on vient et avec quel sexe, la seule chose qui importe, « c’est mon choix », et rien d’autre. A l’époque du mariage pour tous, l’autonomie doit être totale ou n’être pas. La seule (dé)mesure permise réside dans le soi-même. Il est vrai que l’hybride va comme un gant à celui qui est persuadé que ce qu’il est, il l’est de lui-même par lui-même pour lui-même. Son atomisme, le possédé du bien, le revendique haut et fort. Comme Dieu, il est sa propre cause.

 

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Avec Judith Butler, le réel n'a qu'à bien se tenir.

 

 

Déni de genre, quand tu nous tiens.

Apportant le flou sexuel, il allait de soi que la diffusion de cette théorie soit tout aussi floue. Procédant comme les racistes qui jurent leurs grands dieux qu’il n’y aucun racisme dans leur approche de l’Histoire, de l’actualité ou de l’éducation, les théoriciens et les praticiens du genre commencent par dire que celle-ci n’existe pas. Et c’est à ce moment-là que le débat devient impossible avec eux (mais sans doute parce qu’ils n’en veulent pas, au fond, du débat, et pour la bonne raison qu’ils savent pertinemment que personne n’en veut de leur théorie à la noix) car on a beau leur signaler toutes les références culturelles, pédagogiques et ministérielles faites au genre depuis des années, leur réponse consiste toujours à dire que du fait que la « théorie du genre » n’apparaît pas énoncée comme telle, elle n’a aucune réalité et ses contempteurs sont au mieux des rêveurs, au pire des complotistes.

Pourtant, surgi la première fois en 1988 dans le milieu féministe français, intronisé en septembre 1995 dans une conférence sur les femmes à l’ONU, adopté dans ses résolutions par le Parlement européen en mai 2011 au prétexte des violences faites aux femmes, cité au moins vingt-deux fois dans un texte sur les Droits fondamentaux établis en décembre 2012 par les parlementaires européens, apparu la même année dans les manuels SVT Hachette et Nathan destinés aux lycéens de première, cité nommément dans un discours au Parti Socialiste en 2012 dans lequel on proposait que « la déconstruction sexuée » soit enseignée « dans le cadre de l’école de la République, dès le plus jeune âge », rapporté dans une nouvelle « loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République », elle-même adoptée en première lecture à l’Assemblée Nationale le 19 mars 2013, le terme de « genre » n’a cessé d’être employé, imposé, instauré partout1 et par ceux-là mêmes qui montent sur leurs grands chevaux quand on le leur démontre que donc, oui, grâce à leurs soins, celui-ci s’est inscrit dans les institutions.

« Eh bien non, rétorquent-ils, tout cela, c’est du délire droitiste, il n’a jamais été question de genre, mais seulement de combattre les discriminations et les stéréotypes. » Mais mince, on n’a pas rêvé  ? C’est bien Vincent Peillon lui-même, ministre de l’Education Nationale, qui a dit, le 2 septembre 2012 dans un entretien accordé à L’Express, que le but des nouveaux programmes scolaires était, au nom de l’égalité, « d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, et intellectuel », ce que propose en plein la théorie du genre  ! Et c’est bien Christiane Taubira qui a confirmé cet enjeu en déclarant à la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale, le 28 février 2013, qu’en effet L’Education visait « à arracher les enfants aux déterminismes sociaux et religieux et d’en faire des citoyens libres » ? « Mais justement, esquivent encore nos genristes, où voyez-vous qu’ils emploient le mot “genre” dans ces phrases, hein, hein  ? Ils parlent d’égalité, de liberté, pas de genre.  » A ce moment-là de la discussion, il faut bien avouer que la moutarde commence à monter au nez. Voici des idéologues qui, à l’instar des révisionnistes, exigent qu’on leur apporte « la preuve » de ce que l’on avance – sauf qu’aucune preuve ne leur apparaît assez « officielle » pour être prise en compte. Ainsi, un instituteur, qui s’inspirerait de la théorie du genre dans ses cours ne pourrait jamais être soupçonné de le faire s’il n’a pas, avant tout, titrer au tableau, en gros et souligné trois fois  : « Théorie du Genre  ». Pas de preuve, pas de chocolat.

L’intérêt de l’enfant n’a, de toutes les façons, qu’un médiocre intérêt par rapport aux désirs des adultes, les seuls ayant le droit d’être légitimés à tout vat. A la limite n’est-il plus qu’un  »partenaire » des parents, comme le fait remarquer Aldo Naouri, cité par Alain de Benoist, qu’il faut séduire plutôt qu’éduquer – comme on a payé sa mère porteuse. A l’époque de Naître père, ce documentaire édifiant sur l’homoparentalité et la PMA2, la parenté qui, jusqu’à présent, était un fait biologique, est devenue un pur jeu de rôles. Chacun peut être père ou mère, qu’il soit homme ou femme, homo ou hétéro, transe ou sans opinion, et qu’il ait envie d’engendrer ou non. Mais encore une fois, genristes et égalitaristes ne veulent rien voir ni entendre.

 

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Il, elle - Haine du "il" et "elle". Hen.

 

Freaks, que me voulez-vous ?

Qu’on ne leur parle pas du cas de Thomas Lobel, ce petit garçon de onze ans, élevé par deux lesbiennes californiennes et qui s’est vu imposé par son papa et sa maman un traitement hormonal destiné à bloquer sa puberté masculine et à lui faire pousser des seins, afin qu’on l’élève comme une fille et qu’on l’appelle Tammy. Ni de celui de Norrie May-Welby, cette australienne née homme cinquante-deux ans plus tôt, opérée à vingt-huit, et qui non content de se définir, avec la fierté que l’on comprend, comme « androgyne anarchiste », est parvenue à se faire reconnaître officiellement comme la première personne « neutre » du monde dans la constitution de l’Etat de Nouvelles-Galles du Sud où elle réside.

Tout cela, pour nos idéologues, toujours plus têtus que les faits, ne sont que des cas d’école, limite hoax, dont on ne saurait tirer « la preuve » d’une soi-disant « genrisation » de la société. Quant à Egalia, cette sympathique école maternelle de Stockholm, qu’on croit sortir d’un épisode du Prisonnier3, et qui se propose de désapprendre les stéréotypes aux enfants en bannissant purement les prénoms masculins et féminins, forcément discriminatoires, mais aussi les pronoms personnels, d’essence fasciste, remplaçant les « il » et « elle » d’un autre âge par la seule forme neutre et non coupable  : « hen », c’est encore une exception, d’ailleurs pas si grave qu’on voudrait bien faire croire, et qui n’a, de toutes façons, aucune chance de s’imposer en France. Le mondialisme, connais pas  ! Toujours prêts à se définir citoyens du monde, nos idéologues du genre se retrouvent brusquement irréductibles gaulois quand on leur fait remarquer que leur théorie pourrait finir par pénétrer nos frontières, en tous cas s’en rapprocher.

Pourtant, le premier novembre dernier, l’Allemagne était le premier pays européen qui adoptait officiellement la possibilité d’inscrire « sexe indéterminé » sur le certificat de naissance des nourrissons en vertu d’une haute recommandation de la Cour constitutionnelle qui estimait que « le genre ressenti et vécu est un droit humain de base ».« Le troisième genre », premier aboutissement logique, conçu et imposé comme tel, de la théorie du genre, était officiellement né dans un pays voisin et premier partenaire du nôtre. Ce qui n’empêchait pas Olga Trostiansky, présidente du Laboratoire de l’égalité, d’expliquer tranquillement, le trois février 2014, à Libération : « Ce qu’il est important de comprendre, c’est que la théorie du genre, ça n’existe pas. Il y a un certain nombre de chercheurs et de chercheuses qui travaillent sur le genre depuis des années, en France et à l’international. Ceux qui parlent de « théorie du genre », ce sont ceux qui veulent voir une doctrine impulsée par le gouvernement, mais ce n’est pas le cas. »

Face à un tel déni, on comprend alors la colère de certains. Farida Belghoul a sans doute exagéré son cri d’alarme à propos de l’introduction dans les écoles du fameux « ABCD de l’égalité », imaginant d’improbables cours de masturbation, il n’en reste pas moins que si sa « journée de retrait de l’école » a remporté un large écho auprès des familles, c’est sans doute parce que celles-ci avaient bien vu l’essentiel de ce nouveau paradigme imposé et se révélaient peu enthousiastes à l’idée que leurs enfants apprennent non pas tant à se « masturber » qu’à lire, et donc à penser, dans des publications telles que Papa porte une robe, Tango a deux papas ou le désormais trop célèbre Tous à poil [bien analysé par Elizabeth Chênedollé ici] affirmant cette idée bien connue que tout enfant est, comme tout adulte, un naturiste qui s’ignore et qu’il s’agit d’émanciper.

 

norrie may-welby,les démons du bien,alain de benoist,théorie du genre,révisionnismeL’hermaphrodisme est un humanisme

Philosophiquement, la théorie du genre est en fait l’ultime avatar de la théorie sartrienne du « pour-autrui » qui prétend que nous n’existons que par et dans le regard des autres, et que, par exemple, une femme n’est qu’une femme que dans le regard de l’homme comme un juif n’est qu’un juif que dans le regard de l’antisémite (et la comparaison « homme » et « antisémite » n’est pas outrée puisqu’à notre époque féministique le mâle, c’est le mal). Il suffit donc de changer de regard pour changer d’identité, comme il s’agit de changer d’avis pour changer de corps ou changer d’idée pour changer de réel – et tel que l’écrit sans rire Judith Butler : « Aucune révolution n’aura lieu sans un changement radical de l’idée qu’on se fait du réel. »

C’est que pour les troublés du genre, la liberté est totale au sens le plus sartrien du terme. La sexualité précède le sexe comme l’existence précède l’essence. L’anatomie elle-même n’a d’autre sens à révéler que celui qu’on daigne lui donner – et qui n’a plus rien à voir avec celui que les salauds lui ont imposé artificiellement jusqu’ici. Parce que « si les différences sexuelles sont socialement fabriquées, rien n’interdit en effet de les refabriquer autrement », chacun pouvant choisir librement son sexe comme sa sexualité. Bander devient affaire de choix. Ce ne sont plus nos pulsions qui nous choisissent mais nous qui choisissons nos pulsions. On est transe si on veut et on ne l’est plus si on ne le veut plus. Tout n’étant plus que décision existentielle, le même individu peut être tous les autres grâce à sa seule volonté et à la dextérité de son chirurgien. Avec la théorie du genre, « le choix dans la date  » n’est plus une contrepèterie mais une réalité à part entière.

Du pour-soi au hors-soi, il n’y a qu’un pas que la théorie du genre franchit allègrement. Si « mon corps m’appartient », comme disait le slogan d’antan, c’est qu’on a depuis longtemps fait la coupure entre ce corps et moi. Mon corps n’est plus moi mais mon objet à moi. Ma poupée. Et je ne vois pas ce que l’ancienne humanité ringarde y trouverait à redire. Surtout que l’humanité, c’est désormais moi qui l’engendre avec moi. Tout devient affaire d’auto-suffisance, d’auto-engendrement, tel qu’a pu le concevoir, le premier, Duns Scot au XIVe siècle et selon cette idée fondamentale que c’est la volonté qui prime sur l’entendement et non le contraire. La volonté est en effet cette force infinie, illimitée, qui n’a que faire des déterminismes d’antan qui n’ont jamais été à ses yeux que de pseudo-réalités inventées par des métaphysiciens carcéraux dont le seul but était d’entraver nos possibilités mutantes. Avec la théorie du genre, on en termine avec ce concept ridicule d’héritage biologique ou historique. Chaque individu, pour ne pas dire chaque « hen », est désormais autonome, autarcique, onaniste et n’a plus besoin de l’autre pour se reproduire. Nous ne devons plus rien à personne mais tout à nous. Nous nous « augmentons » nous-mêmes. Nous sommes bien Causa Sui, génération spontanée, parthénogénèse accomplie et fières de l’être. Pas seulement androgynes mais hermaphrodites. A quand notre Lombric Pride ?

Au-delà de la violence inouïe qu’elle instaure et du crime contre la vraie humanité qu’elle organise, et qui n’est que triomphe de la technique, lyssenkisme abouti et… capitalisme final, la théorie du genre, dans son obsession à affranchir les individus de leur « nature » ne voit pas un instant que le « social » est au fond beaucoup plus contraignant, aliénant, torturant que le « naturel ». Toute à son autosatisfaction génétique, elle ne se rend pas compte que « l’acquis » est bien plus pénible à assumer que « l’inné », que nous enfermer dans le seul social, nous forcer au constructivisme pur et dur, nous définir selon notre seule volonté et faire de cette volonté notre seul horizon, c’était bien la pire des choses qui pouvait nous arriver. Comme dans Huis-clos de Sartre (encore lui !), nous ne pourrons plus désormais nous rafraîchir l’être en clignant des yeux ou nous reposer du monde en dormant. Diurne jusqu’à l’insomnie, la théorie du genre tend à nier tout ce qu’il y a de nocturne, d’érotique et de ressourçant en nous. Comme avec Alex dans Orange mécanique, elle nous écarquille les paupières de force et nous oblige à regarder son horrible film de science- fiction existentialiste, quitte à ce que nous ayons la nausée de nous-mêmes. La théorie du genre, « traitement Ludovico » d’un nouveau genre, vient de faire sa rentrée des classes.

 

 

  1. Et récemment à Science po où l’on organise depuis peu des Queer Week.  
  2. On peut en voir la très miam miam bande-annonce.  
  3. Mais qui n’est qu’un documentaire d’Arte.  

 

PS : Et maintenant, en Inde aussi.

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C'est vrai qu'elle est belle.

(Ca n'a aucun principe un mec)

Neuf ans.

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Merci Michel.

(Et merci à Jean-Louis d'avoir transmis et à Manon d'avoir prévenu !)

 

Pour apporter quelques précisions à cet article qui me fait évidemment très plaisir et qui fête dignement mes neuf ans de blog, je suppose que la journaliste a fait un raccourci entre, peut-être, les quelques "échecs" que Houellebecq a réellement subi en voulant faire publier tel ou tel et mon propre cas - car vu que je n'ai jamais rien proposé, pour l'instant, à aucun éditeur (je sais, fouettez-moi), je ne vois pas très bien où serait "l'échec" dont on a l'air de parler à mon sujet. Si échec il y a, il est sans doute à venir, mais n'allons pas trop vite. Pour l'instant, tout va bien. Comme dirait mon ami Bruno DL : "les choses se mettent en place."

-Sur le site de Marianne-

 

 

 

 

 


Flauberie I

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Au Salon Littéraire

 

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Pour Ariane Allemandi devant qui, et pour toujours, je « fume à gros tourbillons ».

 

A l’occasion de la sortie, l’an dernier, d’une nouvelle biographie de l’auteur de L’Education sentimentale, par  Michel Winock, retour sur un grand flaubérien, Jean-Pierre Richard et son essai canonique, Littérature et sensation. Un feuilleton en quinze points et cinq parties.

 

 

 

01 – PIÈTRES ENVIES

Nourriture. Engloutissement. Grossièreté - et peut-être même vulgarité. « En aurais-je eu envie des envies, moi ! et des piètres ! », écrivait ce sacré bonhomme auquel on revient encore et toujours mais dont il ne faut jamais oublier que son impudeur et sa verve ont pu choquer ses contemporains les plus distingués et les plus coincés. Tels Sainte-Beuve ou les Goncourt qui voyaient en lui une sorte de « commis-voyageur » toujours « débraillé » ou « déboutonné », Moloch obsédé par les appétits terriens, disant des poètes latins qu'il « s'en bourre » et des couleurs qu' « il veut s'en donner une ventrée ! ». Ah tudieu, non, Flaubert n’est pas un écrivain pour anorexiques. Tout est voracité, absorption et digestion chez lui. « Absorbons l'objectif, et qu'il circule en nous.... », écrit-il furieusement dans sa merveilleuse correspondance, le pendant, le complément et le contraire de ses romansOui, absorbons les choses, les idées, le savoir, l'Histoire, les bonnes femmes, les bonshommes, tout le réel écoeurant, et faisons circuler tout ça en nous. N’ayons pas peur de nous faire mal. Salons nos viscères. Violons nos douleurs. Plus c’est bête et méchant, plus ça nous concerne.

« Le génie, après tout, n'est peut-être rien qu'un raffinement de la douleur, c'est-à-dire une plus complète et plus intense pénétration de l'objectif à travers notre âme. La tristesse de Molière, sans doute, venait de toute la bêtise de l'humanité qu'il sentait comprise en lui. Il souffrait des Diafoirus et des Tartuffe qui lui entraient par les yeux dans la cervelle. »

Mais tout consommer, et particulièrement tout ce qui nous plaît, et rien ne nous plaît plus gastriquement que ce qui nous déplaît moralement, c'est se rendre malade.

« Elle rejetait comme inutile tout ce qui ne contribuait pas à la consommation immédiate de son cœur - étant de tempérament plus sentimentale qu'artiste, cherchant des émotions et non des paysages. »

Elle, c'est Emma, évidemment - la plus grande héroïne de toute l’histoire de la littérature, quoi qu’on dise, et dont le drame sera de tout engloutir sans jamais se nourrir. Et comme le feront plus tard les mercenaires de Salammbô qui dévorent toutes ces « nourritures nouvelles [qui excitent] la cupidité des estomacs » lors du célèbre festin par lequel s’ouvre ce livre singulier dont on ne sait jamais s'il est le plus grand ou le plus raté.  Ou, dans un autre genre, comme Bouvard et Pécuchet, les deux copistes qui avalent toutes les connaissances de leur siècle sans jamais les comprendre (ou les comprendre de travers). Mais à l’inverse de Frédéric Moreau qui, lui, sera suffisamment malin pour rester sobre, à jeun, chaste (du moins avec son aimée), et donc ne jamais périr. Comme le dit Jean-Pierre Richard que nous allons suivre dans cette « Flauberie », page par page, « ses expériences [à Emma, mais aussi aux copistes et, d’une certaine façon à Gustave lui-même], l'appauvrissent au lieu de l'enrichir » -  exactement comme le cochon de Saint-Antoine qui « sent dans son ventre grouiller les choses ». C'est qu'inassimilées, les choses continuent leur vie propre dans le ventre, se déchaînent dans les intestins, dévastent tous les boyaux. De dangereusement jouissives et addictives qu’elles étaient, les sensations deviennent peu à peu indépendantes et intolérables. La nausée menace la consommation.

« J'ai faim ! J'ai soif ! hurle la Gourmandise, mes boyaux crient, mes boyaux jutent, je voudrais boire en mangeant, manger en buvant, pour sentir à la fois sous mon palais la viande qui se mâche et le long de ma gorge le vin qui coule. Il me faudrait ensemble la digestion et l'appétit »,

éructe en sa boulimie tragicomique Saint Antoine, notre ami, notre frère, notre saint.  

 

02 – DÉCLIVITÉ 

Et pourtant, à côté des Rabelais, Balzac et Hugo, Flaubert apparaît comme un faux géant.

« Massif certes, et tonitruant. Mais l'intérieur est tout pourri de faiblesse, et depuis le début, il le savait : "J'ai eu tout jeune un pressentiment complet de la vie. C'était comme une odeur de cuisine nauséabonde qui s'échappe par un soupirail. On n'a pas besoin d'en avoir mangé pour savoir qu'elle est à faire vomir" »,

avoue-t-il dans une célèbre lettre. La vérité est qu’on engloutit moins qu'on se laisse engloutir. La boulimie est forcée - tout comme l'écriture. Et Flaubert, plus que tout autre écrivain, se laisse aller à cette « déclivité » dont parle Jankélevitch dans La mauvaise conscience. Se laisser aller jusque dans les pores des choses et en être tellement dégoûté qu'on les prendra désormais à distance. Flaubert, disait Maupassant, n'est capable de juger que de loin - le contact vrai le rend malade. Sa perception de la matière est si forte qu'il ne peut la supporter de trop près (comme Antonin Artaud, tiens !) « Etre la matière », c’est crever, mais écrire, c'est, au moins symboliquement, crever à soi, et accessoirement, faire crever les autres. La littérature, ce sera vivre dans la pourriture et faire de la forme avec de l'informe.

 

03 – « COMME UN SEXE NOUVEAU PAR-DESSUS L'AUTRE»

La sensation « met en mollesse ». L'amour est d’abord une noyade, ensuite une nausée. Le désir, un écoulement dégueu. L'être entier est pâte à tarte. On se dissout, on (se) pourrit, on s'englue.

« Il la sentit donc, entre ses doigts, cette main. Elle parut à Léon être flexible, suante, molle, désossée. »

 Le contraire d'une main de gifleuse, soit dit en passant, cette pauvre Emma. Même si 

« une trajection subtile lui monta le long du bras jusqu'au coeur tandis que la partie la plus intime de lui-même se fondait dans cette paume molle, comme de la pâte qu'elle y aurait maniée lentement. »

Aimer, c'est s'empâter au sens littéral. Le charnel est de la pâtée (pour caniches, aurait dit Céline). Bref, on va toujours vers l'informe, l'indistinct, l'impersonnel, et c'est comme cela qu'il faut lire Salammbô, mélange étourdissant de cruautés sadiennes et de formalisme abstrait. Toujours la distance entre l'anus et la lune, si l’on ose dire – et il faut oser quand on est dans Flaubert. Et si l'indistinction va jusqu'à l'absence de caractère, alors on compensera par le détail, c'est-à-dire le fétiche.

« LA VUE DE VOTRE PIED ME TROUBLE »,

dira un jour Séverin à Wanda…. Nous voulons dire, Frédéric à Mme Arnoux. Le fétichisme comme métonymie érotique. C'est que le fétichisme prend la partie pour le tout et s’en régale : pied, main, talon, genou (Rohmer a filmé des choses là-dessus), chevelure, orteil, ongle. Comme le dit superbement Flaubert lui-même,

« c'est une découverte et comme un sexe nouveau par-dessus l'autre ».

L'intime est une faille et et la faille est une fente - eh oui, on se donne aussi le droit de dire ça ! Encore une fois, il n'y a pas plus sexuel que Flaubert. C'est l'auteur le plus sexuel, le plus sexuellement sexuel de toute l'histoire de la littérature. Ca a l'air polit et polie comme ça alors que c'est totalement hystérique, orgiaque, nymphomaniaque. Lisons plutôt et frémissons :

« Le rayon lumineux s'en échappant le soir [de la maison d'Emma] par la fente d'un volet, lui causait même quelque chose de cette irritation que vous envoie silencieusement une prunelle, par la découpure d'un masque noir. » 

Masque noir, découpure, fente... On vous avait prévenus.

 

[A SUIVRE]

 

Jean-Pierre Richard , Littérature et sensation, Stendhal, Flaubert, 1990, Points, 320 pages, 7,60 €

Michel Winock, Flaubert, Gallimard, mars 2013, 550 pages, 25 €

 

Flauberie II

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Salammbôt, par Gaston Bussière.jpg

(Salammbô, par Gaston Bussière, Musée des Beaux-Arts, Mâcon.)

 

 04 –GOUTTES.

« Spontanément, Flaubert n'est pas un homme à compartiments ; tout chez lui communique, et c'est même un des aspects les plus attachants de son génie que l'extrême cohérence qui unit toujours en lui l'expérience intérieure, l'expérience concrète et l'expression métaphorique ».

Fluidité, liquidité, absorption, dissolution, bain turc ou baignade dans les vagues, tout ce que l’on veut du moment qu’on soit dans le laisser-aller total, le bien-être, l’ivresse :

 « J'ai pris un bain de mer dans la mer Rouge, écrit-il dans une lettre. Ca a été un des plaisirs les plus voluptueux de ma vie ; je me suis roulé dans les flots comme sur mille tétons liquides qui m'auraient parcouru tout le corps. »  

Et dans L'Education, Louise Roche avouera qu'elle envie l'existence des poissons :

« Ca doit être si doux de se rouler là-dedans à son aise, de se sentir caressé partout. Et elle frémissait avec des mouvements d'une câlinerie sensuelle. »  

C’est que le bain n’est qu’un prélude à l’amour. Eau, lune, marrées, vapeurs, serpents, femmes. A l'époque de "l'ABCD de l'égalité", sera-t-il encore permis de lire  "le serpent" de Salammbô ?

« ...la tête du python apparut. Il descendit lentement, comme une goutte d'eau qui coule le long d'un mur, rampa entre les étoffes épandues, puis, la queue collée, contre le sol, il se leva tout droit ; et ses yeux, plus brillants que des escarboucles, se dardaient sur Salammbô.»

Comme une goutte d'eau...

« Dans un même climat laiteux, écrit Jean-Pierre  Richard, reptilité, flexibilité et viscosité se rejoignent pour une promesse d’adhérence totale à la caresse liquide. » Mais la sensualité peut devenir pourriture, la lascivité, moisissure, les amants, cloportes. Grande loi du suintement. « L'être, écrit encore Richard, coule hors de soi comme un fruit blet ; il dégoutte et se perd dans les choses » (Emma). Très importante, la goutte chez Flaubert. Elle est perle, et bientôt perte, de l’être, sueur du désir, trop plein qui déborde. Mais aussi, signe de pourrissement du fruit, humidité mortifère, eau qui devient couleur de noyade - comme aurait dit Cioran. Pour ne pas couler, on prendra le bateau (ouverture de L'Education). Et c’est parce qu’Emma, en bonne tragique romantique qu’elle est, croit pouvoir se bateau, de pont, de berge, qu'elle coulera, la malheureuse, alors que Frédéric et Mme Arnoux, tragiques mais modernes, resteront toujours à sec - donc en vie. Leur rêve d'amour n’aura jamais été qu’une veulerie mais ils n'auront pas péri.

Ce conflit entre l'humide et le sec, le poreux et l'âpre, le laisser-aller et la rétention est au coeur de l'écriture flaubérienne. « Tout poussait Flaubert vers la facilité fluide ; mais il choisissait justement d'écrire les livres pour lesquels "il a le moins de moyens" ».Correspondance débridée d'un côté, romans ultra-maîtrisés de l'autre. Alors, certes, il fera sombrer nombre de ses personnages dans l'hébétude comme lui-même pouvait le faire dans sa vie, mais se retiendra bien d'en faire de même avec son écriture. Malgré tout, et le charme de son style est là, le trop plein déborde aussi dans ses romans. La rétention se veut totale mais craque de partout. Au sens propre, il se retient tout le temps mais on sent sa vessie en passe d'éclater. Et de pisser à petites gouttes.

 

05 – VIRGINITE

Flaubert fait des métaphores mais ce qui l'intéresse avant tout c'est la métamorphose (comme Kafka, tiens). 

On se métamorphose car on ne sait pas très bien qui on est. C'est qu'à force d'avoir toutes les formes en soi, on flirte avec l'informe. La plasticité extrême confine au déséquilibre. Tel se comprend, selon Richard, le vrai bovarysme, soit « le mouvement d'un être qui, incapable de se découvrir dans une assiette, choisit de vivre dans un déséquilibre prolongé. » Le bovarysme, c'est l'incapacité à se définir, à se fixer. C'est le mal de n'être personne (ou tout le monde),  l’oubli de son être, comme dirait l’autre, le fait de n'avoir aucune mesure de soi-même, aucune netteté morale et métaphysique :

« Je ne crois pas même à moi, avoue Gustave, je ne sais pas si je suis bête ou spirituel, bon ou mauvais, avare ou prodigue. Comme tout le monde, je flotte entre tout cela. Mon mérite est peut-être de m'en apercevoir et mon défaut d'avoir la franchise de le dire. D'ailleurs est-on si sûr de soi ? Est-on sûr de ce qu'on pense, de ce qu'on sent ? »

Comme dit Montaigne, si proche de Flaubert sur ce plan, « NOTRE FAIT, CE NE SONT QUE PIECES RAPPORTEES ». Notre moi, manteau d'Arlequin qui s'effiloche de tous les côtés. Combien d’entre nous souffrons de cet émiettement perpétuel ? D'avoir la sensation de naître chaque jour sans jamais être pour de bon ? De passer sa vie au seuil de celle-ci ? D’attendre éternellement devant la porte de sa loi (tiens, encore comme Kafka !) qui un jour se refermera définitivement ? Pour nous, les velléitaires, tout est toujours première fois, matinée, aurore, promesse  - et tout se termine vers midi. Or, devenir adulte, c’est passer le cap de la journée, pointer à midi, s’établir dans l’après-midi, et se reposer le soir. Au fond, accepter d’être mortel – c’est-à-dire de se dépuceler. Parce que la pire tentation pour un narcisse comme Frédéric, et peut-être comme Gustave lui-même, n’est pas tant celle de la chair que celle de la virginité perpétuelle, c'est-à-dire de la disponibilité sans fin, de la jeunesse qui fait du surplace, du possible qui se suffit comme tel - et qui ne peut qu'aboutir au néant.

« Je suis encore tout plein de fraîcheur comme un printemps, avoue-t-il. J'ai en moi un grand fleuve qui coule, quelque chose qui bouillonne sans cesse et qui ne tarit point. Style et muscles, tout est souple encore, et si les cheveux me tombent du front, je crois que mes plumes n'ont encore rien perdu de leur crinière.... »

Il ne faut pas s’y tromper. Flaubert est le premier adolescent attardé de la littérature – ce « vieux jeune homme », comme il le dit lui-même de Musset, qui écrit en effet qu’en lui« jeunesse ne passera pas ». Le premier existentiel en quelque sorte. Mais qui, en bon idiot de la famille, est désengagé dans la vie comme il n'est pas permis. « Nauséeusement » libre, aurait-on envie de dire. Frédéric, c'est déjà Roquentin dont le drame est « de ne jamais adhérer à lui-même ». Le risque existentiel de ce désengagement total, bien sûr, est de se retrouver  « au dernier jour seul et vide comme à la vingtième année, ayant évité le durcissement mais aussi la maturité ». 

N’avoir rien vécu, rien fait, n’être rien devenu - sauf un rentier littérateur (Gustave) ou voyageur (Frédéric). Tant pis. La plastique aura remplacé la politique. Le jeu, les enjeux. La jouvence, la puissance. Maxime du Camp, lui, voulait devenir « quelqu’un », alors que Flaubert voulait, simplement, devenir tout le monde (il paraît qu'il était très doué en imitation). Au bout du compte, il sera devenu quelque chose entre Zelig et Dieu - ce que l’on appelle un romancier.

 

06 – DIFFERENCE AVEC BALZAC

Et un romancier qui va à la fois détester ses personnages et les adorer. Là, il faut longuement citer Richard :

« L'objectivité flaubertienne naît d'un arrachement à soi, et c'est pourquoi elle diffère si profondément de l'objectivité de Balzac, par exemple, dans le mouvement créateur de qui chaque personnage se dresse dès le début comme être indépendant, tout en conservant dans son être la marque du romancier. Aucune mystique de la paternité, aucun sens de la transmission substantielle ne viennent éclairer chez Flaubert ce mystère de la création qui fait qu'un être puisse être autre tout en demeurant moi. De Vautrin à Lucien au contraire, comme de Balzac à Vautrin lui-même, le rapport du créateur à la créature implique une continuation d’être, mais non une continuité de substance : un pouvoir se transmet de l’un à l’autre qui ne compromet l’intégrité d’aucun des deux. Au lieu qu’Emma ne tient sa fille que pour un prolongement, une sorte de pseudopode un peu dégoûtant d’elle-même… »

Et comme, sans doute, Flaubert tient Emma pour un prolongement, pour ne pas dire une métastase, de lui-même. Quand il dit que « madame Bovary, c’est lui », ce n’est donc pas tant par affection (quoique…) que par filiation forcée. Et quand il l’a fait mourir, il a peut-être« le goût de l’arsenic dans la bouche » mais il ne pleure pas avec elle. Alors que Balzac pleure avec Lucien, Goriot et les autres, tous ces gens qui sont « les siens ».

D’où le très paradoxal attachement que Flaubert suscite et auquel « se mêle toujours une certaine forme de malaise ou de regret ». C'est qu'on le sent si proche et si lointain, si débordant et si formel, si apte à l’effusion mais si dur dans la rétention, qu’on se demande « ce qu'il convient d'admirer davantage, de l'effort dirigé contre soi pour s'assurer une plus solide prise sur soi-même ou de la richesse humaine et esthétique de l'être spontané que cet effort vise précisément à dominer. »Préfèrera-t-on le catoblépas des romans ou le monstre marin de la correspondance ? Et qu’est-ce qu’un artiste qui mutile son humanité au nom de son art ? Ce n’est pas tant par sensiblerie que l’on pose cette question que par souci artistique. Car, en effet, avec Flaubert, l’on se demandera une chose que l’on ne s’est jamais demandé jamais avec Balzac ou Stendhal, à savoir que si Balzac est Balzac et que Stendhal est Stendhal, Flaubert, lui, aurait pu être autre. Qu’aurait donné en effet un roman écrit par lui mais sur le ton de sa correspondance ? Que se serait-il passé dans son style s'il s'était lâché ? On l’a souvent dit, mais à force d’avoir été chiadés, ses romans donnent l’impression de n’avoir plus été désirés comme tels. La perfection du style a tué la vie, et à la fin il semble qu'il n'y ait plus qu’un pur mur de mots dans lequel tout s'encastre et s'atrophie, tout se tasse et s'étouffe, tout s’aligne dans le béton, comme dans une rue de Madame Bovary 

« La façade de briques était juste à l'alignement de la rue »,

ou dans le portique d’Hérodias dont, nous l'avouons avec honte, nous n'avons jamais pu aller au-delà du premier paragraphe :

« La citadelle de Machaerous se dressait à l'orient de la mer Morte, sur un pic de basalte ayant la forme d'un cône. Quatre vallées profondes l'entouraient, deux vers les flancs, une en face, la quatrième au- delà. Des maisons se tassaient contre sa base, dans le cercle d'un mur qui ondulait suivant les inégalités du terrain ; et, par un chemin en zigzag tailladant le rocher, la ville se reliait à la forteresse, dont les murailles étaient hautes de cent vingt coudées, avec des angles nombreux, des créneaux sur le bord, et, çà et là, des tours qui faisaient comme des fleurons à cette couronne de pierres, suspendue au-dessus de l'abîme. »

A SUIVRE.

Flauberie III

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Au Salon littéraire

 

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 La tentation de Saint-Antoine, par Matthias Grünewald

 

07 – CRANERIE

Il faut résister. Contre la matière belle mais morte, opposer la chair grouillante et monstrueuse. Contre le portique en or, exécuter la tâche du corps. Contre le néant splendide, accomplir tout ce que peut le corps. Se perdre dans ses métamorphoses pas toujours ragoûtantes. S'abandonner dans les cochonneries et renaître à la souveraineté. Flaubert, ou le chaînon manquant entre Saint-Antoine et George Bataille. « Changement brutal d’orientation qui va lancer le héros flaubertien dans une explosion désordonnée, mais qu’il veut exhaustive, de toutes les formes d’existence que l’univers contient ou a pu contenir. » Va pour l’excès, la dépense… et les insultes. Insulter quelqu'un, c'est le forcer à la matière excrémentielle, c'est l'empâter. 

« Le gros mot, écrit Richard, roule dans la bouche, avant d'aller s'écraser sur l'autre comme un paquet de boue. Il est un vautrement à distance : ainsi le cochon insulte, piétine, patauge ; il voudrait que le monde soit réduit à la boue de sa bauge ».

Mais la bauge, c'est aussi la croix, le calvaire, à la fois l'esprit de torture et l'horreur de la nature. Sade, dernier mot du catholicisme, disait Flaubert aux Goncourt. Beaucoup de "flaubertiens" (de "flaubertiennes", surtout) refusent de voir cet aspect féroce et sans pitié de leur écrivain préféré. Pourtant, Julien l'hospitalier revient tuer ses parents. Salammbô se termine dans le carnage. Emma s’empoisonne. Félicité prend un perroquet pour un dieu. Bouvard et Pécuchet se remettent à copier. Et Frédéric et Deslauriers se mettent à rêver de leur première expérience sexuelle au bordel, « chez la Turque », ou plus exactement du souvenir qu’ils croient en avoir et que le lecteur risque ensuite d’avoir avec eux. Combien d’entre nous, après avoir lu une première fois L’éducation sentimentale, avions gardé le souvenir qu’en effet la « meilleure chose » qui leur était arrivée  était cette sortie adolescente au bordel - oubliant que s’ils y étaient effectivement allés, il n’y étaient pas entrés, restant, une fois de plus, au seuil des choses, et pire, avaient paniqué devant celui-ci et s’étaient subitement enfuis sous le rire moqueur des femmes ? Ce qui a pu tromper notre mémoire, c'est la perception "heureuse" qu'ils ont, eux, de ce souvenir qui, pour tout lecteur normalement constitué, serait celui d’une cuisante humiliation. Mais non. Eux ne semblent pas avoir été atteints par ce piteux ragage. Mieux, il semble que celui-ci constitue le meilleur de leur vie ratée – et le lecteur peu attentif, naïf, ou qui ne peut croire qu’on se mente à ce point sur soi, inverse la donne et croit alors que ce jour-là, ils ont vu la louve.  A la lettre, ils parlent en termes de dépucelage ce qui n’en a justement pas été un – la répétition mimétique de la phrase de Frédéric par Deslauriers rajoutant à la confusion du sens.   

«  C'est là ce que nous avons eu de meilleur !  dit Frédéric.

- Oui, peut-être bien ? C'est là ce que nous avons eu de meilleur !, dit Deslauriers. »

Illusion sentimentale (et sexuelle.) Tout n’a jamais été que rêverie et « crânerie ». Le crâneur, en effet, c’est celui qui veut faire croire aux autres ce qu’il veut se faire croire lui-même. C’est l’homme creux qui veut s’impressionner en exaspérant autrui par sa propre arrogance. C’est l’imposteur furieux qui tente de faire une « bouchée » des autres et du monde, bien entendu, en vain, mais dont l’auto-hypnose peut finir par hypnotiser les autres et leur faire croire, comme il s'est fait croire à lui, qu’il est un Dionysos priapique. 

« Forme d’exhibitionnisme que ma plasticité choisit de revêtir pour mieux donner le change, la crânerie, explique Richard, est en somme une entreprise d'intimidation dirigée contre la plasticité supposée de l'autre : mon insolence voudra lui faire mieux réaliser sa propre lâcheté. Elle provoque (...) en mettant en mollesse : fort voisine en cela du désir sexuel qui est à la fois une tension et un affaissement d'être. »

Mais encore une fois, un désir qui ne va pas jusqu’au bout, un désir qui s'arrête en chemin et qui compense par l'onirisme ou la folie.  Emma se persuadait que sa mort pourrait être grandiose, Bouvard et Pécuchet qu’ils étaient de grands savants, Frédéric et Deslauriers que leur déconvenue au bordel n’en était pas une, et Félicité que son perroquet était réellement un dieu. Tout a lamentablement échoué sauf la croyance que tout était formidable.

 

08 - MIDAS

Etourdissement du paysage, épuisement de la vibration, chute de tension, retour à la poussière. « Tout s'agitait dans une sorte de pulvérulence lumineuse », et Frédéric doit cligner des yeux pour voir quelque chose. Plus ça scintille, plus ça se retire. Et à la fin, le vide ne devient pas un effet malheureux du chatoiement... mais sa cause. Le vide nous appelle dans son apparente splendeur où l'on va mourir d'inanité. Beauté trompe-l'oeil. Mascarade mortifère. Bal des vampires.

Tout sonne creux - notamment en Orient, 

« vaste bazar sur fond de néant » « races, civilisations, traditions s'y côtoient dans l'incohérence et l'hostilité ; chacune y flambe de son éclat le plus particulier pour venir se heurter contre l'éclat de la voisine : tout se coudoie sans se mêler et sombre finalement dans une cacophonie barbare.» 

Barbare et neutre. L'ultra-violence de Salammbô reste formelle et ce formalisme, pour certains, confine à l'ennui. Au fond, tout est mort chez Flaubert - et c'est en ce sens qu'il est toujours « décevant », par rapport à Balzac, Stendhal, Hugo, et même Zola, qui, chacun à leur manière, dégorgent de vie, de pathos, d’effusion, montrant certes la férocité du monde mais sans jamais chercher à le neutraliser. Flaubert, si. Il est une sorte de roi Midas qui transforme en or tout ce qu'il touche - mais une fois que tout est en or, tout est mort.

 

09 – ZOMBIES

Frédéric envoie des fleurs et des compliments à ses deux maîtresses, leur fait les mêmes serments, puis... les compare. C'est La Comparaison sentimentale. Le seul amour sincère, c'est celui qui ne se réalise jamais. Et de fait, Marie et Frédéric passent leur temps à se manquer, et selon une logique qui n'est pas du tout celle, traditionnelle, « shakespearienne » ou « moliéresque », des parents qui ne veulent pas que leurs enfants s’aiment, ou du destin toujours contrariant. Non, leur évitement vient d'eux. « Tantôt c'est elle qui se refuse ; tantôt c'est lui qui s'écarte ; ou bien, quand on croit qu'ils vont enfin se rejoindre, c'est le hasard qui par deux fois intervient pour les séparer. »Et on dirait que ce hasard les arrange. La réalité qui se dérobe, c'est le pied. L’imprévu qui empêche de se rejoindre, le top. Et c'est là la différence fondamentale avec Madame Bovary. Emma n'en pouvait plus des absences de ses amants, Frédéric et Marie semblent adorer s'absenter l'un à l'autre - et à la fin, ils jouissent d'organiser leurs adieux. Comme les morts, ils ne se touchent jamais et passent l'un à travers l'autre sans jamais se sentir - et c'est paradoxalement cette vie morte qui leur assure une vie longue. Au contraire d'Emma qui recherche la vie à tout prix et en meurt - ratant ce qui aurait pu être son devenir zombie.

A SUIVRE.

Flauberie IV

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Lola Montez in London. Aged thirty (Engraved by Auguste Hüssner).jpg

 

10 - THEORIE DU GANT

Comme dans un film burlesque, les objets s’interposent souvent entre les héros. Paravents, éventails, abat-jour, cloison, teinture. A chacune de ses apparitions, ou presque, Madame Arnoux est toujours cachée par quelque chose comme dans un rêve - le rêve de Frédéric.  Mais ces caches ne sont pas, pour ce dernier, si tragiques du moment qu'il peut cristalliser sur un détail, un pli de robe, un parfum, un chapeau, et un pied -« la vue de votre pied me trouble ». A la pudeur de Marie répond le fétichisme de Frédéric.

Emma, elle, aime les cravaches. Non pas qu'elle l'avoue un instant ou même le pense, mais le romancier le pense pour elle. C’est autour d’une cravache qu’a lieu la premier (et dernier) émoi érotique entre elle et son futur mari. Et c’est bien une cravache (« à pommeau de vermeil ») qu’elle offrira plus tard à son amant Rodolphe. Les désirs circulent.

Mieux que la chair, la cravache. Mais mieux que la cravache, le gant. La main gantée (qui peut tenir la cravache, bien sûr).

« Théorie du gant : c'est qu'il idéalise la main en la privant de sa couleur, comme le fait la poudre de riz pour le visage. Il la rend inexpressive mais typique. La forme seule est conservée, et plus accusée (...) Le gant veut faire échapper à la mollesse de l'anonyme par la rigidité du typique. Mais cette forme typique conserve un pouvoir d'expression d'autant plus dangereux qu'il est devenu indirect : derrière l'écran du gant, on devine quelque chose qui n'est ni la dureté morte du marbre ni la mollesse vivante de la chair. Cette nature autre, à demi pierre, à demi femme, reste animée d'une vie mystérieuse qui la rend infiniment troublante ; c'est comme si la forme recélait en elle un principe caché qui dirigerait ses mouvements. »

Et sans vouloir faire le troublé outre mesure, là, on est bien chez Masoch.

 

11 – GUEULE D’ATMOSPHERE

Seul l’instant suffit - et c'est bien là le problème. Frédéric a perdu sa vie dans l'insignifiance mais n'en semble pas tellement déconfit. Sa rencontre avec madame Arnoux contente son bonheur d'impuissant. Celle-est « apparue » et ça s'est arrêté là. En un instant, son être a été en possession totale de sa vérité. Avant même de lui parler, son histoire avec elle était consommée. C'est que l'univers de Frédéric s'est faite autour d’elle pour l'éternité. Marie est devenue la métaphore et l'allégorie de toutes choses. Dès lors, à quoi bon l'aimer pour de bon ? Le concret, c'est pour les ploucs comme Emma. Alors que pour les grandes âmes velléitaires, l’idée de l'amour constitue tout l'amour. « Quelque chose d'elle circulait encore autour de lui ; la caresse de sa présence durait encore.... » En un mot, et au grand dam d’Arletty dans Hôtel du Nord, le film de Marcel Carné, la femme que l’on aime a bien une gueule d’atmosphère. Frédéric vit dans « l'atmosphère de Marie », que demander de plus ? D'où les multiples occurrences à tout ce qui est vapeur, fumée, parfum, transpiration, exhalaison. Sans oublier la réverbération - phénomène idéal pour ceux à qui l'idée et l'instant suffisent.

« La figure de cette femme lui semblait envoyer de loin sur sa vie présente une réverbération, comme ces soleils couchants qui allongent au ras du sol jusqu'à vous leurs ondoiements lumineux, tout pleins de magnificence et de mélancolie. »

La femme réverbère, et pis c’est tout.  

 

12 – BOVARYSME

Comme Don Quichotte a échoué dans la chevalerie, Emma a échoué dans le bovarysme. Et non pas parce que ces deux-là ont trop cru en leurs rêves, mais parce qu'ils ont trop cru en la réalité. Ils ont cru que la réalité pouvait accomplir leur rêve, ont voulu le vérifier et se sont cassés les dents. Frédéric et Marie, au contraire, se sont contentés du rêve, de l’idéal, du « littéraire » et ont communié beaucoup plus que les premiers. Ils ont pris l’inaccessible à la lettre en se gardant bien d’y accéder. Fuir la vraie vie les a sauvés de la souffrance et de la mort. C'est là le « tragique » de L'Education sentimentale, un tragique sans dégâts, un tragique qui s’arrange avec les choses, un tragique qui, surtout,  n'est pas du tout vécu comme tel par les amants. C'est en somme pour avoir cru à la littérature, c'est à-dire à l'irréel, que Marie et Frédéric sont devenus des héros de roman : authentiques par leur obstination à maintenir l'inauthentique, vivants et magnifiquement réels dans la mesure où, comme leur créateur, ils ont réussi à refuser la vie – et donc à s’en sortir. Les vrais bovarystes, ce sont eux. Emma, elle, a voulu faire coïncider le réel et la littérature et en est morte. L’imagination ne lui suffisait pas. 

 

A SUIVRE

 

llustration :Lola Montez in London. Aged thirty (Engraved by Auguste Hüssner)

 

Flauberie V

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L'ensemble de cette étude a été publiée une première fois au Salon littéraire.

 

Madame Bovary BD.jpg

 

13 -  L’ANNULATION SENTIMENTALE

 

L'Education sentimentale est-il un chef-d'oeuvre décevant ? On a l'impression, dit Jean-Pierre Richard, qu'il manque quelque chose à ce livre si riche, si profond et si attachant. Pour dire les choses comme elles sont, il y manque la baise - et son corollaire, la mort. En choisissant de ne jamais se donner l'un à l'autre, Frédéric et Marie ont moins choisi la pudeur et la délicatesse que la frustration et l'atrophie. Au contraire d'Emma, de Salammbô et à leurs manières, de Bouvard et de Pécuchet, le parisien et la bourgeoise ne prennent aucun risque. Pas de sexe, pas de risque, pas de mort, rien qu'une longue agonie tiède qui prend des airs de prévention - et qui rend comique leur dernière entrevue :

« Frédéric soupçonna Mme Arnoux d'être venue pour s'offrir ; et il était repris par une convoitise plus forte que jamais, furieuse, enragée. Cependant, il sentait quelque chose d'inexprimable, une répulsion, et comme l'effroi d'un inceste. Une autre crainte l'arrêta, celle d'en avoir le dégoût plus tard. D'ailleurs, quel embarras ce serait ! - et tout à la fois par prudence et pour ne pas dégrader son idéal, il tourna les talons et se mit à faire une cigarette.

Elle le contemplait, tout émerveillée.

- Comme vous êtes délicat ! Il n'y a que vous ! Il n'y a que vous ! » 

Oui, quel embarras ce serait de coucher après toute cette histoire de non-coucherie ! Et en effet, « il n’y a que lui » pour ne pas se compliquer la vie -  c’est-à-dire vivre vraiment et allumer une cigarette au lieu de l'allumer, elle.

Encore une fois, « ce que l'on a eu de meilleur », c'est ce que l'on n'a pas fait, c'est ce que l'on a failli faire - et puis non. 

On a souvent présenté L’Education comme le roman du non-choix, alors qu’il est plutôt celui du choix de la rétention et de la prudence. Frédéric est cet homme qui se retient non pas tant par pudeur ou respect que par prudence. C'est un timoré qui protège sa passivité (ou son impuissance), comme on protège sa santé. C'est un velléitaire qui ne se laisse pas faire. Une sorte d'Oblomov qui se maîtriserait. A aucun moment, il n’est précipité et ne veut être précipité par les événements (sauf peut-être lors de l'épisode du duel). Non, il reste toujours très ferme dans sa non-action, et cela, dès le début, et intentionnellement. Rappelez-vous la scène quand sa mère lui demande ce qu'il va faire de sa vie à Paris, et qu'il répond « rien » avec un accent quasi rastignacien. A nous deux maintenant, Rien ! Et à la fin, il vit comme un soulagement le fait d'avoir si peu vécu. Il ne tombe pas du tout dans le désespoir. Après être allé jusqu’au bout du rien, c’est comme s’il disait « ouf ! ».

Tout finit par s'annuler, à commencer par cette éducation qui devait précisément aboutir au contraire. Mais non, c'est bien à une Annulation sentimentale, une Abolition existentielle, une Pétrification des sens et de la vie à quoi l'on a eu affaire.

 

14 – POLITIQUE

Comme Emma, Frédéric, Bouvard, Félicité, et Flaubert lui-même à Croisset, on a tous rêvé de cette tour d'ivoire dans laquelle on pourrait s'enfermer à jamais contre le monde mais qui, hélas, n’est jamais assez haute pour empêcher les retombées de merde de la vie réelle. La vie qui déborde toujours sa merde quoiqu'on fasse. L'envie de la prison pour se protéger de la vie (point commun avec Stendhal). S'emprisonner pour tester son être, pour éprouver ses sentiments. « Est-ce là l'amour ? » se demande Emma à tout instant. « Est-ce là la science ? » se demandent Bouvard et Pécuchet dès qu'ils font quelque chose qui les dépasse. Encore une fois, seuls Frédéric et Marie s'en sortent car seuls eux ont eu la foi en l’idéal jusqu'au bout. En ne cherchant jamais à vérifier la réalité morale, sociale, et surtout physique de leur amour, ils n’auront jamais à s'inquiéter de lui - alors que la pauvre Emma, en « vérifiant » si le réel suivait l’idéal et le confirmait, l'aura perdu. La bovarysme, ce n'est pas d'avoir des illusions, c'est ne pas aller au bout de ses illusions. Ce que nous suggère la littérature flaubertienne, c'est qu'il ne faut jamais vérifier sa vie si l’on y tient. Il ne faut jamais tenter le diable - c'est-à-dire le réel. Testez votre foi et tout s'effondre. Non, ce qu'il faut, c'est préserver ses illusions vitales. Sans illusions vitales, on crève dans l'instant. Aimer de loin, c'est déjà énorme. Le salut réside dans l'immobilisme le plus total.

D'où la haine tenace de Flaubert pour la révolution. Parce que la révolution promet de tout changer. Parce qu’elle est une Candide en action. Parce qu’elle croit que le réel se construit. Pour Gustave, cette volonté de transformer réellement les choses es un péché contre l'esprit, une dénégation de l’humanité et, au final, une mort programmée. Si Emma meurt, c'est bien parce qu'elle a voulu révolutionner sa vie. Et Flaubert, ne l'oublions jamais, se reconnaît en Emma. Mais lui se maîtrise. Comme le dit Richard, il est « intérieurement trop anarchique pour ne pas se vouloir férocement conservateur ». 

« C'est pourquoi il s'attache à soutenir, tout en les méprisant, les formes les plus mortes de l'immobilisme social et politique ». Il a trop le sens des débordements en lui pour cautionner une minute les débordements collectifs. Il sait ce que c'est la terreur, le chaos, l'informe. Toute sa vie, il a souffert des forces qui se battaient en lui, de l'implosion permanente de son être, de tout ce qu'il avait de fécond en lui et qui menaçait de se stériliser. « L'être se sent pris dans une épaisseur informe, qui réclame pourtant, du plus profond de son chaos, l'apparition, le salut d'une forme. » La forme a besoin d'un corset. La révélation demande d'abord l'engourdissement. Sortir du marécage par la phrase, la virgule, le travail. Serrer le mot pour desserrer les liens. Au risque de retomber dans le vide - le pur chatoiement, l'exercice de style. Le style au risque de pétrification, comme aurait dit Jean Prévost. Le style contre le ruissellement. Encore une fois, le roman apollinien contre la correspondance dionysiaque. Et le pire est que l'on pourrait regretter la première version des romans de Flaubert, celle dans laquelle il se "lâchait". Comme le dit Richard :

« On peut regretter les pans d'ombre, les explosions poétiques, le gonflement sensuel de la phrase, tout ce qui donnait aux premiers états du texte flaubertien une saveur puissamment fruitée, une splendeur à demi barbare dont les version définitives se privent le plus souvent. »

 

15 – CORPS GLORIEUX

Deux sortes d'écriture, donc. Celle de la profondeur débordante mais épistolaire, celle de la surface maîtrisée, corrigée mais romanesque. Celle du gras écoeurant et délicieux, celle de la vitesse qui va jusqu'à la métonymie fétichiste ou l'ellipse vertigineuse. Priapique ici, impuissant là (ou se forçant à l'être). « Flaubert dut apprendre à aimer son impuissance, afin de la transformer en pouvoir ; et il n'est finalement devenu ce qu'il avait voulu être que pour avoir d'abord choisi d'être sauvé dans la totalité de ce qu'il était. » L'épaississement du style, ou plutôt sa concentration extrême, pour sauver la totalité des choses. Faire en sorte que la phrase fermée s'ouvre, que le texte ultra concentré s'égoutte - mais sans jamais s'arrêter. Le texte comme succession infinie de mini-éjaculations.

Flaubert, c'est quelqu'un qui commence par écrire comme ça (et devant un bas-relief du Parthénon qui représente une poitrine de femme) :

« L'un de seins est voilé, l'autre découvert. Quel téton, nom de Dieu, quel téton. Il est rond pomme, plein, abondant, détaché de l'autre et pesant dans la main. Il  y a des maternités fécondes et des douceurs d'amour à faire mourir. La pluie et le soleil ont rendu blond ce marbre blanc. C'est d'un ton fauve qui le fait ressembler presque à de la chair. C'est si tranquille et si noble ! On dirait qu'il va se gonfler et que les poumons qu'il y a dessous vont s'enfler et respirer... Comme on se serait roulé là-dessus en pleurant... Un peu plus, j'aurais prié.»

Et qui finit par écrire comme ça :

«  L'horreur du froid ou une pudeur, peut-être, la fit d'abord hésiter. Mais elle se rappela les ordres de Schahabarim, elle s'avança ; le python se rabattit et lui posant sur la nuque le milieu de son corps, il laissait pendre sa tête et sa queue, comme un collier rompu dont les deux bouts traînent jusqu'à terre. Salammbô l'entoura autour de ses flancs, sous ses bras, entre ses genoux ; puis le prenant à la mâchoire, elle approcha cette petite gueule triangulaire jusqu'au bord de ses dents, et, en fermant à demi les yeux, elle se renversait sous les rayons de la lune. La blanche lumière semblait l'envelopper d'un brouillard d'argent, la forme de ses pas humides brillait sur les dalles, des étoiles palpitaient dans la profondeur de l'eau ; il serrait contre elle ses noirs anneaux tigrés de plaques d'or. Salammbô haletait sous ce poids trop lourd, ses reins pliaient, elle se sentait mourir ; et du bout de sa queue il lui battait la cuisse tout doucement ; puis la musique se taisant, il retomba.»

Pourquoi, tout en l'admirant profondément, regretterons-nous toujours que Flaubert ne se soit pas laisser aller au premier style ? Pourquoi ne pourrons-nous jamais nous empêcher de penser que son style a tué ce qu'il avait de vivant en lui ? Et qu' à un certain moment, le credo de "l'art contre la vie" finit par nous fatiguer ? Aurions-nous vieillis ?

Cependant.... Cependant, n'est-ce pas parce qu'il y a une telle rétention de vie dans ses textes que nous continuons, inlassablement, à les relire ? Flaubert est, paraît-il, le classique que l'on relit le plus. N'est-ce pas pour cette raison précise d'apparente impuissance, de régulation intégriste, de retenue apocalyptique qui fait que ses romans ne s'épuisent jamais ? Si Flaubert avait écrit Madame Bovary comme il le "sentait", peut-être aurions-nous lu celui-ci (celle-ci ?) qu'une fois ? Peut-être n'y aurait-il pas eu d' Education sentimentale ? Car oui, à ce niveau de compréhension de l'oeuvre, nous en sommes persuadés : il n'aurait pas pu écrire L'Education sans avoir éduqué son style jusqu'à la mort...

Ecrire, c'est donc aller contre soi, nager à contre-courant, faire de son chaos un ordre et de son informe une forme. Faire de son corps misérable un corps glorieux. Beethoven, aussi, avait beaucoup appris de sa surdité.

L’important, c’est d’y aller. « Un livre, cela vous crée une famille éternelle dans l'humanité », disait-il.Un livre et le tour est joué. Un livre, même tout petit, et vous pouvez mourir en paix. Un livre et vous aurez plus vécu que cent présidents de la république. Un livre et vous aurez pris le pouvoir.

 

Illustration : Madame Bovary, BD de Daniel Bardet et Michel Janvier chez Glénat.

 

 

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